- Section 2 - Onde de choc médiatique
D 'abord les médias ont-ils accompagné les candidats jusqu
'à la fin de l 'élection ou les ont-ils abandonné
dès la connaissance de leurs résultats?
Pour Marcel Barbu, plusieurs journaux comme La Croix décident
d 'intituler leur article de lendemain de premier tour «objectifs
atteints » (36).
Est-ce que par le fait que le candidat ait atteint ses objectifs, l
'espace médiatique se ferme définitivement?
Seuls Combat, Le Monde et Le Figaro continuent à suivre Marcel
Barbu après l 'obtention de ses 1,15%. Ces trois quotidiens consacrent
leur suivi aux reports de voix pour Françcois Mitterrand dans
de brefs articles (37). Pour les autres journaux une nouvelle campagne
commence, celle du second tour. Ce report de voix n 'est donc pas repris
par les autres quotidiens et hebdomadaires. Le candidat n 'ayant plus accès
à la télévision, sa décision n 'est au final
que très peu relayée. Et sans doute tous ses électeurs
de premier tour n 'ont pas été informés.
Marcel Barbu choisit en effet une conférence de presse pour
s 'exprimer sur cette décision. La télévision lui
étant fermée et n 'ayant pas de moyens financiers pour continuer
à s 'exprimer par des tracts diffusés à échelle
nationale, c 'est sur la presse que repose uniquement entre les deux tours
ce lien entre lui et ses électeurs. Lien qui n 'est donc pas établi
complètement, le filtre médiatique ayant jugé que
son poids électoral n 'est pas assez important pour lui permettre
de continuer à bénéficier d 'un espace de candidat.
Ses deux semaines de campagne semblent donc correspondre pour lui exactement
à ses deux semaines d 'exposition dans la presse.
La sanction des urnes s 'est pour l 'occasion accompagnée d
'une sanction médiatique à la hauteur de son résultat.
Qu 'en est-il pour Jacques Cheminade qui a obtenu 0,28% des voix?
Les titres choisis le lendemain du premier tour pour annoncer son score
sont déjà révélateurs.
Et encore quand ces articles de conclusions existent. Pour certains
journaux son score obtenu offre en lui-même une conclusion sans qu
'il soit besoin d 'en rajouter. C 'est le cas de L ' Humanité, Libération
et Infomatin qui ne lui ont offert aucun article d 'accompagnement de son
chiffre.
Les titres choisis indiquent que les articles existant sont plus une
oraison funèbre qu'une intronisation dans le monde médiatique.
Ainsi Paris March qui appelle son compte-rendu : « l 'autre campagne»
ou Le Figaro « en marge des partis traditionnels » dans un
article sur Arlette Laguiller, Dominique Voynet et Jacques Cheminade (38).
Une autre campagne commence après le premier tour, une fois
que les candidats en marge ont été écartés
par les urnes. Dans l' élection qui continue Jacques Cheminade n
'a plus sa place.
D 'ailleurs aucun journal ne fait d 'article sur ses intentions de
report de voix, qui les avaient tant intéréssé pendant
la campagne officielle. Il est vrai aussi qu ' étudier un report
portant sur à peine 0,3% des suffrages n 'a pas de sens et serait
à coup sûr plus de l 'ironie que de l 'information.
1,15% des voix ouvre donc un espace entre les deux tours de trois brefs
articles dans trois journaux, 0,3% dans aucun. Mais par la différence
du nombre de candidats en lice, l 'intêret se porte plus de façon
mécanique sur quatre battus que sur sept.
Si pour Jacques Cheminade l 'intêret est nul, pour Marcel Barbu
il est quasi inexistant.
C 'est Le Parisien qui dans son article de lendemain du premier tour
annonce le plus clairement que le pourcentage de Jacques Cheminade ne le
fera pas changer de statut médiatique. D 'abord en intitulant son
article « le néant » et en l 'accompagnant de cette
sentence et ce verdict: «inexistant dans cette élection il
le reste avec un score trop faible pour signifier quoi que ce soit»
(39).
Une conclusion transitoire d 'après cet espace post-électoral
peut déjà se faire pour Marcel barbu et Jacques Cheminade.
De même que les médias avaient attendu le début
de la campagne officielle pour les intégrer, le jour du premier
tour est aussi le dernier pour eux d 'exposition. L 'ampleur de leur résultat
n 'a pas pu transfomer leur campagne en investiture médiatique.
Ils n 'ont pas pu gagner la stature pour les faire passer d' anciens candidats
à des hommes politiques.
Mais contrairement à la campagne officielle cette fois la décision
des médias ne peut pas donner lieu à des polémiques
sur cette fermeture de leur espace, le résultat obtenu étant
le point et le poids final de leur candidature. La hiérarchie des
urnes guide logiquement celle des médias dans l 'immédiat
de l 'après-élection.
