- Section 2 - Approche textuelle : séduire et  convaincre

Les sources et donc les points de départ d 'analyse sur la façon dont ils veulent séduire et convaincre les électeurs, sont plus importants pour Marcel Barbu que pour Jacques Cheminade.
Pour tous les deux cette étude se basera sur leur profession de foi et le texte de leurs affiches.
En y ajoutant pour le prétendant de 1965 son symbole pour les électeurs analphabètes des territoires d 'outre-mer et la retranscription de ses discours télévisuels, radiophoniques et conférences de presse reconstitués à partir des fragments publiés dans chaque journal
Pour Jacques Cheminade il n 'a pas été possible de retrouver le texte de ses discours mais sa profession de foi, son affiche de campagne et un article paru dans L 'Express sur  tous les candidats constituant selon le journal « un petit voyage à l 'intérieur de leur vie privée transparent, direct et livré sans amendement de la rédaction », permettent quand  même une réelle étude (16).
Ensuite par quels instruments analyser leur façon de s 'adresser aux électeurs ?
Une étude de chaque type de documents est d 'abord nécessaire car les supports étant différents, mécaniquement le discours l 'est aussi .
Pour les affiches électorales, c 'est la vue qui est sollicitée avant tout. Pour les professions de foi, c 'est le poids des mots. Enfin pour la télévision, le discours parlé a lui aussi des particularités .
C 'est à partir des traitements  spécifiques de ces sources et de leur comparaison qu 'il sera possible d 'en tirer des points de ressemblance ou non.
De savoir notamment si Marcel Barbu, privilégiant la télévision, a  négligé le message envoyé dans sa profession de foi.
Et si une image concordante et nette se dégage d 'eux dans tous les supports.

Pour ce qui est de la profession de foi, l 'intérêt de ce document dépasse le cadre de sa faible influence présumée sur l 'électorat étant « un message ultime et minimal à l 'adresse de l 'électorat le plus général » (17).
Même si des règles obligatoires existent du double feuillet ou du noir et blanc, la typographie, le nombre de mots et l 'occupation de l 'espace relèvent de la décision du candidat.
Et à partir de ces éléments il est possible de dégager les spécificités du discours que chaque prétendant veut adresser à l 'électeur.
D 'abord quelques impressions d 'ensemble sont facilement réalisables à partir du comparatif très complet des professions de foi de tous les candidats de 1995  effectué par T. Choffat (18)..
Celle de Jacques Cheminade offre quelques particularités.
La première et la plus frappante est qu 'en première page il n 'indique pas son propre slogan, contrairement à la majorité des autres postulants, mais qu 'il cite Jaurès et De Gaulle.
Au stade avancé de cette étude ça ne paraît guère étonnant, mais pour les électeurs assurément il peut y avoir un effet de surprise de retrouver ces deux figures historiques réunies par le candidat le moins connu. L 'explication la plus logique est sans doute qu ‘il cherche par ce biais à se donner une légitimité d 'homme d 'état que son statut de candidat hors parti ne permet pas. Aussi de montrer que sa candidature n 'est pas fantaisiste et repose sur une vraie réflexion politique qui ne sort pas de nulle part.
Même si au final son slogan : «  une France pour rebâtir le Monde » aurait été plus parlant pour les électeurs sur son programme et ses intentions et n 'aurait assurément pas dépareillé par rapport à celui des autres candidats.
Une autre originalité est de ne pas mettre de signature et d 'appel manuscrit dans sa profession de foi comme l 'ont fait les principaux prétendants, alors que cette forme d 'écriture est une manière personnalisée d 'accéder directement à chaque lecteur, ce qu'il  n 'a pas pu faire physiquement pendant la campagne.
