- Section 2 - Pendant la campagne : sondages et espérances
Le journal Infomatin dès l'ouverture de la campagne officielle
de 1995 est très net : « une campagne officielle ça
sert à quoi? A rien. A faire croire à une égalité
entre tous les candidats (...) Mais a-t-on jamais vu une campagne officielle
renverser le cours des choses? Non » (6).
L 'influence que peut avoir une telle analyse par un journal sur la
façon d 'accueillir un prétendant hors parti a déjà
été analysée dans la partie précédente.
Si elle est vrai non seulement pour les médias mais aussi pour les
électeurs il est certain que Marcel Barbu et Jacques Cheminade n
'ont aucune chance de réveiller un électorat en quinze jours.
Du fait même que les médias et les candidats traditionnels
commencent leur campagne avant le début de la campagne officielle,
à l 'arrivée des hors parti, une grande partie des
électeurs est déjà fixée.
Est-il possible pour eux de séduire ceux qui sont encore indécis
et qui ne se retrouvent pas dans le panel des candidats existants ?
Sur les comportements électoraux pendant la campagne officielle
les études sont concordantes (7).Ce sont les électeurs les
plus politisés, les plus partisans et donc les moins susceptibles
de changer d 'avis pour un autre aspirant qui suivent avec le plus d 'assiduité
la campagne officielle pour en quelque sorte être confirmés
dans leurs convictions
Les catégories les moins intégrées, les plus indécises,
celles ne participant pas régulièrement à la politique
sont les moins polarisées et celles se détournant le plus
de la campagne. C. Ysmal dans son livre sur « le comportement
électoral des français » en conclut que «
la campagne électorale intervient dans le vote. sans faire l 'élection
elle joue sur les marges qui vont cependant décider du résultat
» (8).
Elle n 'aurait donc pas un rôle complètement nul mais
pourrait bien servir à un candidat hors parti non pas à faire
coïncider totalement le peuple qu 'il pourrait théoriquement
séduire avec celui qu 'il aura au premier tout mais au moins à
commencer un travail de rassemblement.
Le journal Combat dans sa présentation de la candidature de
Marcel Barbu reconnaît cette mobilisation potentielle et possible.
L 'Aurore en écrivant à propos de sa campagne : « et
pourtant si il s ‘était fait le personnage qui crie simplement l
‘injustice, le défenseur des déshérités, au
lieu de se lancer dans des conceptions lunaires de la vie politique, quelle
audience n ‘aurait-il pas obtenue ? » reconnaît aussi, en y
ajoutant son propre jugement qui est celui des médias en général
sur sa candidature, qu 'une adéquation entre électorat théorique
et réel peut ou aurait pu se faire(9).
Mais justement cette adéquation s 'est-elle effectuée
pendant les campagnes de 1965 et 1995?
Dans les faits, quel chemin électoral ont parcouru les candidats
hors parti et les électeurs jusqu 'à la concrétisation
du premier tour?
Il existe deux sources principales pour mesurer cette évolution
pendant la campagne. D ' une part du côté de ceux qui votent
avec les instruments de mesure que sont les sondages et enquêtes
d 'opinion et d 'autre part du côté de Marcel Barbu et Jacques
Cheminade par leurs déclarations faites au long de la campagne.
Ne disposant pas de l 'indice des chiffres des rassemblements populaires
car ils n 'organisent pas de réunions ni de ceux de l 'audimat,
car ils n'apparaissent quasiment que dans les émissions réglementaires,
les sondages d'opinion et enquêtes des journaux sont pour les hors
parti les meilleurs et presque les seuls points de repère sur leurs
estimations électorales avant le premier tour.
Dans ses comptes de campagne Jacques Cheminade consacre 21 406 francs
aux enquêtes et sondages (10). Ce chiffre est largement inférieur
par exemple à Lionel Jospin qui dépense lui 1 824 068 francs,
mais Dominique Voynet n 'a elle pas consacré d 'argent à
ce poste de dépenses. Il n 'est pas possible de savoir exactement
sur quoi portaientt ces sondages faits à l 'initiative propre de
Jacques Cheminade mais cela démontre que ces estimations font partie
de ses préoccupations.
Pourtant si les sondages sont les instruments principaux utilisés
par les médias comme les candidats avant les résultats réels
pour donner et se donner un poids, ils posent deux problèmes importants
spécifiques aux hors parti.
