- Section 3 - Onde de choc électorale
Dans quelle mesure les 279 683 voix de Marcel Barbu et les 84 969 de
Jacques Cheminade leur appartiennent-elles?
Cette question ne trouve pas de réponse pour Jacques Cheminade.
Par la faiblesse de son score il est impossible de savoir quel est le sens
précis du vote en sa faveur, quelle proportion de son électorat
s 'est reportée sur un autre au second tour et quelle autre lui
est resté «fidèle».
Il ne parle pas explicitement après l 'élection de ses
électeurs comme d 'une base ni d 'un lien à maintenir avec
eux. Mais le fait qu 'il annonce juste après qu' «il se présenterait
probablement aux législatives si l 'assemblée était
dissoute et affirme se préparer pour la prochaine présidentielle»
est un indice que d 'après lui son score ne marque pas une fin électorale
et n 'est pas un échec irréversible et définitif (55).
Et qu 'il a l 'espoir d ' attirer de nouveaux électeurs lors de
nouvelles campagnes.
Le candidat de 1965 dans son dernier appel télévisuel
avait annoncé que voter pour lui est simplement mettre des
voix «à la glacière» jusqu 'au second tour. Dans
cette optique, les votes en sa faveur sont-ils d 'adhésion ou de
protestation ?
Son chiffre est malheureusement trop faible pour que les enquêtes
aient pu répondre. Il est aussi difficile de savoir dans quelle
proportion ses électeurs ont suivi son report de voix au second
tour sur le candidat de gauche et donc si ils ont bien la même discipline
que les électeurs de parti.
Alors électoralement Marcel Barbu repart-il de zéro ou
du nombre de ses suffrages?
D 'après lui, cela ne fait aucun doute, il est bien responsable
de ses voix. Ainsi si il veut tant continuer à apparaitre à
la télévision après l 'élection, c 'est aussi
pour «maintenir le contact avec ses 280 000 supporters, ainsi qu
'avec d 'autres sympathisants» (56). Le tour de France qu 'il envisage
est un moyen, et le seul autre moyen que les médias, pour lui de
maintenir ce contact.
Le fait qu 'il veuille le faire dans le sens décroissant de
ses résultats est une preuve que d 'après lui cette élection
est bien une base à partir de laquelle il peut se construire un
vrai électorat. .
Plusieurs indices semblent lui donner raison dans ses impressions de
sortir de l 'élection avec un capital au moins aussi important que
le nombre de ses suffrages.
D 'abord une souscription publique lui permet de rembourser dès
1966 les frais engagés pour sa campagne, ce qui montre, malgré
la faiblesse de sa mise, qu 'il garde un soutien populaire (57).
Ensuite au moins deux voix se font entendre dans la presse pour confirmer
ses dires.
La voix du peuple, par un courrier des lecteurs paru dans Le Monde,
écrivant : « je n 'ai pas voté Barbu car l 'affaire
était trop grave mais comme beaucoup de français sans doute
j 'ai regretté de ne pouvoir apporter ce témoignage de ma
sympathie à un candidat aussi aimablement excentrique, courageux
et sincère» (58).
Marcel Barbu qui se veut le candidat et représentant du peuple
a là une confirmation qu 'il l 'est toujours après son résultat,
bien qu 'il apparaisse qu 'il y a sans doute plus de français à
le trouver sympathique que de sympathisants pour sa cause. Du sentiment
à l 'action en sa faveur il y a indéniablement une marge
importante. Mais une base existe bien.
La seconde voix est celle du long article de Combat du 11 décembre
1965 en faveur de Marcel Barbu, qui montre plus d 'enthousiasme que le
candidat lui-même sur ses lendemains électoraux : «pour
M Marcel Barbu, tout juste un commencement. D 'autant que le volume du
courrier reçu à Sannois et les indications fournies par les
organismes de sondage confirment que les sympathisants de M Marcel Barbu
ayant cependant voté utile peuvent vraisemblablement se compter
par millions. Le candidat le plus sincère, les plus courageux, le
plus sympathique, c 'est d 'ores et déjà l 'impression laissée
au grand public par un homme qui n 'a jamais failli à l 'honneur,
renié ses promesses ou trahi ses amis » (59).
Pour ce qui est des instituts de sondage, le chapitre précédent
a démontré qu ' ils ne sont pas aussi indicatifs que ça.
