Ce mémoire démontre dans chacune de ses parties, chacun
de ses chapitres qu 'il n 'existe pas une élection présidentielle
égalitaire, ni même équitable entre tous les candidats
en lice mais une élection à plusieurs niveaux.
Où le premier tour n'est pas deux semaines avant le second et
le début de la campagne officielle pas deux semaines avant le premier.
Un positionnement sur la ligne officielle de départ se joue
plusieurs semaines, mois, années avant le départ solennel
de la course élyséenne.
Comment vouloir et surtout pouvoir lutter dans un sprint de deux semaines
sans échauffement quand les autres mènent une course de fond
qui leur ouvre tous les espaces d 'expression pour étaler leurs
convictions ?
Si tous les outils étaient offerts à Marcel Barbu et
Jacques Cheminade pour lutter à armes égales au moins pendant
la campagne officielle, le décalage pourrait peut être se
réduire. Leur voix pourrait se faire entendre, toutes les voies
de dialogue avec le peuple pourraient s 'ouvrir, et leurs voix récoltées
être dûes simplement à leur campagne et non aux aléas
extérieurs qui la délimitent et la cloisonnent.
Mais ce décalage dans le temps qui est tant préjudiciable
pour leur place occupée au moment de leur entrée dans l 'élection
s 'accompagne en plus d 'un retard et d 'un fossé qui se creuse
durant la campagne officielle par l 'inégalité des moyens
humains, matériels et financiers dont ils disposent.
Dans ces conditions les candidatures Marcel Barbu et Jacques Cheminade
ont-elles été vaines et stériles?
Quelques études globales réalisées sur les élections
présidentielles ont tiré des brèves conclusions
définitives sur l 'utilité qu 'a eu cette campagne pour ces
candidats et ces candidats pour la campagne.
Ces bilans sur Marcel Barbu « que l 'on pourrait qualifier de
fantaisiste » considèrent qu 'il « inaugure la formule
des faux candidats qui désirent simplement profiter de la radio
et de la télévision pour développer des thèses
autres qu 'électorales» et qu'il « joue
les utilités » ayant seulement servi à «
révéler au grand jour des détresses cachées
» (1).
Pour Jacques Cheminade les études signalent simplement sa présence
par des verdicts dont la réflexion est du même niveau que
son résultat : « quand à Jacques Cheminade, homme seul
dont le message politique est passablement confus, il réunit sur
son nom à peine 0,3% des suffrages » ou bien « curieusement
le filtre des signatures n 'empêche pas la candidature de J. Cheminade,
candidature insolite» (2). En fait ces livres ont tout simplement
repris les conclusions générales de la presse.
Il en ressort trois mots pour caractériser ce que sont les candidats
hors parti : fantaisistes, publicitaires et de témoignage. Si c
'est le cas alors quel que soit leur espace politique, médiatique
ou électoral leur tentative est une réussite, la tribune
de l 'élection étant leur seul objectif.
Est-ce vraiment le bilan qui se dégage de ce mémoire
?
Ont-ils d 'abord été des candidats fantaisistes ou insolites
?
Marcel Barbu et Jacques Cheminade déconsidèrent-ils l
'ensemble de l'élection comme l 'ont indiqué certains articles
de presse et mettent-ils en danger « la respectabilité des
compétiteurs »? (3).
Assurément un doute peut se faire sur le début de campagne
du prétendant de 1965.
Son aveu de n 'être dans l 'élection que par une faille
du système électoral, son intention de choisir une barbe
et des moustaches comme emblème, ses attaques contre le ministre
de l 'intérieur qui veut le faire supprimer ou le fait qu 'il s
'adresse pour la première fois aux français à la télévision
en les appelant « mes copains » sont des éléments
qui en surface peuvent le classer comme fantaisiste.
Mais en cours de campagne il a réellement tenté de se
hisser à la hauteur de son statut.
Sa deuxième intervention télévisée où
il annonce qu 'il prend sa candidature au sérieux ou l 'élaboration
d 'un programme de gouvernement avec voies et moyens, réalisable
d 'après lui en moins de deux ans sont des vrais indices d 'une
prise en considération qu 'il est dans la même compétition
que De Gaulle ou François Mitterrand. Son dernier appel aux téléspectateurs
n 'a sur le fond rien de fantaisiste. C 'est l 'appel d 'un candidat qui
sait qu 'il ne peut pas être présent au second tour mais qui
veut imposer le ballottage pour un vrai débat d 'idées sur
l 'avenir de la France.
Ce sont les analystes qui sont le plus souvent restés sur leur
première impression de prétendant pas sérieux, moyen
aisé de le classer lui qui venait dans la campagne sans étiquette,
sans chercher ensuite à prendre sa mesure.