Le premier est un problème de temps et de délai. Jacques
Cheminade dépose ces cinq cent signatures le dix-sept mars.
Dans sa lettre envoyée au CSA le 21 mars 1995 il se plaint que «
les divers instituts de sondages n 'ont pas retenu son nom »(11).
Ce qui prouve encore l 'importance qu 'il leur donne mais aussi que
chaque jour est pour lui compté pour commencer à mesurer
son électorat potentiel. Le premier sondage qui le prend en compte
est réalisé du 25 au 27 mars, le second le cinq avril(12).
La loi qui impose que dans la dernière semaine avant le premier
tour des estimations ne soient pas publiées fait que les derniers
sondages, qui précèdent forcément encore de quelques
jours leur publication, sont datés du douze et treize avril pour
être publiés le seize (13).
Le candidat n 'a donc bénéficié à plein
des prévisions que durant une semaine, laps de temps très
difficile pour mesurer une réelle évolution. D 'autant plus
que les médias se basent sur ces sondages dans la dernière
semaine donc le poids attribuè à Jacques Cheminade et celui
qui sert de référence est défini avant même
qu 'il ait pu être mesuré sur la durée.
Marcel Barbu connaît le même problème mais cette
fois il peut bénéficier réellement des deux semaines
de campagne officielle correspondant aux deux semaines où il est
présent dans les sondages. Même si leur publication est largement
moins utilisée par les médias du fait de leur nouveauté,
jusqu 'aux éditions de la veille du premier tour il est présent
et est confronté aux chiffres des autres prétendants (14).
Il n 'a pas le désavantage de Jacques Cheminade qui commence
à être proposé en choix aux électeurs avant
que sa candidature soit entérinée par le Conseil constitutionnel
et donc qu 'il ait pu apparaitre dans les émissions télévisées
de la campagne officielle et que les médias soient en conséquence
obligés de relayer son message. Mais deux semaines sont quand même
très courtes pour mesurer une évolution par les sondages
quand les autres bénéficient de cet outil continuellement
du lendemain de la dernière campagne présidentielle à
la trève d 'une semaine avant le premier tour de la suivante.
L 'autre problème qui se pose à eux est que leur électorat
potentiel est aussi le plus indécis et donc celui qui n 'apparaît
pas dans les sondages. Pour rejoindre un candidat, surtout hors parti,
il faut d 'abord savoir ce qu 'il propose et qui il est. Dans ces conditions
les deux semaines de campagne doivent être utilisées à
plein et ne sont pas de trop pour que commence à se dégager
un électorat qui se fixe à eux.
Et tous les sondages rapportent les estimations par rapport à
tous ceux qui acceptent de se prononcer, l 'addition des voix de tous les
prétendants donnant 100. Alors qu 'il serait plus logique de prendre
aussi en compte tous les indécis. Ce qui prouverait que la campagne
n 'est pas encore jouée, que Marcel barbu et Jacques Cheminade
ont bien un potentiel de voix non fixé quand ils arrivent et que
les voix ne sont pas déjà toutes distribuées entre
les autres postulants.
Car une étude de l 'évolution des indécis est
possible pour la campagne de 1995 et démontre bien qu 'au moment
où le hors parti entre dans le jeu électoral, il a encore
une capacité de mobilisation.
Selon un sondage réalisé les 7 et 9 février 1995,
56% des sondés sont sûrs de leur choix, les 21 et 22 févier
le même sondage donne 55% (15).
A la mi-février toujours, 51% des sondés déclarent
vouloir émettre un vote d'adhésion mais 34% penchent plutôt
pour un vote de protestation, le reste ne se prononçant pas encore
(16).
Au moment où la campagne officielle débute le pourcentage
d 'indécis se réduit, variant entre 28 et 33%, soit une part
plus importante que le plus grand score estimé pour un candidat
(17).
Quelle conclusion en tirer?
Qu' entre février et le début de la campagne officielle,
une grande partie des électeurs indécis s 'est déjà
fixée sur un prétendant, donc la part théorique dont
peut disposer Jacques Cheminade est largement réduite. Ce qui indique
d 'une part que l'élection commence largement à se jouer
avant le début de la campagne officielle aussi pour les électeurs
qui suivent ainsi les médias mais aussi que cette campagne a bien
un réel rôle. Le nombre d 'électeurs n 'ayant pas encore
fait de choix deux semaines avant le premier tout étant largement
supérieur au nombre final d 'abstentionnistes.