Jacques Cheminade est aussi le seul avec Dominique Voynet a y inclure une biographie sélective, conscient que comme les autres il doit présenter son programme mais qu 'en plus il doit se présenter. Evidemment il insiste sur ses études d 'énarque, son passage dans les ministères, ses voyages à l 'étranger  et les livres qu 'il a publié. N 'indiquant pas que ses livres sont publiés dans sa propre maison d 'édition, qu 'il est sous le coup d 'une condamnation pour vol en appel et se déclarant sobrement « ami du dirigeant politique américain Lyndon LaRouche » sans plus de précisions sur son mouvement et son parcours idéologique, se contentant d 'un laconique « énarque dissident » pour se décrire (19).  Le but est de se donner une légitimité par son parcours et se présenter en homme d 'état et non en candidat différent des autres, ce qui est déjà une indication importante.
Les impressions d 'ensemble pour Marcel Barbu sont diamétralement opposées. En premier lieu il apparaît qu 'il n 'a absolument pas cherché à se faire connaître par ce document (20). Contrairement à tous les autres prétendants de l 'opposition, le général De Gaulle n 'ayant lui pas besoin de besoin de rappeler ses états de service,  il n 'a pas inséré de biographie dans sa profession de foi.
Ensuite, à la différence de Tixier-Vignancour ou Marcilhacy il n 'a pas cru utile de mettre une photo de lui, peut-être pensait-il que la télévision est suffisante.
Enfin pas de slogan, mais sous son nom une mention toute aussi indicative : « candidat de transition à la présidence ». La partie de ce mémoire consacrée à ses idées a déjà expliqué ce terme en montrant  qu 'il se pose parallèlement aux autres candidat.
La conclusion globale est qu 'il veut insister sur les raisons de sa candidature et son programme qu 'il détaille longuement et ne cherche absolument pas à se présenter en homme d 'état. Il en fait de plus un réel argument pour montrer l 'originalité de sa candidature aux électeurs.
Mais il ne s 'agit là que de premières grandes indications, il est nécessaire maintenant d 'entrer dans le détail de ces professions de foi.
Le livre « L 'image candidate a l 'élection présidentielle de 1995 » a employé la méthode lexicologique pour tirer d 'après les professions de foi des éléments de comparaison très précis entre les trois principaux candidats de 1995 (21).
C 'est en  partie ces mêmes éléments qui sont repris pour Jacques Cheminade et Marcel Barbu dans le tableau suivant en y ajoutant beaucoup d 'autres qui tiennent à la spécificité de leur candidature.

Tableau comparatif des professions de foi de Marcel Barbu et Jacques Cheminade (22):
 
 
Jacques Cheminade Marcel Barbu
Mots 2236 2498
Pronoms Je, j, mon, ma, mes.... : 13 fois. 
Nous, nos, notre : 19 fois. 
Vous, vos, votre : 1 fois.
On : 8 fois.
Je, j, mon, ma, mes.... : 38 fois. 
Nous, nos, notre : 19 fois. 
Vous, vos, votre : 16 fois.
On : 9 fois.
Verbes Devoir : ce devrait, l 'on doit, doivent, la France doit, doivent, il doit (4 fois).
Pouvoir :  pouvons-nous, on ne peut, on peut, ne peut être, ne peut le faire, on ne peut prétendre (2 fois). 
Croire : nous faire croire.
Falloir : il faudrait, il faut (14 fois).
Promesses : traçons trois voies, je prends un quadruple engagement, mon objectif est, mon engagement est, je propose (2 fois).  
Devoir :  je vous dois, je me dois, devra tenter, doivent être. 
Pouvoir : il pourra, on peut (2 fois).
Croire : je crois répondre, je crois pouvoir.
Falloir: il fallait bien, il faut surtout, il faut, il nous faut (2 fois). 
Promesses :  vous propose,  je vous propose les moyens, je n 'ai pas l 'intention, je désignerai, je maintiendrai,  il est vain d 'espérer réaliser.
Mots récurrents Politique : 15 fois. 
Finance et financier(e) : 7 fois. 
Programme : 10 fois. Président : 8 fois. 
Gouvernement(ale) :10 fois. 
Commun (-e, - ale, - auté) : 6 fois.
Etat des lieux du pays cataclysme, cancer, guerre, dépression, dictature, monopole, obsession, faillite, chaos, effondrement, ruine, mur, misère, crise, Titanic. asile d 'aliénés, maison en cours de transformation, angoissante situation.