Sur Jacques Cheminade il n 'y a aucun doute. Il n 'a rien de fantaisiste.
La marge qu 'il se donne entre énarque et énarque dissident
ne le destitue pas de son statut de candidat. De son souhait de participer
à la campagne dès qu 'il a déposé ses 500 signatures
à sa profession de foi ou ses affiches électorales,
rien dans l 'utilisation de tous les moyens mis à disposition pour
se faire connaître et reconnaître ne le différencie
de ses opposants. Ce sont les règles politiques et médiatiques
et l 'avancée de la campagne , avant son arrivée juste pour
la campagne officielle, qui ont pu conduire à le marginaliser. De
même que son manque de moyens.
Jacques Cheminade a passé toute la campagne en sachant qu 'il
est candidat et en essayant même de s'imposer comme tel face à
ceux qui lui refusent ce droit donné par ses parrains.
Cette campagne parallèle d ‘ original ou insolite c 'est lui
qui l 'a subi mais elle n 'a pas été de son fait contrairement
à Marcel Barbu.
A la fin de la campagne tous les deux sont de vrais candidats dont
le nom est sur un bulletin de vote du même format que les autres.
Ensuite sont-ils publicitaires?
Est-il vrai que « l 'élection présidentielle est
d 'abord une « tribune », et qu'elle n 'est pas pour eux, tant
une source de dépenses, qu 'une occasion de faire des économies,
puisqu 'ils bénéficient gratuitement d 'un certain nombre
de prestations, comme le temps d 'antenne à la radio et à
la télévision pendant la campagne officielle »? (4).
Prétendre cela c 'est a priori insulter voire jeter la suspicion
sur les cent et cinq cent représentants du peuple qui leur ont permis
de se présenter.
Mais il est vrai que pour Marcel Barbu une dimension publicitaire est
indéniable. Son annonce, lors de sa première conférence
de presse qu 'il construit les meilleurs logements du monde aux meilleurs
prix, l 'utilisation de son temps télévisuel et radiophonique
pour relater dans de longs monologues les problèmes qu 'il
rencontre avec son association ou après les élections le
souhait de parcourir la France pour développer son mouvement en
s 'appuyant sur son score sont des éléments à charge.
A cela s 'ajoute l 'ambiguïté du candidat qui répète
constamment que son association est sans but lucratif, ce que le journal
Minute contredit par l 'exposé des faits et des commissions qu 'il
prend.
Mais en même temps la soudaineté de sa décision
de se présenter qui est contraire à toute logique publicitaire
préparée longuement à l 'avance, la teneur de sa profession
de foi qui n 'est aucunement un catalogue de vente par correspondance ou
le fait qu 'il s 'intéresse seulement à la télévision
et ne fait pas de réunions publiques où pourrait se jouer
le dédoublement du candidat / promoteur immobilier contredisent
cette impression.
Un des objectifs de Jacques Cheminade est évidemment de
développer son mouvement, de le faire connaître, que de nouveaux
militants adhèrent par cette campagne électorale. Mais en
quoi ce but est-il différent et plus publicitaire que les autres
candidats de partis installés, toujours à la recherche d
'argent et de sang frais?
Bien sûr il y a sa préface du livre de Jaurès de
1994 ou son livre de 1991 publiés dans sa propre maison d 'édition
qu 'il ressort volontiers pour les photos de presse illustrant les
rares portraits faits de lui. Mais les autres prétendants ont aussi
leurs livres de pré-campagne.
Un aspect essentiel atténue largement cette accusation d 'être
publicitaires. Il est vrai qu'il est facile de comparer le temps d 'apparition
télévisuelle de Marcel Barbu et Jacques Cheminade avec son
coût normal.
Mais quels sont les candidats qui impriment le plus de tracts et affiches
de campagnes, ceux qui distribuent des gadgets électoraux?
Peut-on dire qu 'ils profitent de la campagne alors qu 'ils ont usé
de largement moins de moyens financiers que les autres prétendants
et qu 'ils n 'ont eux et leur mouvement aucune notoriété
deux semaines avant le début du premier tour?
Il y à la quand même un paradoxe de considérer
Marcel Barbu comme publicitaire, lui qui déclare mener sa campagne
contre celle de l 'argent et qui se contente des strictes dépenses
fixées par la loi. Il en est de même pour Jacques Cheminade
qui a le plus petit budget avec à peine cinq millions de francs
quand Lionel Jospin en dépense quatre-vingt-huit .
Il convient donc de tout mettre en perspective et ne pas encore une
fois s 'arrêter à la première impression qu 'une candidature
qui n 'est pas annoncée par les médias et les analystes,
ne venant pas des partis insérés dans le jeu politique est
forcément construite sur des intentions publicitaires.