Jacques Cheminade n 'arrive donc pas dans un territoire où les
voix sont complètement distribuées.
Ce qui pose aussi un problème pour les médias qui avouent
eux-mêmes dans leurs colonnes à propos des sondages que «leur
impact sur le traitement médiatique de la campagne n 'est pas moindre»
(18).
Dans ces conditions la forte proportion d 'abstentionnistes peut complètement
fausser le poids que les médias donnent à tel ou tel candidat.
L 'Express dans un article sur «le poids des abstentionnistes»
l 'explique ainsi : «les indécis gâchent un peu le plaisir
des commentateurs et des politologues (...) Ils sont là, dans un
coin, silencieux un peu absents. Mais pesants comme un reproche. (...)
Les indécis auraient le loisir s 'ils le voulaient de réduire
en poussière les commentaires les plus sûrs» (19).
Extraordinaire aveu sur l 'utilisation qu 'ils font des sondages, du
poids qu 'ils leur donnent en tenant compte de leur non-fiabilité.
Mais encore plus extraordinaire est cette phrase écrite dans
Libération dès le sept mars qui assurément est très
riche en sens : «il faudrait savoir virtualiser les majorités
insondables» (20).
Ce n 'est que la manifestation d 'une volonté que le poids que
les médias donnent à un candidat par des estimations corresponde
à son résultat final et non l 'inverse. Démarche d
'anticipation qui va à l 'encontre d 'un traitement démocratique
et égalitaire de tous les prétendants en lice. Et qui s 'illustre
aussi dans cette phrase prononcée par un commentateur sur France
Inter le jour de l 'ouverture de la campagne officielle : «il n 'est
pas exclu que l 'on soit obligé d 'attendre le premier tour pour
savoir» (21).
De tout ceci il en ressort que les indécis ont à subir
le poids donné à un candidat en fonction de ce que pensent
les autres électeurs. Donc leur choix est plus porté mécaniquement
vers celui à qui les médias donnent le plus de place et rapportent
tous ses faits et gestes de campagne.
Il en est de même pour le postulant hors parti qui veut séduire
ceux qui ne sont pas encore fixés mais qui subit le poids donné
par les électeurs qui ont fait leur choix avant qu 'il arrive dans
l 'élection.
Dans ces conditions tout est faussé.
Poussant vers deux situations prévisibles l 'électeur
indécis : prendre le train en marche du vainqueur ou de ceux en
situation de gagner ou l 'encourager à l 'abstention si le traitement
médiatique des sondages réussit à le convaincre que
les jeux sont dèja faits.
En tenant compte de tous ces faits qui assurément aménuisent
largement l 'électorat théorique dont peuvent profiter Marcel
Barbu et jacques Cheminade, quels ont été les chiffres des
sondages pour eux ?
Pour ce qui est du prétendant de 1965 il est difficile de trouver
de réels points de repère, le nombre d' ' enquêtes
d 'opinion réalisées ayant été très
faible.
D 'autant plus que le premier sondage où il apparait est publié
le premier décembre soit plus d 'une semaine après qu 'il
se soit officiellement déclaré. L 'explication tient au fait
que le temps de réalisation des sondages en 1965 est largement plus
grand qu 'en 1995 et porte sur 3000 peronnes au lieu de 1000 généralement.
Ainsi la première enquête l 'incluant est effectuée
du 17 au 27 novembre et lui donne pour estimation 0,5% (22). De ce premier
sondage au dernier publié la veille du vote, la cote de Marcel Barbu
varie entre 0,5% et 1,5%.
Etrangement le sondage le plus complet est publié après
le premier tour (23). Il porte sur la comparaison de quatre enquêtes
réalisées entre le 22 octobre et le 2 décembre à
propos du sexe, de la profession et de la préférence politique
des électeurs pour chaque candidat.
Concernant Marcel Barbu, qui n 'est présent que dans les deux
dernières enquêtes, il est difficile d 'évaluer ces
chiffres encore une fois par leur faiblesse, son score variant de 0 à
2,5%.
Lui qui se réclame comme le candidat des chiens battus obtient
ainsi sa plus forte estimation chez les «industriels et commerçants»
avec 2,5% contre 0,5 % des ouvriers se déclarant prêts à
voter pour lui. De même 0% de l 'électorat gaulliste a l 'intention
de le soutenir alors que c 'est celui à qui il s 'adresse le plus
souvent.