Simplement si les médias n 'avaient pas anticipé ce score
dans leur traitement dans toutes les caractéristiques et avec toutes
les conséquences etudiées précédemment, auraient-ils
été aussi inexistants?
Le cercle n 'a pas pu être brisé. Jacques Cheminade
et Marcel Barbu qui n 'avaient pas assez d 'espace électoral en
venant dans la campagne pour avoir un espace médiatique équitable,
n 'ont pas pu obtenir un score suffisant pour continuer à exister
médiatiquement.
Sur ce plan, et contrairement à l 'espace politique, leur bizutage
ne s 'est pas transformé en expérience.
Mais est-ce vraiment le cas une fois l 'élection passée
et dépassée ?
Si ils ont quasiment disparu après le premier tour de l 'élection
à laquelle ils concouraient, est-ce qu'ils ont quand même
pu gagner un statut d 'ancien candidat qui, en dehors de toute considération
sur leur score, leur a ouvert un espace médiatique ultérieurement
lors de leurs nouvelles batailles politiques et actions publiques voire
privées?
Une étude à travers l 'ensemble des journaux n' a pas
été faite pour cette section. Car il s 'agit plus d 'observer
une onde de choc que de la comparer et l' analyser. N 'ayant pas étudié
aussi complètement que pour ces deux campagnes présidentielles
les raisons exactes et circonstancielles d'un nouvel intêrèt
médiatique pour Marcel Barbu et Jacques Cheminade, les interprétation
ne peuvent être que générales. L 'observation de leur
vie médiatique post-électorale a été effectuée
dans le quotidien dit «de référence» : Le Monde.
Il en ressort que sur un plan politique ce quotidien a accompagné
Marcel Barbu de sa première grande réunion privée
de mars 1966 jusqu 'aux résultats de sa campagne législative
de 1967 en lui accordant un traitement qu 'il n 'aurait pas eu sans son
aventure présidentielle.
Ce nouveau statut se confirme dans l' expression d ' «ancien
candidat à la présidence de la république» accolée
systématiquement à son nom et utilisée à la
fois pour le présenter aux lecteurs, lutter contre leur oubli potentiel
et justifier sa présence dans ce journal (40).
Jacques Cheminade bénéficie du même traitement
étant devenu «ex-candidat à l'élection présidentielle»
(41).
Tous ces articles ont deux caractéristiques : ils sont épisodiques
et brefs. Jacques Cheminade entre le lendemain de l 'élection et
2000 ne bénéficie que de trois articles. Un droit de réponse
à l 'analyse du journal sur son résultat, un article
relatif à sa condamnation pour vol et un autre article désormais
rituel où le candidat «assure réprouver «totalement
l'idéologie en cause», ses statuts rejettant «toute
idéologie du sol, du sang ou de la race»» (42).
Pas besoin de revenir sur l 'article concernant son analyse différente
de celle des médias sur son résultat. Mais les deux autres
articles sont aussi intéressants.
Celui de 1996 concernant sa condamnation pour avoir volé
de l 'argent à une vieille dame atteinte de la maladie d ' Alzheimer
est présenté presque comme un fait divers avec un article
bref de quelques lignes. Alors que pendant l 'élection cette affaire
avait été un point central de l 'intêrèt des
médias pour le candidat et une explication donnée à
l 'ampleur de son résultat. Avec l 'éloignement de l 'oeil
grossissant et focalisé de la campagne sur les moindres faits des
prétendants, il est avéré que l 'intêret médiatique
pour cette histoire judiciaire a fait «pshiiit». Ce qui démontre
surtout que le poids de Jacques Cheminade est désormais très
faible.
Le dernier article de 1998 est également révélateur.
Pendant toute l 'élection le candidat a répété
inlassablement que son mouvement n 'était pas classé à
l 'extrême droite. Les extraits du statut de son nouveau parti stipulent
comme objet qu' il réprouve toujours toute idéologie de sang,
race et sol. Mais cela ne suffit toujours pas. Quand Le Monde doit classer
politiquement un candidat de Solidarité et Progrès à
l 'élection cantonale, il lui met l 'étiquette «extrême
droite» et Jacques Cheminade doit ressortir sa maxime pour se justifier
et rectifier.
Les deux camps sont donc restés sur leurs positions respectives.
L 'élection présidentielle n 'a aucunement modifié
la façon dont Le Monde voit son mouvement. Dans un article de 1993
il classe déjà le président de la fédération
pour une nouvelle solidarité «sur le front de l'extrême
droite» (43).
Sur le fond, dans les thèmes abordés et sur la façon
de traiter l 'ancien candidat, la position du Monde n 'a pas évolué.