C 'est en déduire que les parrains n 'ont pas joué leur
rôle et que toutes les places et courants potentiellement politiques
sont déjà occupés par ceux en place, une nouvelle
candidature ne pouvant être d 'essence purement idéologique.
C 'est la dernière interrogation qui se pose sur la réalité
de leur engagement : sont-ils seulement des candidats de témoignage?
Marcel Barbu offre a priori toutes les caractéristiques de la
candidature d 'expression. Celle de l 'électeur qui ne trouve personne
pour exprimer ce qu 'il ressent et décide simplement de se présenter
pour témoigner de ses difficultés en espérant crier
assez fort pour que ceux ayant des chances d 'être élus puissent
reprendre ses problèmes et y apporter des solutions.
Le début de sa campagne est strictement de témoignage.
Sa première intervention télévisée est le récit
à des millions de français des difficultés de logement
qu 'il rencontre. Récit qui s 'accompagne du « nous »
de l 'électeur, qui expose ses doléances en attendant d 'être
écouté. Mais comme l 'a montré cette étude,
petit à petit il a non seulement pris de la hauteur, se détachant
de l 'électorat pour se considérer comme candidat. Mais il
a aussi approfondi sa réflexion pour au final avoir un programme
alternatif de gouvernement ne reposant pas entièrement sur son association
de logement. Et il a surtout constitué trois propositions, d 'un
ministère des droits de l 'homme, référendum d 'initiative
populaire et diversité politique à la télévision,
qu 'il continue à défendre après les élections
jusqu 'à épuiser tous les recours possibles pour les appliquer.
Il vient donc dans la campagne en électeur qui voit un espace
s 'ouvrir pour témoigner pour en sortir en prétendant
qui profite de cet espace pour proposer.
Jacques Cheminade venant avec un programme forgé autour d 'une
idéologie figée et une vraie démarche de candidat
traditionnel, cette interrogation ne se pose pas pour lui.
Chez tous les deux on retrouve en fin de campagne la dénonciation
de leurs opposants, l 'objectif affiché que d 'une volonté
politique peut venir le changement et un programme de gouvernement qu 'ils
jugent alternatif, applicable et nécessaire pour ouvrir les chemins
et les portes de l 'avenir.
Ce sont par ces points communs guidés par la nécessité
d 'être légitimé par leur discours, qui doit les faire
apparaître en transition ou dissident, que se situent les traits
convergents de la candidature hors parti sur le fond.
C 'est un des points saillants du bilan à tirer de ce mémoire,
qui conduit à une remise en cause des conclusions cursives des études
générales sur les élections présidentielles.
Ils ne sont ni des candidats purement fantaisistes, publicitaires ou
porte-voix passifs.
Le portrait qui ressort de Marcel Barbu et Jacques Cheminade est celui
d 'un électeur des campagnes précédentes dont le challenge
est de réussir en deux semaines à devenir un candidat.
En ayant le désavantage d 'être seul, de n 'avoir que
ses idées pour convaincre et se faire un nom, de ne pas avoir de
relais installé sur lequel s 'appuyer et aucune place électorale
réservée.
Tout le sens de leur candidature, toute son ampleur, les caractéristiques
finales qui en ressortent viennent de leur utilisation des espaces de la
campagne et non de leur personne.
Alors ont-ils finalement trouvé une place politique, médiatique
et électorale et ont-ils pu l 'occuper?
Politiquement ils n 'ont pas pu se faire une vraie place.
Les idées de logement de Marcel Barbu n 'ont pas été
un enjeu au centre de la campagne de 1965, son programme n 'a pas été
discuté. Il n 'a pas pu se mêler véritablement au débat
politique. Ses relations avec le général De Gaulle ont plus
été celles d 'un électeur avec le chef de l 'état
qu 'une confrontation entre candidats. Ses relations avec l ‘ ensemble
des prétendants sont celles que l 'électeur entretient
avec ses représentants.
Véritablement le seul espace ouvert est celui de candidat du
logement, statut qui a la fin de la campagne ne correspond plus complètement
au sien .
Le discours de Jacques Cheminade n 'a pas pu non plus s 'insérer
dans le jeu politique. Le fait gravé dans le marbre que son
discours est incompréhensible, qu 'il rejette tous les candidats
en lice et qu 'il n 'a pas une idée forte pour lui ouvrir
une brèche sectorielle pour se faire entendre ne l 'ont pas fait
exister.
Médiatiquement les espaces sont déjà distribués
avant qu 'ils arrivent. Candidats en trop par rapport à la structure
de l 'électorat, n 'intéressant personne, au discours flou,
ou amateurs parmi les professionnels : la quasi totalité des analyses
ont contribué à leur fermer tout espace dès leur entrée
dans l 'élection. Ils sont les candidats de la dernière heure,
inattendus et donc forcément l 'espace dont ils disposent ne dépasse
pas le cadre réglementaire pour arriver jusqu 'à l ‘égalitaire.