La seule chose à remarquer est celle-ci : que ce soit en fonction
du sexe, de la profession ou du positionnement politique il n 'existe aucun
pic d 'intentions de vote pour lui.
Il y a la confirmation que le candidat hors parti n 'a pas d 'électorat
quand il commence sa campagne, ce qui est encore une fois logique, les
électeurs potentiels ne disposant que de deux semaines pour le jauger,
le temps de la campagne officielle est aussi celui correspondant exactement
au choix. Il n 'existe pas non plus comme cela est le cas chez les maires
accordant leur signature de vote réflexe en sa faveur du fait même
de son statut d'inattendu.
En est-il de même pour Jacques Cheminade?
Le prétendant de 1995 ne part pas de 0,5% mais de 0%. Comme
l 'indique Le Parisien le jour d 'ouverture de la campagne officielle il
est «inconnu du grand public comme le montre notre sondage où
il récolte 0%» (24).
Pour les candidats hors parti les premiers sondages sont seulement
une confirmation qu 'ils sont hors parti et rien de plus. Le problème
est que les médias ont transformé ce test de notoriété
en intentions de vote. L 'impact sur les appréciations des électeurs
n 'est sans doute pas nul.
La multiplication des sondages a-t-elle permis d 'établir une
évolution?
Non. Le pourcentage d 'intentions de vote n 'a jamais été
supérieur à 0,5%.
Un des derniers sondages qui est publié le 17 avril divise quand
même son nombre de voix potentielles par 5, le faisant passer de
0,5 à 0,1% (25). Ces enquêtes étant réalisées
sur un panel maximum de 1000 personnes, 0,1% indique que une des mille
personnes interrogées s 'est déclarée en faveur du
candidat. Ce qui pose quand même des questions sur la fiabilité
des sondages portant sur les faibles scores. Le journal Le Monde est d
'ailleurs le seul à indiquer systématiquement en conclusion
de chaque enquête publiée que «la marge d'erreur, pour
un échantillon de mille personnes, est de deux à trois points»
(26).
Dans ces conditions il est difficile de tirer des enseignements
sur leur évolution.
Mais il est certain que le temps des sondages arrêtés
une semaine seulement après que Jacques Cheminade se soit fait connaitre,
est trop resséré pour mesurer si un électorat réel
peut adhérer au candidat.
Le seul enseignement est que chaque électeur, tant pour Marcel
Barbu que Jacques Cheminade, qu 'il soit indécis ou proche d 'un
parti est pour eux à gagner.
Un sondage paru dans Paris Match en 1995 est le seul à donner
des indications sur les reports de voix qui pourraient se faire sur Jacques
Cheminade parmi les électeurs déclarant vouloir voter pour
un autre (27). Cette enquête indique ainsi que 3% des électeurs
d ' Arlette Laguiller se porteraient en deuxième choix sur Jacques
Cheminade, 1% de ceux de Jacques Chrirac, 2% de ceux de Philippe
de Villiers et 0% de ceux des autres. Même si encore une fois les
conditions de réalisation de cette enquête laissent à
désirer car portant sur 1000 personnes pour l 'ensemble des candidats
et non pour chaque. Par exemple dans les sondages Arlette Laguiller est
estimée à 5% soit 50 personnes sur les mille. Dans ces conditions
que vaut la fiabilité de ces 3% de Jacques Cheminade sur un panel
de 50 personnes au maximum ?
Il reste qu 'à partir de ces très faibles chiffres, la
marge de maneuvre et de séduction chez les électeurs proches
d 'un parti apparait quand même infime. C 'est bien chez les indécis
que Jacques Cheminade peut draguer l 'électeur qui sommeille.
En dehors de ces données brutes portant sur l 'ensemble de l
'électorat il existe aussi d 'autres études plus sectorielles
qui permettent peut-être de donner des indications plus précises
sur les rassemblements électoraux qui peuvent se faire pendant la
campagne derrière Marcel Barbu et Jacques Cheminade .
En 1965 ce sont les prévisions des femmes qui ont le plus intéréssé
les journaux
Mais Marcel Barbu arrive après la bataille, le dernier sondage
sur leurs intentions de vote étant publié le 8 novembre 1965
(28).
A cela s 'ajoute un autre sondage sectoriel réalisé auprès
des élèves de l ' IEP et l ' ENA où il obtient 10
voix sur 634. Réultat analysé très froidement et lucidement
par Combat : «quant à M Barbu il a bénéficié
de l 'esprit canular de certains étudiants. Dans ce contexte précis
ce ne sont pas les opprimés qui ont voté pour lui, ce sont
les plaisantins de service » (29).