Sa présence médiatique est uniquement dûe aux sujets
par lesquels il avait existé pendant la campagne et il n'y a pas
pour lui de nouvel élan ni espace médiatique.
Ce qui n 'est pas le cas de Marcel Barbu en ce qui concerne les thèmes
abordés.
La journal suit au cours d 'articles espacés l 'évolution
de ses trois propositions de campagne et sa campagne législative
de 1967 donne lieu à trois articles dont un où il peut
exposer le renouvellement de ses idées et leur évolution
depuis décembre 1965 (44).
Mais plus intéressant est un article du 12 juillet 1966 qui
a pour seul sujet le remariage d'un homme.de 58 ans qui quitte la
mère de ses douze enfants pour épouser une femme de 28 ans
(45).
Remariage confirmant l 'adage selon lequel tout homme effectuant une
cure médiatique en ressort avec une femme plus jeune?
Là n 'est pas un des thèmes d 'analyse de cette étude.
Ce qui en ressort c 'est que l 'intêret médiatique lui
a ouvert un nouvel espace qui touche à sa sphère privée
avec pour seule raison qu 'il a été candidat à l 'élection
présidentielle. C 'est en cela, et uniquement en cela, que ce bref
article est révélateur.
Marcel Barbu continue donc plus que Jacques Cheminade a pouvoir bénéficier
de l 'intérêt du Monde même si c 'est dans une faible
mesure et de façon non régulière.
Ainsi qu 'ils n 'étaient pas intégrés dans le
débat pendant la campagne ils ne sont présents que par ce
qu 'il leur arrive et non en étant consultés comme les hommes
politiques traditionnels par rapport à l 'évolution du pays
et des hommes au pouvoir.
Leur espace reste cloisonné, faible et en marge de la vie politique.
Qu'en est-il maintenant des réactions des candidats face aux
médias après l 'élection?
Jacques Cheminade avait critiqué de façon continuelle
son traitement pendant sa campagne. Va-t-il se battre pour continuer à
apparaître dans les médias?
Marcel Barbu voulait survivre médiatiquement à sa campagne.
Par quels moyens s 'y emploie-t-il?
Dès son engagement dans la campagne, le moyen privilégié
d 'accès aux électeurs selon Marcel Barbu est la télévision.
Pendant la campagne une de ses trois propositions est de continuer à
en profiter. Entre les deux tours, il se range derière le candidat
de la gauche parce qu 'il accepte de reprendre à son compte cette
proposition. Après la victoire de De Gaulle, il continue à
se battre pour qu 'elle soit appliqué. Marcel Barbu est donc pleinement
conscient que l 'espace médiatique est pour lui fondamental si il
ne veut pas disparaître politiquement et électoralement.
Ce souhait semble devenir une obssession après qu 'il ait épuisé
tous les recours pour le réaliser. Car il ne se décourage
pas. Dans un numéro du journal de son association daté de
juin 1966 il «annonce qu 'il va écrire à M Jean Farran
pour lui demander de lui réserver un face-à-face à
la télévision et suggère à ses amis d 'adresser
des lettres dans le même sens à l ' ORTF, à leurs journaux
habituels et à leurs élus» (46).
Il sait que par les hommes politiques sa proposition ne passera pas
et qu 'il ne pourra bénéficier de son heure mensuelle pour
s 'adresser aux français. Il s 'adresse donc direcetement au peuple
dans une supplique de la dernière chance pour envahir de lettres,
comme autant de bulletins de vote en sa faveur, la télévision,
la presse mais aussi les homme politiques locaux ce qui est plus étonnant.
Peut-être a-t-il le souvenir de ses cent signatures de parrains
si facilement acquises et qu 'il veut retrouver et démultiplier
dans son nouveau combat.
Cette émission politique en direct «Face-à-Face»
apparue début 1966 qui est un débat entre un homme politique
et des journalistes a déjà eu comme invités au moment
où Marcel Barbu lance son appel Guy Mollet le 24 janvier 1966, Valèry
Giscard D ' Estaing le 15 février et Georges Pompidou le 23 mars
1966. Autant dire des clients d 'une stature et une assise politique indéniable
à laquelle Marcel Barbu veut donc être comparé avec
ses 1,15% des voix qui constituent son seul repère. Il n 'obtient
pas satisfaction dans sa requête et sa conquête audiovisuelle
s 'est finalement arrêtée le 6 décembre 1965. Mais
il continue quand même a surveiller ce qui est écrit sur lui
dans la presse.
En novembre 1967, suite à un article du Monde sur les modalités
de remboursement par l 'état de ses documents électoraux
lors de sa campagne de 1965 et concernant un procès avec un imprimeur
pour ces mêmes documents, l'ancien candidat envoie un droit de réponse
rectificatif au journal (47).