Dans ces conditions, médiatiquement ils n 'ont pas existé.
Théoriquement un espace électoral existait. Espace restreint,
les autres formations politiques s 'étant déjà servies,
et hétéroclite car formé des électeurs
indécis, les plus volatiles et les moins politisés.
N 'existant pas médiatiquement et politiquement pendant les
deux semaines de campagne, n 'étant connus ni par leur nom ni par
leur mouvement ils ont obtenu 1,15% et 0,3% des voix.
A la lumière de ces triples difficultés rencontrées
pour occuper les espaces où se joue l 'élection, quel bilan
faire de leur campagne et quelle a été son utilité
pour eux ?
Tous les deux n 'ont eu comme seule ambition affichée que de
faire connaître leurs idées et d ' être connus par elles.
Pour Marcel Barbu seules ses idées de logement ont été
un peu discutées, relayées et à la fin de la campagne
9% des électeurs le reconnaissent comme le candidat du logement.
Score largement supérieur à son résultat électoral
mais qui est quand même faible compte tenu du fait que la construction
n 'a pas été un enjeu de campagne et que son traitement médiatique
l 'a seulement identifié à ce thème.
Jacques Cheminade n 'a pas fait connaître ses idées, l
'habillage historique ayant brouillé le sens de son idéologie
et les relais médiatiques s 'étant focalisés sur les
parts d 'ombre de son parcours personnel et politique et non sur l 'exégèse
de son discours.
Le filtre médiatique a d 'ailleurs contribué à
la conclusion qu 'à la fin de l 'élection les candidats soient
plus connus que leur candidature. Marcel Barbu est plus le promoteur immobilier
aux réussites sociales qui s 'est présenté à
l 'élection que le défenseur du logement et des communautés.
Jacques Cheminade est plus le disciple de Lyndon LaRouche condamné
pour vol et ayant extorqué ses signatures que le dénonciateur
de la spéculation, des instances financières (inter)nationales
et des hommes politiques.
Sur ce plan c'est donc un échec le temps de l 'élection.
Défaite électorale aussi? .
Que vaut le poids d 'un prétendant qui obtient 1,15% et 0,3%
des voix?
Evidemment il ne faut pas se contenter de comparer ce résultat
avec celui des autres compte tenu des contraintes de temps, d 'argent,
de notoriété, politique ou médiatique qui sont caractéristiques
des hors parti.
Dans ces conditions partir d'un capital de zéro voix et réunir
en deux semaines 279 683 et 84 969 voix en quinze jours ne peut être
complètement une défaite.
C 'est plus par rapport à leurs espérances qu 'il faut
mesurer cet insuccès.
Quelques jours avant le premier tour Marcel Barbu espérait les
5% et Jacques Cheminade 1%, scores qu 'ils n 'ont pas obtenu. Après
les résultats Marcel Barbu se déclare finalement satisfait
de son score ce qui n 'est pas le cas du prétendant de 1995 qui
l 'impute à son traitement médiatique.
Alors pour Jacques Cheminade est-ce un échec total sur tous
les plans et pour Marcel Barbu un échec relatif?
Tous les deux ne lient pas leur score à eux-mêmes ou à
la teneur de leur discours donc cette campagne n 'est pas pour eux une
défaite personnelle.
Quand Marcel Barbu s 'engage, l 'élection présidentielle
est pour lui la plus grande des lucarnes et l 'ultime espace dont peut
disposer un citoyen . Le soir du premier tour il a l 'espoir que
cette lucarne lui ouvre d 'autres espaces.
Jacques Cheminade dès la connaissance de son score annonce aussi
qu 'il va continuer son combat.
Arriver dans l 'élection n 'est plus un but mais une base. Base
électorale et politique mais aussi médiatique.
Jacques Cheminade considére son traitement médiatique
en partie comme un bizutage.
Cette élection leur a-t-elle été utile pour gagner
une légitimité, pour leur ouvrir de nouveaux espaces qui
ne sont pas seulement ceux réglementaires inscrits dans la loi ?
Quand la presse annonce le lendemain du premier tour de 1995 que la
victoire de Jacques Cheminade est d 'avoir obtenu les signatures nécessaires,
c 'est déjà prédire qu 'il ne peut exister que par
ce fait.
Après le second tour ils gardent l 'espace infime des candidats
hors parti qui n 'existent pas par la force de leurs idées ou de
leur électorat mais car un jour cent et cinq cent élus leur
ont accordé leur soutien. Que Marcel Barbu se remarie, que Jacques
Cheminade soit condamné en appel et leur place dans la presse ne
sera dû qu 'au fait qu 'ils sont anciens prétendants.