Plus intéressantes sont deux enquêtes internes réalisées
par Le Figaro et Le Canard Enchaîné au cours de la campagne
officielle.
Celle du Figaro porte sur ses lecteurs non électeurs de 18 à
21 pour savoir comment ils voteraient si ils en avaient la possibilité
(30). 0,64% se portent sur Marcel Barbu. Même si le nombre total
de votants n 'est pas indiqué, il s 'agit là quand même
d 'une indication réelle sur son poids chez l 'électorat
jeune qui n 'a pas encore d 'habitudes de vote. Pourcentage à comparer
avec son résultat final pour voir si il correspond aux votants.
L 'enquête interne faite par Le Canard Enchaîné
est celle offrant le plus d 'indications car il est demandé aux
lecteurs de pronostiquer non pas pour qui ils voteraient mais quel nombre
de voix selon eux obtiendra chaque candidat (31).
Pour Marcel Barbu, les lecteurs ne disposent pas de points de repère
et ce concours tourne à la loterie. Le nombre de suffrages qui lui
est promis varie ainsi entre 1500 et 2 200 000 voix, soit près de
150 fois plus. La moyenne de voix prévue parmi ceux qui croient
au ballotage, ce qui sera le cas, est de 212 728. Il sera intéressant
de mesurer ce chiffre établi dès la première semaine
où il s 'est fait connaitre avec la réalité des urnes.
Concernant Jacques Cheminade, les sondages ont été largement
utilisés sans que les journaux aient senti le besoin de rajouter
des enquêtes internes. Hormis Libération dont les caractéristiques
de son découpage hebdomadaire de l 'électorat politique en
huit familles a déjà été évoqué
précédemment de même que le désavantage qu 'en
a subi Jacques Cheminade arrivant alors que la donne était déjà
faite et les cartes distribuées à chaque candidat(32).
Les catégories électorales qui ont intéréssé
la presse en 1995 ne sont pas les femmes mais la religion et deux catégories
professionnelles prinicpalement : les agriculteurs et les cadres.
Pour ce qui est des agriculteurs un sondage est repris par quasiment
tous les journaux annonçant que «l 'incontournable vote
agricole influencerait encore 15% de l 'électorat» (33). Pourtant
dans ces articles ne se basant pas pour une fois sur les sondages, Jacques
Cheminade dont le programme est sans doute un de ceux les plus tournés
vers l 'agriculture et le monde rural n 'est même pas cité.
Il est présent dans un des articles à propos des cadres
avec une phrase présentée comme très électoraliste,
le candidat déclarant que les cadres sont «la matière
grise du pays» (34). Mais de toutes façons là encore
il arrive trop tard, car comme l 'affirme Infomatin en titre la veille
de l 'ouverture de la campagne officielle « les cadres choisissent
Jacques Chirac » (35). Les cadres ayant déjà voté
avant qu 'il se fasse connaitre, le candidat n 'a aucune raison valable
de vouloir les séduire.
Les tendances religieuses sont aussi vu comme des groupes que les candidats
doivent prendre en compte. Le Monde tente ainsi de démonter la fiction
d 'un électorat juif, pour en conclure qu 'il existe bien mais sans
y intégrer Jacques Cheminade (36).
L'hebdomadaire Minute s 'interesse lui aussi aux voix juives mais également
aux candidats qui tentent de séduire «les beurs» (37).
Dans un souci surement d 'indiquer à leurs lecteurs pour qui ne
pas voter. Encore une fois Jacques Cheminade n 'est pas cité.
Les hors parti ont donc tous les deux subi une non présence
dans les articles sur les types de suffrages qu 'ils pourraient séduire.
Ce qui renforce la difficulté pour eux de savoir dans quelle niche
le candidat des chiens battus et l 'énarque dissident pourraient
le mieux être accueillis.
La conclusion est qu 'il n 'existe pas de base électorale préexistante,
contrairement aux autres prétendants, qui leur sert de produit d
'appel pour en attirer d 'autres et bénéficier de cette fameuse
écoute réflexe des médias qui contribue à
leur donner un poids électoral supérieur qui leur donne à
nouveau un plus grand poids médiatique.