Ce n 'est donc pas passivement qu'il vit l 'évolution de sa
couverture médiatique mais il ne peux rien faire pour l 'enrayer
et ouvrir de sa seule initiative un espace télévisuel.
Les rapports difficiles entre Jacques Cheminade et les médias
ne datent pas de sa campagne de 1995.
Sur son site internet il explique sa vision des journalistes et tente
de trouver une permanence et une continuité à ce qu 'il considère
comme des attaques répétées contre son mouvement qu
'il fait remonter à 1986 et l 'assassinat du premier ministre suédois
Olaf Palme imputé à un des membres du Parti Ouvrier Européen
alors qu' il était le dirigeant de la branche française de
ce mouvement (48).
De cet épisode qu 'il qualifie «d'une des plus importantes
opérations de désinformation du XXème siècle,
si l'on tient compte de la disproportion entre les moyens du POE pour «faire
face» et l'acharnement mis à lui nuire», à la
révélation de sa condmnation pour vol pendant la campagne
électorale de 1995 qui est «pour certains journalistes
serviles, lesquels n'avaient de toute façon pas la moindre intention
de laisser la parole à Jacques Cheminade, (...) du pain béni
(...) dans le cadre d'une virulente campagne de diffamation, », une
seule conclusion s 'impose sur le rôle des médias et de ceux
qui les nourissent : «les journalistes d'aujourd'hui, dans
leur majorité, ne retiennent « l'extraordinaire » que
lorsque cela correspond à leurs intérêts ou à
ceux de leurs « sponsors », sans tenir compte de l'injustice
ni des souffrances subies par les victimes des calomnies de leurs propres
organes» (49).
Dans la mesure où «la nomenklatura financière,
médiatique et politique n'a aucune sympathie pour notre combat»,
Jacques Cheminade a-t-il été soulagé de disparaître
presque totalement de la sphère médiatique juste après
le premier tour et entretenu cet intêret décroissant par un
mutisme total (50) ?
Il n 'a pas montré le même acharnement que Marcel Barbu
pour continuer à exister, se contenant à l 'occasion d'un
droit de réponse dans Le Monde en 1998 pour réaffirmer le
positionnement de son mouvement (51).
Mais il sait aussi, par expérience maintenant, qu' attendre
que les médias l'intègrent dans leur campagne revient à
enlever plusieurs cartouches de la roulette russe électorale et
qu 'il est ainsi plus difficille de viser juste. C 'est pourquoi il conseille
à ses militants pour sa nouvelle campagne de 2002 de préparer
aussi le terrain médiatique pour ne pas apparaitre au grand jour
subitement : «concrètement, les militants sont encouragés
à préparer des interviews (...) avec divers médias
locaux et régionaux» (52).
Marcel Barbu et Jacques Cheminade sont tous les deux conscients que
compte tenu de leurs moyens c 'est par cet espace que la relation avec
le plus grand nombre, hors des espaces obligatoires et réglementaires,
peut et doit se faire. Mais ils ne sont pas maîtres de cet espace.
Au final deux éléments concernant Marcel Barbu concluent
bien, ce qu' est leur après-campagne .
Avant même le résultat du second tour un film est en projet
sur lui (53).
Mais ce projet décidé dans le feu de son exposition disparaît
de la scène en même temps que lui. Il aurait été
intéressant de comparer notamment le nombre de spectateurs avec
celui de ses électeurs quelques mois après. Et ce film aurait
surement fourni des enseignements importants pour cette étude sur
la digestion médiatique d 'un candidat hors parti.
Enfin dans sa nécrologie parue en 1984 dans Le Monde, sa biographie
s 'arrête par ces mots : «Marcel Barbu s était fait
connaître en 1965 en se présentant à l 'élection
présidentielle où arrivé en dernière position
il obtint 279685 voix soit 1,15% des suffrages exprimés au premier
tour. Pour le second tour, il avait « sans enthousiasme » conseillé
à ses électeurs de voter pour M François Mitterrand»
(54).
De 1965 à 1984, l 'ancien candidat n 'a pas existé.
Marcel Barbu est mort médiatiquement le 6 décembre 1965.
Les candidats hors parti ont-ils aussi disparu électoralement
le soir de leurs résultats ou bien leur combat politique qui continue
s 'est-il accompagné de nouvelles luttes électorales?
Se considèrent-ils d 'abord comme responsables de leurs voix
et veulent-ils entretenir un rapport avec leurs électeurs ?
Essaient-ils de construire ou développer leur mouvement à
partir de ces résultats?
Et enfin si ils mènent de nouvelles campagnes, est-ce avec une
méthode différente de leur aventure présidentielle,
à quelle échelle et pour quel résultat?