Electoralement et politiquement ils continuent leur combat sans parvenir
à élargir dans une grande mesure leur audience.
La façon dont s 'est déroulée leur campagne conduit
à ce bilan sur un plan personnel : ce qui les caractérise,
ce qui est pour eux le trait commun ce n 'est pas qu 'ils sont fantaisistes,
sectoriels ou publicitaires c 'est simplement que les espaces de
l 'élection à trente ans d 'intervalle sont les mêmes,
s 'ouvrent et se referment de la manière sur eux deux .
Jacques Cheminade et Marcel Barbu sont durant l 'élection des
candidats hors parti pour devenir ensuite des anciens candidats hors parti
C 'est cela qui les définit et les englobe le mieux avant, pendant
et après l 'élection.
Mais n 'offrent-ils des conclusions que pour eux-mêmes et n 'y
a-t-il pas de bilan général à tirer aussi sur la campagne?
Ont-ils soulevé des questions du fait de leur aventure électorale?
Selon les livres sur les élections présidentielles, leur
candidature n 'a été utile qu 'à une seule
chose : le souhait qu 'elle ne se reproduise pas, suivant là aussi
les conclusions de la presse.
Que ce soit pour écrire que l 'apparition de Marcel Barbu «
laissait douter de l 'efficacité du barrage dressé »
ou que les hors parti posent « le problème des conditions
de présentation qui doivent être suffisamment larges pour
ne pas écarter une tendance, si minoritaire soit-elle et suffisamment
restrictive pour éliminer les fantaisistes ou les candidats qui
ne représentent pas un courant politique national », la seule
interrogation soulevée tient aux parrainages (5).
Le mode de sélection pose en effet certaines questions
par ces candidatures.
D 'abord sur le nombre de signatures nécessaires. Il est établi
que Marcel Barbu a mis moins d 'une dizaine de jours pour récolter
les cent signatures. Mais par le nombre restreint de candidats en lice
qui n 'est que de six il est peu vraisemblable que le président
de l ' ACGIS ait été le seul « citoyen » à
avoir tenté de se présenter. Et donc ce barrage existe bien.
Son expérience, certes faible mais réelle, politique et associative
lui a assurément permis cet exploit. D 'ailleurs en 1969, après
l 'aventure de Marcel Barbu qui annonçait cette loi comme une faille
par laquelle tout le monde peut entrer, seuls sept candidats ont réussi
cet examen de passage avec un seul candidat hors parti ne représentant
pas une tendance politique établie et connue du public. En 1974,
les candidats sont douze dont la moitié ne franchira pas 1%. Après
le décret portant le nombre de signatures nécessaires à
500, il sont 10 en 1981, 9 en 1988 et en 1995. L'augmentation du nombre
de parrains n 'a pas divisé par cinq le nombre de candidats Il est
certain que Marcel Barbu n 'aurait pas pu être investi en 1995 en
se lançant aussi tardivement.
Mais Jacques Cheminade n 'aurait-il pas obtenu les cent signatures
en quelques jours en 1965 et Marcel Barbu les cinq cent en 1995 en s 'y
prenant longtemps à l 'avance?
Indéniablement cette nouvelle limite a conduit mécaniquement
à une professionnalisation de l 'accès à la
candidature. Mais cette professionnalisation de la stratégie de
Jacques Cheminade n 'a pas conduit pour autant à une professionnalisation
du candidat une fois les signatures obtenues.
Vu le réservoir important de signataires qui ne sont pas utilisés
par les prétendants habituels, la limite pourra être de 600,
de 1000 voire de 2000, pour les aspirants cet accès ne restera qu
'un problème de méthode à trouver. Jacques Cheminade
a démontré que le problème ne se situe pas sur la
barrière du nombre mais qu 'il est possible d 'obtenir les signatures
en se présentant avec une biographie à trous ou en sélectionnant
son message politique en fonction de ses interlocuteurs. Et les parrains
et le candidat n'étant tenus par aucune obligation, sa campagne
peut être en contradiction avec eux, il peut appeler à voter
pour qui il veut ou se déclarer du bord politique qu 'il souhaite.
L 'interrogation se pose non sur le nombre mais la « qualité
» des parrains.
Est-il normal que des élus reconnaissent qu'ils ont donné
leur signature au premier qui passait ou parce qu 'on les harcelait?
Est-il logique que ce soient les représentants des élections
locales qui décident qui est habilité à concourir
au niveau national?
Que se soient les membres des partis en place qui décident de
la légitimité de ceux qui ne sont pas représentés?
Tout cela conduit à cloisonner la campagne des idées
réclamée par tous en distribuant les électeurs entre
les candidats déjà présents avec une sorte de prime
aux sortants écartant les idées nouvelles.