Et la ressemblance avec la lettre publiée dans Le Monde la veille
de cet article laisse croire, par les adjectifs de «courageux, sincère
et sympathique» employés dans les deux points de vue, que
ce que pense le peuple a pour seule base cette lettre.
Il s 'agit néanmoins de deux vraies impressions confirmant celle
du candidat. Ces impressions se sont-elles concrétisées?
Il n 'a pas pu continuer à établir son contact par la
télévision mais il a effectivement tenu des réunions
publiques. Les a-t-il accompagné de nouvelles campagnes électorales?
Marcel Barbu décide d 'être candidat aux élections
législtives de 1967. Lui qui voulait faire son tour de France en
commençant là ou il avait recueilli le plus de voix ne se
présente pas dans le même esprit. Il n 'est pas candidat dans
la Seine-et-Oise ou la Drôme mais dans la cinquième circonscription
de Paris. Existait-il une niche d 'électeurs pour le chien battu
de décembre 1965 dans le septième arrondissement parisien?
Non, il n ' y avait obtenu que 450 voix (60). L 'explication la plus
logique se trouve dans le nom d 'au moins un des candidats en lice dans
cette circonsription qui n 'est autre que M Couve de Murville, le ministre
des affaires étrangères (61).
La présence de Marcel Barbu dans cette élection et à
cet endroit a surement plus des visées médiatiques qu 'électorales
Avoir dans la même circonsription le minitre des affaires étrangères
et un ancien candidat à l 'élection présidentielle
revient à s 'assurer automatiquement une certaine exposition.
Il s 'agit sans doute de trouver un second souffle et une nouvelle
lucarne après ses tentatives manquées pour continuer
à apparaitre à la télévision ou l 'essouflement
de son tour de France.
Si il était dans une dynamique de rasemblement n 'aurait-il
pas attendu la prochaine élection présidentielle au lieu
de se risquer dans une aventure législative?
Il est vrai aussi qu 'en 1967 il ne sait pas encore que la prochaine
se tiendra deux ans et non cinq ans plus tard. Survivre pendant sept ans
avec un accès très restreint aux médias est pour lui
aussi risqué que de s 'engager. Cette campagne législative
est en quelque sorte un «quitte ou double». Car un score résiduel
à une élection, certes uninominale mais sur un secteur restreint
où il n 'a pas de capital de voix de 1965, peut marquer pour lui
une fin politique et électorale.
Comment a-t-il vécu cette élection et pour quel résultat?
L 'échelle plus petite lui permet cette fois de mener une réelle
campagne de terrain avec des réunions publiques, ce qui est une
grande différence avec 1965. Ainsi Le Monde rapporte sa rencontre
de deux heures avec les élèves de sciences politiques ««
Chez Basile » le bistrot de la rue Saint Guillaume» (62).
Pour ce qui est des résultats, la comparaison avec ceux de 1965
dans cette circonscription peut paraître un succès, ses voix
étant passées en deux ans de 450 à 768 (63).
Mais comparé aux autres candidats c 'est un échec et
il n 'est pas présent au second tour. Il semble qu 'il ait bien
senti que cette défaite pouvait être pour lui une fin car
après le résultat du second tour il prend soin d 'indiquer
«que l 'attitude de ses 768 électeurs a été
déterminante dans le septième arrondissement» (64).
L 'écart entre les deux candidats rescapés s 'est joué
à 250 voix et Marcel Barbu avait bien indiqué de voter pour
le vainqueur final. Mais un sondage réalisé le jour du vote
publié sur la même page que cet article contredit ses plans
en annonçant que seuls 13% de ses suffrages de premier tour se sont
portés sur le nouveau député soit 100 voix contre
65% sur le perdant Couve De Murville soit 500 (65).
C 'est au final un échec multiple de Marcel Barbu qui n 'a pas
pu obtenir un score significatif, dont les consignes de vote ne sont pas
suivies par ses électeurs, contredisant en plus ses conclusions
et dont le poids électoral ne dépend que du faible
écart entre le vainqueur et le perdant du second tour.
Si médiatiquement son entreprise est partiellement réussie
ayant eu une couverture de la part du Monde, électoralement c 'est
un échec qui semble cette fois irréversible.
Jacques Cheminade a-t-il connu le même sort ?
Son nouveau parti créé en 1996 écrit dans le marbre
ses objectifs exprimés dès le lendemain du premier tour :
«il participe à la vie politique de notre pays, notamment
lors des échéances électorales. Il peut apporter son
soutien politique et financier à des partis et associations dont
l'objet concorde avec celui-ci» (66).