Les autres candidats et représentants du pouvoir  mentent, ennemi, impuissance, pactise, ruine, complicité, dérive, valent rien, pérorent.  intelligence, générosité, courage,  mots creux, attrape-nigauds, balbutiements,  mensonge, carotte, promesses jamais tenues, trique, contrainte, inaptes, peu s 'inquiètent, incapable, écarte jalousement, dramatique aveu d 'échec, effrayer le pauvre peuple.
Traitement à appliquer pour un changement défendre, résistance,  lutte, éliminer, rompre, briser, nous battre, faire se lever une résistance,  briser net, relever le défi, rebâtir le monde, faire revivre,  renaissance,  faire renaître, Combat(tre)  (6 fois). grand élan, grand sursaut politique,  remettre les choses en ordre.
Les objectifs le bien commun, paix dans le monde,  citoyens libres, portes de l 'avenir, politique pour tous, enthousiasme, amour du beau.   vivre libres et heureux, liberté, respect, amour, justice, vérité, confiance,  dialoguer en paix, chemins de l 'avenir.
Eux Par les autres : La petite minorité de français installée (..).m 'accusera d 'être un utopiste irresponsable. Je lui réponds...
Par lui : /
Par les autres : D 'aucun à l ‘ extrême-gauche (...) contre la dictature de Barbu. Soyons sérieux...
Par lui : audacieuse candidature, exorbitant contenu, citoyen consciencieux, honnête, pacificateur expérimenté, homme de bon sens, fort tempérament, épuisé, je ne suis pas un homme d 'état, homme qui a moins d 'idées brillantes mais qui les réalise
Image de la France et des français La France : la politique de la France, le rôle de la France, la France de l 'an 2000, La France et l ' Europe, La France doit être le fer de lance. 
Les français : /
La France: le destin de la France
Les français: surpris, choqués, calmes, patients, inquiets et abandonnés, tracassés, rongés d 'ennui, accablés, humiliés, roulés, dépassés, sans joie.  

Les enseignements donnés par ce comparatif sont nombreux.
Pour ce qui est de l 'usage des pronoms, Marcel Barbu en a employé deux fois plus que Jacques Cheminade.
Avec le statut de candidat du peuple que Marcel Barbu revendique, il aurait été presque logique que l 'emploi du « nous » l 'emporte sur le « je ». Ce qui n 'est pas du tout le cas, au contraire de Jacques Cheminade. Il apparaît un souci du hors parti de 1965 de justifier sa candidature de représentant des « nous » en s 'affirmant lui même, d 'où cette disproportion.
De même l 'usage du « on », qui lui a valu son statut de candidat des persécutés par le journal Combat, est finalement peu répandu par rapport aux autres pronoms et est autant utilisé par Jacques Cheminade
Il en ressort qu ‘il cherche à  établir un dialogue continuel tout au long de sa profession de foi alors que le candidat de 1995 prend plus de distance avec l 'électeur.
Une impression renforcée par l 'emploi des verbes?
L'emploi répété par Jacques Cheminade de l 'expression « il faut » est l 'élément essentiel. Et représente une façon de montrer à l 'électeur que ce qu 'il propose est une nécessité et non un programme suggestif avec des promesses fantaisistes ou irréalisables. C 'est une expression de conviction, qui sert à exposer non pas ce qu 'il juge, mais ce qui est nécessaire pour la France, une manière aussi de se placer en homme d 'état qui se soucie du bien commun.
Marcel Barbu préfère lui employer  le verbe « croire »  de l 'incertitude.
A cela s 'ajoute pour les deux candidats la litanie des promesses qui démontre au moins aux électeurs qu 'ils ne sont pas des prétendants utopiques avec des propositions générales et abstraites.
Cherchant tous les deux à faire avancer leurs idées pendant la campagne, il est curieux que les mots les plus employés ne soient pas en rapport direct avec leur programme.