Bien sûr les programmes de Marcel Barbu et Jacques Cheminade
contiennent une essence contestataire et une remise en cause des partis
en place, qui démontre que des aspirants se déclarant comme
alternatifs peuvent quand même obtenir le soutien d'élus du
côté de ceux qu 'ils mettent en cause. Mais si ils avaient
été connus, si ils n 'avaient pas dû passer le temps
de l ‘ élection à se présenter et non à énoncer
longuement leur programme, s 'ils avaient eu potentiellement l 'éloquence
nécessaire pour fédérer autour d 'eux les mécontents
n 'auraient-ils pas connu le même sort que Coluche en 1981 qui n
' obtint finalement qu 'une seule signature?
Un filtre est bien sûr nécessaire pour que l 'élection
présidentielle ne se transforme pas en concours Lépine de
la politique mais celui en cours est-il vraiment adapté ?
La vraie question posée par les hors parti se situe sur la responsabilité
énorme de ces parrains dont certains n 'ont même pas conscience.
Sur le fait que ce barrage peut laisser passer un candidat ayant trouvé
la méthode pour les convaincre et rejeter un autre plus en adéquation
avec la demande électorale mais qui n 'a pas choisi une bonne stratégie.
Un autre problème, lié à ce que ces parrainages
représentent, subi de plein fouet par Marcel Barbu et Jacques Cheminade
est qu 'une fois les signatures obtenues l 'investiture des élus
ne vaut pas autant que celle d 'un parti.
Pour les acteurs du débat politique et les médias la
légitimité à concourir ne se gagne pas par une
acceptation par le Conseil constitutionnel. Et un candidat n 'ayant pas
eu l 'investiture politique et médiatique avant celle des élus
est forcément un intrus.
Le parcours dans les sondages, les courbes de l 'audimat, la lutte
contre les adversaires au sein d 'un parti pour s 'imposer sont le seul
chemin qui permet d'ouvrir les espaces qui mènent à l 'électeur.
L ‘ hypocrisie est totale quand le premier jour de la campagne officielle
de 1995, les journaux affirment que les candidats sont neuf sur la ligne
de départ.
Car que vaut l 'investiture des signatures si ça ne conduit
pas à conférer un statut de candidat à ceux qui l
'ont obtenu?
La deuxième grande questions soulevée sur la campagne
est à propos du relais donné à leurs idées.
La façon dont leur candidature doit être transmise par
les médias conduit à des interprétations différentes
selon les écrits.
D 'après un mémoire réalisé sur l
'hebdomadaire « L 'Express et l 'élection présidentielle
de décembre 1965 » le relais global accordé à
Marcel Barbu est celui qui lui était dû : «quand
à M Barbu il aura droit lui aussi à son article et à
une photo. Le journal se voulant informatif ne pouvait ignorer M Barbu
qui apparut aussi souvent à la télé que M Lecanuet
et plus que le général De Gaulle. On finit par le connaître.
F Giroud lui consacre même quelques ligne indulgentes » (6).
Analyse pour le moins surprenante qui considère une photo, un
article et un commentaire de quelques lignes presque comme une faveur faite
à un intrus glissé au milieu des vrais candidats.
C 'est raisonner à l 'envers et imputer à Marcel Barbu
sa place dans la presse à son résultat.
Une autre étude prenant un peu de hauteur et plaçant
l'espace occupé dans les médias avant le résultat
résume bien le problème que pose cette étude : «
on fabrique autour de quelques acteurs reconnus comme présidents
potentiels toutes les simulations possibles, on élabore divers scénarios
et on les présente comme les résultats envisageables (...)
En revanche, que l 'élection puisse être une confrontation
de programmes et non un combat des chefs , qu 'un candidat représentant
un petit parti puisse être élu, que les électeurs puissent
voter pour exprimer une position et non pour contribuer à un calcul
de chances ... ces scénarios sont impensables pour les médias,
ils ne relèvent pas de l 'Histoire» (7).
La façon dont Jacques Cheminade a essayé d 'avoir une
place de candidat et de faire respecter ses droits est le meilleur exemple
de cette analyse. Médiatiquement quand il arrive les rôles
sont déjà distribués, et il doit envoyer des lettres
au CSA pour que les médias prennent en considération sa candidature.
Il est prouvé que les émissions officielles de la campagne
ont un audimat très faible, que Jacques Cheminade et Marcel Barbu
n 'ont que très peu réussi à se faire entendre au
delà de cet espace. Et en même temps, que ce soit en 1965
ou en 1995, candidats, observateurs et (é)lecteurs-téléspectateurs
reconnaissent que c 'est dans cet espace que se joue essentiellement l
'élection.