Ce cercle vicieux qui mène aux scores vertigineux n 'est pas
ouvert pour Marcel Barbu et Jacques Cheminade quand ils s 'engagent dans
l 'élection. C 'est uniquement la relation directe qu 'ils essaient
d 'établir avec les électeurs qui peut le briser. Mais deux
semaines apparaissent quand même insuffisantes pour pouvoir faire
jouer ce cercle à fond et surtout pouvoir lui faire faire un tour
complet.
Pour eux le premier vrai contact avec les électeurs est aussi
le vrai et non une estimation : il s 'agit de leur résultat
électoral du premier tour et seulement lui.
Ont-ils eu conscience de cette difficulté et même impossibilité
d 'évaluation de leur électorat ?
Ont-ils eux aussi considéré leurs tests de notoriété
comme des prémices de leur résultat et leurs ambitions ont-elles
évolué au cours de la campagne?
Peu d 'indications sont exploitables sur l 'évolution des espérances
de Jacques Cheminade sur son score final, sa parole ayant été
peu relayée.
Mais une phrase rapportée dans Le Parisien dans son édition
de la veille du premier tout résume bien la façon dont
il a ressenti son évolution dans les sondages : «il dit n
'accorder aucune importance à son score, pourvu que son idée
soit entendue : « 1% ce serait bien » estime toutefois
son entourage « On nous a tellement parlé de Monsieur 0% »»
(38).
Le candidat qui s 'engageait dans la campagne avec l 'espoir que ses
idées soient diffusées vit toujours dans le même espoir
à la fin. Le score qu 'il espère et celui sur lequel il se
base correspond bien à celui retenu par les sondages. Ce qu 'il
veut surtout c 'est en quelque sorte sauver l 'honneur et rien de plus,
laisser une trace même infime et ne pas transformer sa non notoriété
du départ en un non intérêt à l 'arrivée.
Il ne s 'adresse pas non plus et ne compte pas sur des voix particulières,
1% constitue pour lui un seuil symbolique, peu importe qui il représente
et quels électeurs décident de le soutenir.
Qu 'en est-il de Marcel Barbu?
Son tournant et sa décision de prendre sa candidature au sérieux
avaient déjà été motivés en partie par
l 'évolution des sondages.
Dans sa profession de foi il ne s 'adressait qu 'aux délaissés
des autres partis.
Après quinze jours de campagne quelle idée se fait-il
de son poids électoral ?
Sa dernière allocution télévisée est très
révélatrice d'un changement apparent (39).
Concernant l 'ampleur espérée de son score, il avait
fixé à 5% de voix au premier tour le seuil à partir
duquel les anciens candidats à l 'élection télévisuelle
pourraient continuer à s 'exprimer à la télévision.
Ce seuil n 'est évidemment pas choisi au hasard et Marcel Barbu
avance désormais à visage découvert dans cette dernière
intervention face aux français : «je crois que le poids que
mon passage dans ces élections aura pesé me permet honnètement
de revendiquer cette possibilité».
Contrairement à Jacques Cheminade, les résultats des
sondages pourtant publiés la veille du premier tour et qui ne lui
donnent pas plus de 1,5% ne sont pas pour lui des résultats définitifs.
Il sait peut être que chaque jour, même le dernier de la campagne,
peut être une occasion de ralliement à un candidat connu très
tardivement. Il se place dans une dynamique et se base plus sur la campagne
qu 'il a faite à laquelle doit correspondre à un résultat
logique que sur ce que pensent les analystes.
Néanmoins il y a eu une transformation au cours de cette campagne,
ce qu 'il veut par son résultat c 'est plus obtenir ce qu 'il a
fixé comme seuil pour continuer à exister politiquement et
médiatiquement que la reconnaissance de ses idées.
L 'illustration se fait toujours dans cette intervention télévisée
où il essaie de rassembler au-delà des déçus
de la politique, draguant les voix de tous les candidats.
Son intervention commence par : « votez bien sûr, si vous
êtes membres d’un parti, comme votre parti vous le demandera ».
Vous l’eussiez fait en toutes circonstances; par conséquent cela
ne changera rien à rien, mais à tous les autres, je dis «
Votez fermement Barbu, Barbu n’est pas un traitre ».
Mais ce respect des électorats de parti s 'accompagne d 'un
appel réel et sans ambiguïté aux suffrages gaullistes
et à ceux de la gauche.