Dans la pratique comment ces intentions ont-elles été
appliquées?
Le parti Solidarité et Progrès continue comme le faisait
La Fédération pour une Nouvelle Solidarité et le Parti
Ouvrier Européen avant l 'élection présidentielle
a présenter quelques candidats sous son étiquette lors des
élections locales toujours sans réussir à obtenir
un élu (67).
Mais l 'élection présidentielle est plus que jamais l
'objectif prioritaire de Jacques Cheminade.
L 'aventure de 1995 lui sert-elle à appréhender différement
celle de 2002?
Pour ce qui est du discours, le formatage des militants est disséqué
plus haut dans ce chapitre.
En fait Jacques Cheminade joue sur deux plans tirés de son expérience
d 'ancien candidat.
Il cherche un enracinement politique à partir duquel se former
un électorat avant même le début de l 'élection
pour un maillage du territoire en amont comme les partis traditionnels.
Et il insiste sur les activités de formation et d 'action des
militants pour une meilleure communication.
Il veut donc lui aussi planter le décor et commencer à
faire jouer ses acteurs avant le début de la prochaine campagne
officielle.
C 'est lors de l'assemblée générale de son parti
du 30 septembre 2000; donc plus d' un an et demi avant l 'élection;
que Jacques Cheminade lance sa nouvelle candidature présidentielle.
La raison de ce délai est simple : «cette fois, nous avons
opté pour une stratégie de longue haleine, contrairement
à l’« opération de commando » que nous avions
menée en 1995 et qui avait pris de court la classe politique.
Pour un bon capitaine, il n’est en effet pas question d’avoir recours à
la même approche deux fois de suite. Cette fois-ci, nous nous donnerons
le temps de développer des réseaux plus en profondeur, ce
qui exigera un effort accru des militants et sympathisants partout en France.
Beaucoup de participants à l’AG s’y sont d’ailleurs déjà
engagés» (68).
Il a bien tiré les leçon de sa candidature et sait désomais
que n 'apparaître qu 'en même temps que la campagne officielle
revient sur tous les plans à mener une campagne tronquée.
Concrètement cette campagne de longue haleine a commencé
dès 1999 avec des «villes choisies comme cibles prioritaires
de nos activités» que sont Lille, Rennes, Metz, Lyon et Grenoble
(69). Il s 'appuie donc sur la province en choisissant lui-même en
non par des résultats électoraux de 1995 les lieux prioritaires
où diffuser son message. Ce maillage se voit aussi dans quatre lieux
différents que sont Paris, Lyon, Midi Pyrenees et La Bretagne où
son parti dispose de vraies adresses de contact (70).
Jacques Cheminade n 'a pas encore les moyens de mener une vraie campagne
nationale avec des relais locaux qui quadrillent l 'ensemble du territoire
mais sa stratégie est celle d 'un parti politique naissant
et en développement.
C 'est en commençant par ces villes que les militants sont engagés
à mener des actions de terrain. La première réunion
publique de son avant-campagne reposant sur sa nouvelle trilogie Monnet
-Roosevelt-De Gaulle est ainsi prévue à Rennes pour continuer
par Lyon, Grenoble, la région PACA et Paris (71).
C 'est en multipliant les évènements locaux, avec des
présentations de son livre de pré-campagne, des «
journées de « dédicaces », invitations «des
organisations professionnelles, sociales, etc » et tenues de «réunions
avec l’auteur» c 'est-à-dire Jacques Cheminade, que doit naître
l 'élan de sa nouvelle campagne et non comme en 1995 seulement
sur les cinq cent signatures de parrains (72).
Cette action repose sur une mobilisation militante qui doit se nourrir
et s 'amplifier aussi par ces réunions, rencontres et dédicaces.
Militants qui semblent aguerris aux aventures électorales et en
avoir une certaines expérience forgée pour certains d 'entre
eux à l 'étranger comme «dix militants [qui] s’étaient
rendus aux Etats-Unis pour soutenir la campagne présidentielle de
Lyndon LaRouche, et d’autres en Allemagne pour mener celles de leur
parti frère» (73).
Les militants LaRouchiens de tous les pays continuent bien de s 'unir.
Et lors de cette même assemblée générale de
l 'automne 2000, «un message d’encouragement de nos amis allemands,
qui promirent leur aide militante pour notre propre campagne fut lu»
(74).