Alors face au fait avéré que c 'est au delà de
la sphère réglementaire que se fait l 'élection et
que cet espace supérieur n 'est absolument pas égalitaire,
existe-t-il des solutions pour qu 'au moins le temps de la campagne officielle
le même espace soit accordé à tous les candidats?
Pour faire en sorte, que pour ceux qui n 'ont pas encore subi le verdict
des électeurs, les médias ne choisissent pas de leur accorder
moins de place qu 'aux autres en prenant par exemple l 'alibi des sondages
qui du fait du temps resserré de la campagne officielle n 'est pour
eux qu 'un test de notoriété et non déjà un
vote des électeurs.
Est-ce que suite aux lettres du hors parti de 1995 l 'appel du CSA
aux médias que « les commentaires des déclarations
et écrits des candidats doivent faire l 'objet d 'un traitement
équilibré et ne doivent pas déformer le sens général
de leurs interventions, et que la présentation de la personne des
candidats doit répondre au souci de respecter le principe d 'égalité
entre les candidats » est suffisant ? (8).
Cela est peu vraisemblable mais il s 'agit là d 'un vrai problème
de démocratie et d 'accès aux électeurs de tous les
candidats posé par cette étude.
Le troisième grand point soulevé par les candidatures
de Marcel Barbu et Jacques Cheminade est de démontrer que deux semaines
sont trop courtes pour mener une campagne électorale.
Que ce soit pour exposer un programme et surtout qu 'il soit discuté
et inséré dans le jeu politique, , pour réunir des
fonds importants ou mener une campagne de terrain, pour exister dans les
sondages plus d 'une semaine, pour que les médias ne présentent
pas seulement le candidat mais aussi sa candidature en ayant le temps d
'étudier réellement son programme, pour pouvoir établir
une vraie relation avec les électeurs autre que celle de l 'homme
tronc télévisuel et que ceux-ci puissent rassembler tous
les éléments de ce puzzle pour qu 'apparaisse le vrai visage
du candidat, quinze jours sont insuffisants.
Pour faire en sorte tout simplement que les hors parti n 'effectuent
pas leur pré-campagne pendant la campagne
Résoudre ce problème spécifique permettrait le
plus de rétablir une relative égalité entre les candidats.
D 'ailleurs une requête présentée au Conseil constitutionnel
le douze janvier 1995 par Jacques Bidalou, l 'ancien juge d ‘ Hayange défenseur
des expulsés de la Sonacotra et des automobilistes sans ceinture,
va dans ce sens voulant « déclarer non conforme à la
constitution le décret du 14/03/1964 (...) qui prévoit
un délai de 15 jours de campagne électorale qui serait trop
bref pour garantir le principe d 'une égalité entre les candidats
» (9). Mais la requête est rejeté car «
il n 'entre pas dans la compétence du Conseil constitutionnel de
statuer sur de telles conclusions » (10).
Cet appel solitaire en pleine pré-campagne n 'est pas relayé
par les commentateurs et la presse qui considèrent que tous les
vrais candidats sont déjà en lice et font débuter
leur campagne largement déjà avant le départ officiel.
Mais comme le reconnaît le CSA : « aucune règle
ne s 'impose durant les mois qui précèdent l 'aventure de
la campagne officielle bien qu 'il s 'agisse d 'une période clef
dans la chronologie des élections. C 'est évidemment plusieurs
mois avant l 'ouverture de la campagne officielle que les candidats se
déclarent, commencent à détailler leurs programmes
et à débattre avec leurs adversaires » (11).
Dans ces conditions, illustrées et mises en pratiques par ce
mémoire, la solution sur cette question pour les prochaines élections
est celle proposée par le CSA après la campagne de 1995 :
« pour le premier tour de scrutin, la publication de la liste officielle
des candidats à l 'élection présidentielle intervient
le plus généralement seize jours avant le jour du vote. Le
conseil ne verrait que des avantages a ce que cette publication soit avancée
, tant sur le plan de l 'organisation de la campagne officielle radiotélévisée
que sur le plan du pluralisme dans les émissions d 'information
» (12). A ces avantages s 'ajoutent tous ceux exposés précédemment
qui brident le candidat hors parti dans tout les aspects de sa campagne.
L ' obstacle des parrainages, l'inégalité du relais
de toutes les candidats et le temps trop court de la campagne officielle
sont trois points primordiaux mis en valeur par ce mémoire dont
l 'étude peut contribuer à une meilleure égalité
des chances entre les prétendants.
Bien sûr il serait aussi souhaitable que tous les candidats puissent
disposer des mêmes moyens financiers ou de faire en sorte que les
sondages ne soient pas présentés et considérés
comme un ersatz du résultat final, mais il s 'agit là de
propositions « utopiques ».
Evidemment même si tous partaient sur la même ligne avec
les mêmes armes, le résultat final ne serait sans doute pas
bouleversé.