A ceux du général il «lance (...) un appel
(...). Il y a parmi eux des fanatiques. Eh bien! Mon Dieu! à eux
aussi je dis « Allez votez, votez de Gaulle ». Il en
faut bien un peu. Aux autres, par contre, à ceux qui sont sincèrement
désireux de voir venir, de voir naître un régime de
respect de la personne humaine, à ceux-là je dis «
Votez Marcel Barbu ».
Appel qu 'il renouvelle pour les électeurs de François
Mitterrand, l 'accompagnant d 'une mise en garde contre les objectifs des
autres prétendants et se posant toujours et plus que jamais en candidat
de transition : « votez, bien sûr, comme vous avez décidé
de le faire, mais réfléchissez bien, faites-le en toute bonne
foi à partir de ce critère : le vrai bonheur du peuple
et non pas le triomphe de mon parti. Je ne vous en dirai pas davantage».
Quel autre candidat qu 'un hors parti peut à la fois s 'adresser
aux électeurs de Mitterrand et à ceux de De Gaulle?
Ce racolage sur la voie politique s 'accompagne en plus de mises en
garde répétées sur le fait que voter pour lui n 'engage
pas l 'électeur politiquement et que ses objectifs ne sont pas les
mêmes que ceux des autres prétendants. Si il demande aux électeurs
des autres partis de voter pour lui «ça n’est pas pour vous
piper vos voix, je ne suis pas un pécheur de voix. C’est pour mettre
gentiment vos voix à la glacière pendant quinze jours. (...)
Le risque est nul, croyez moi, votez pour Marcel Barbu (...)
Vous savez bien que je n’ai d’autre ambition que de rétablir notre
liberté d’hommes par l’amour, par la justice et par la vérité
(...) peu importe d’où vient le bonheur du peuple, pourvu qu’il
vienne réellement».
En fait il veut sans doute par cette intervention séduire les
électeurs politisés à qui ils ne s 'est pas adressé
tout au long de la campagne. Il n 'oublie pas pour autant « mes amis,
mes copains», mais ce peuple à qui il s 'adresse depuis deux
semaines, il pense peut-être l 'avoir déjà derrière
lui à ce moment et qu 'il n 'y a plus besoin de le convaincre. D
'où cette nouvelle offensive qui n 'est pas contraire mais
qui s 'ajoute à la précédente.
Ce dernier appel télévisé montre en résumé
que Marcel Barbu pense qu 'il a déjà des électeurs
derrière lui, qu 'il est encore possible d 'en gagner et qu 'il
peut atteindre les 5%.
Jacques Cheminade et le candidat de 1965 ont en tous les cas terminé
leur dernier appel télévisuel avec la même conclusion
et la même incertitude : « n 'ayez pas peur de voter pour moi»,
preuve qu 'ils ont conscience que rien ne leur est acquis et que toutes
les voix sont encore à gagner (40).
La presse a aussi rapporté la façon donc Marcel Barbu
a vécu le dernier jour de sa campagne, ce qui n 'est malheureusement
pas le cas pour Jacques Cheminade.
Allait-il attendre nerveusement les résultats pour savoir si
il a franchi la barre des 5% ?
Sa journée est très tranquille, sinon ordinaire : «tout
à fait détendu, il jouait dans la matinée de l 'orgue
électrique et faisait une revue de presse. Ses proches ont confirmé
qu ' à l 'inverse de la majorité des français , il
s 'est couché de bonne heure. Philosophe, et sans illusion, il aurait
attendu le matin pour connaître le nom de l 'heureux élu»
(41).
En fait il semble avoir voulu dédramatiser. Ainsi dans le bureau
de vote alors qu 'il est entouré de journalistes : «sortant
de l 'isoloir, M Marcel Barbu devait encore déclarer en souriant
: « Vous ne savez pas ce qu 'il y a dans cette enveloppe bleue,
peut être un « Vive de Gaulle »» (42).
Attitude confirmée aussi dans l 'estimation ultime des bulletins
portant son nom qui n 'est pas de 5% des suffrages mais de
seize voix : « je compte tout de même au moins seize voix,
celles de mes enfants, gendre et belles-filles. Sans compter un grand-père
de ma femme que nous venons juste de découvrir et qui a promis de
voter pour moi» (43).
0% ou 1%, 5% des suffrages ou 16 voix, quels ont été
les résultats de Marcel Barbu et Jacques Cheminade?
Qui sont finalement leurs électeurs, et quelles ont été
les réactions et explications des candidats?