Les petits maires ruraux risquent donc bien de retrouver face à
eux en 2002 les mêmes accents étrangers mettant en pratique
la méthode du discours «cheminado-socratique» que ceux
qui leur annonçaient en 1995 que Jacques Delors étant absent,
Jacques Cheminade comblait un vide.
Cette mobilisation et formation des militants, qui doit servir à
en gagner d 'autre à sa cause pour parvenir à renouveller
son aventure de 1995, ne repose pas que sur son nouveau livre. Mais aussi
sur «un comité ad hoc pour un nouveau Bretton Woods»
né en 1998 et lancé à l 'échelle mondiale
constituant un autre moyen pour amnener de nouveaux militants à
le rejoindre.
Deux choses sont remarquables dans ce comité présenté
sur son site internet.
En premier lieu dans cet appel que les internautes peuvent compléter
et lui renvoyer il est écrit :«nous, les signataires, avons
pour référence Lyndon LaRouche, l'économiste qui,
le premier, a analysé en profondeur les causes de la crise systémique,
tout en élaborant un train complet de mesures à prendre pour
la surmonter» (75). S 'engager pour cette pétition signifie
donc bien être dans la sphère d 'influence du mentor de Jacques
Cheminade.
En second lieu, parmi la liste partielle des signataires de cet appel
publié sur ce même site internet, on ne retrouve comme seule
personnalité politique ayant une certaine envergure nationale que
l 'ancien député-maire de Tours Jean Royer, dont il peut
paraître étonnant qu 'il reconnaisse ainsi Lyndon LaRouche
comme réference (76).
Mais surtout la comparaison de cette liste des signataires avec la
liste des parrains de 1995, fait apparaître qu 'aucun des cinq cent
élus n 'a suivi Jacques Cheminade dans son combat politique et sa
nouvelle quête électorale.
Dans ces conditions sa campagne de longue haleine apparaît plus
comme une nécessité qu 'un caprice du chef de parti.
Pour réussir aussi bien que lors de l ' «action commando»
de 1995. Jacques Cheminade n 'utilise plus l 'effet de surprise tout simplement
car maintenant il est connu des maires et les voix réflexes pour
les petits candidats ne lui sont plus promises de même que les champs
déjà labourés en 1995.
La stratégie qui s 'impose à lui est une transformation
en véritable parti politique par la reconstruction et consolidation
qu 'il a engagé autour des structures et militants existants.
De septembre 2000 à avril 2002, la route qui s 'ouvre à
l'ancien candidat n 'est pas la même que celle suivie par le
futur candidat entre septembre 1994 et mai 1995. Elle est désormais
balisée par les cailloux posés par le petit Poucet de 1995.
Marcel Barbu et Jacques Cheminade ont donc suivi une triple onde de
choc.
L 'ex-candidat de 1965 n 'a pas réussi à faire appliquer
les idées nées de sa campagne officielle. Mais son parcours
social et politique est un réel bagage qu 'il fait fructifier après
l 'élection à une échelle faible mais supérieure
à avant décembre 1965.
En 1968 et 1969 aucun article ne lui est consacré dans le Monde.
Du lendemain du premier tour au neuf novembre 1984 il reste pour les médias
l ' «ancien candidat à la présidence de la république»
(77). Nouveau statut qui est quasiment le même que celui
de candidat hors parti.
Electoralement malgré son souhait du lendemain du premier tour,
il ne se représente pas aux élections présidentielles
suivantes et son avenir électoral mesuré dès 1967
est à la mesure de son score de 1965.
L 'ex-candidat de 1995 continue son combat idéologique qui est
plus remis à jour par le choix de nouvelles figures historiques
que par les aléas politiques.
Jacques Cheminade comme toutes les tendance politiques écartées
volontairement ou non du jeu politique et médiatique a situé
son siège de campagne permanent sur internet. Mais cette nouvelle
impulsion mondiale ne s 'accompagne pas d 'un engouement mondain.
Six ans après sa campagne présidentielle son triple espace
politique, médiatique et électoral c 'est lui et lui seul
qui l 'ouvre et le nourrit. Presque en autiste.
Après avoir étudié comment ces trois espaces se
referment sur Marcel Barbu et Jacques Cheminade pour leur donner leur ampleur
dénitive, il est temps maintenant de refermer cette étude
pour déterminer l 'ampleur définitive de ce sujet.