A toutes les échelles et moments de la campagne il existe des
courroies de transmissions et des passerelles vers l 'électeur que
les hors parti ne pourront jamais accrocher du fait même que
ni eux ni leur mouvement ne sont connus avant qu 'ils fassent acte de candidature.
Les militants et sympathisants formés pour la politique, le
soutien d 'organisations professionnelles et sociales ayant une audience
et une légitimité reconnues sont des relais déterminants.
Le fait d 'être désigné ou soutenu par un parti
représenté au parlement et portant des valeurs, un positionnement
et un discours connu de l 'opinion et d 'avoir déjà occupé
des fonctions au sein des appareils de gouvernements fournissent mécaniquement
une légitimité aux prétendants avant même qu
'ils soient dans la campagne avec laquelle Marcel Barbu ou Jacques Cheminade
ne peuvent lutter..
Le choix des électeurs est déjà déterminé
en partie avant que le nom du candidat d 'un parti se fasse connaître.
Les pesanteurs familiales ou sociales ne conduisent pas encore à
une vraie cassure des clivages politiques créant des ponts au dessus
des fossés électoraux.
La majorité des électeurs est plus portée vers
ceux qui ont une présence continuelle dans les médias et
sont des professionnels de la politique
Il existe des traditions et pesanteurs robustes où l 'expérience,
la présence, une longue accoutumance feront toujours en sorte que
le pouvoir va au pouvoir. Et que la capacité et légitimité
de gouverner, les deux qualités sans doute les plus importantes
pour l 'opinion, ne peuvent se gagner seulement le temps d 'une campagne
officielle.
L ' Histoire a prouvé que ce n 'est que dans le cas d 'un réel
besoin formulé par le peuple, les médias et les personnels
politiques qu ‘un homme en dehors des partis peut arriver au pouvoir. Mais
pour cela il doit remplir deux conditions : que le pays soit en état
de crise avéré et qu 'il dispose déjà d 'une
légitimité militaire et/ou héréditaire.
Le système conduit à ce que les hommes d 'état
deviennent le temps de l 'élection des candidats démontrant
qu 'ils peuvent être des hommes d 'état. Et les partis de
gouvernement deviennent le temps de l 'élection des partis de conquête
du pouvoir.
Ce sont ces conclusions qui font en sorte Marcel Barbu et Jacques Cheminade
ne peuvent être sur la même ligne de départ que les
autres.
Mais établir des règles égalitaires c 'est leur
donner une chance de pouvoir être des candidats à l 'élection
présidentielle et non simplement les candidats « kleenex »
de la campagne officielle.
Règles égalitaires qui ne bénéficieraient
pas seulement aux hors parti.
Ainsi l 'élection de 2002 se profile, sur toutes les questions
soulevées par cette étude, dans la lignée des précédentes
pour les petits candidats avant l 'entrée en scène possible
d'un nouveau Marcel Barbu ou à nouveau de Jacques Cheminade.
Le prétendant Dieudonné, coluchien de tendance sectaire,
suivant la méthode de Jacques Cheminade selon laquelle là
où passe le premier postulant les signatures ne repoussent pas,
annonce dès juin 2001 à la télévision qu 'il
a obtenu les cinq cent signatures. Soit près d 'un an avant l 'élection
et surtout avant que les maires aient pu juger entre tous ceux voulant
se présenter.
Les candidats à l ‘ élection de 2007 commenceront-ils
le ratissage des mairies dès le lendemain du second tour de 2002?
Avec Noël Mamère les verts espéraient battre le
prétendant communiste, avec l 'inconnu du grand public Alain Lipietz
ils commencent à douter de leur capacité à atteindre
les 5%.
En juin 2001, la Ligue Communiste Révolutionnaire choisit de
présenter Olivier Besancenot à l ' élection. Dans
son numéro du 28 juin 2001, L ' Express s 'interroge : «
le jeune Olivier parviendra-t-il en dix mois, à surmonter son absence
de notoriété »? (13).
Les sondages emploient le conditionnel pour déclarer Jacques
Chirac ou Lionel Jospin vainqueur du second tour en 2002 mais médiatiquement
le premier est déjà joué.
Face à cette lutte pour la conquête et ouverture des espaces
de l 'élection qui fait déjà rage.
Face à cette pré-campagne déjà commencée
où les mêmes schémas de positionnement se répètent
sans surprise.
La seule interrogation qui subsiste est la suivante : Jacques Cheminade
occuperait-il un autre espace politique, médiatique et électoral
qu 'en 1995 et que d 'éventuels autres candidats hors parti si il
parvenait à se représenter en 2002 ?
Existe-t-il vraiment un doute sur la réponse ?
Notes de la conclusion