Jacques Cheminade, l 'amateur de la campagne selon la presse, utilise le plus souvent le mot « politique », Marcel Barbu accusé d'être  seulement le candidat d 'une idée, le logement, emploie le plus souvent le mot « programme ».
Il y a là un paradoxe qui prouve qu'ils se placent dans ce document en fonction de leur statut de candidat dans la bataille électorale plus que comme des prétendants seulement publicitaires. Marcel Barbu ne passe pas sa profession de foi à raconter le fonctionnement de son association et ses problèmes de logement aux électeurs et Jacques Cheminade ne multiplie pas les références aux grandes figures historiques et ne parle pas de son mouvement. Ils emploient bien leur profession de foi en candidats proposant et non vendant quelque chose au peuple.
Ces promesses et ce dialogue sont-ils accompagnés d 'une envie de noircir le tableau de la situation du pays, de dénoncer les autres prétendants pour apparaître comme des hommes providentiels pour le pays ?
Jacques Cheminade décrit un pays en état de guerre où sévissent cataclysme, cancer, dépression, dictature, misère et crise, étant ainsi fidèle à ses conceptions manichéennes.
Marcel Barbu donne moins dans le catastrophisme mais le constat est aussi celui représentatif de ses conceptions humanistes  d 'une France terre d ' asile d 'aliénés.
Face à cette situation, ils ont un sentiment semblable sur les professionnels de la politique qui sont accusés du même mensonge. Marcel Barbu leur donne bien des circonstances atténuantes de « générosité » ou « courage » mais c 'est pour mieux les accuser de ne pas être à la hauteur requise. Cette dénonciation s 'accompagne chez Jacques Cheminade d 'une compromission avec le système  pas très éloignée du « tous pourris » porteur électoralement.
Il est certain qu 'ils se posent en dehors des autres représentants du pouvoir, ils les analysent de haut ce qui les poussent à les mettre et rejeter tous ensemble.
Démontrer que le pouvoir  actuel est  responsable c 'est aussi donner l 'espoir aux électeurs que d 'une volonté politique peut venir le changement. Changement qu 'ils peuvent incarner en tant qu ‘ énarque dissident  et candidat de transition.
Le traitement proposé est à la mesure du mal dénoncé. Jacques Cheminade emploie le vocabulaire guerrier de la rupture. Marcel Barbu est moins direct et utilise les mêmes expressions que les candidats traditionnels, il s 'agit plus de « remettre les choses en ordre » par un « sursaut » que de « rebâtir le monde » par un « combat ».
Mais ce traitement de choc est pour construire quel monde?
Quelle société idéale promettent-ils aux électeurs?
Employant les expressions  « portes de l 'avenir » ou « chemins de l 'avenir », ils  veulent convaincre les électeurs qu 'ils peuvent les remettre sur la bonne route. Une route passant par les objectifs placebos qui mélangent allègrement la paix, l 'amour du beau, la liberté et la vérité. Objectifs finalement pas très éloignés des promesses des candidats traditionnels. Les hors parti n 'ont pas le monopole de l 'utopie électorale. L 'effet est de montrer aux lecteurs que par leur traitement, les choses peuvent réellement s 'améliorer.
Mais est-ce suffisant de décrire, dénoncer et traiter ? Il ne s 'agit ici que de promesses.
Les candidats hors parti n 'ayant pas fait leurs preuves, il est nécessaires pour eux de prouver qu 'ils sont capables de réaliser leurs engagements, mais aussi d 'instaurer une vraie relation de confiance avec le peuple.
Ils font tous les deux un dialogue simulé avec des politiciens, mettant en garde les électeurs sur leur propre compte. Jacques Cheminade se traitant d ‘ « utopiste irresponsable » et le candidat de 1965 parlant de « dictature de Barbu ». L 'objectif volontaire ou non est de prévenir les questions que les électeurs pourraient se poser à leur sujet et en même temps de montrer qu 'ils sont pris en considération par leurs concurrents à l 'élection et donc qu 'ils existent bien et ont un certain poids politique.
Marcel Barbu y ajoute des qualités qu 'il se donne pour montrer non seulement qu 'il est apte à réaliser ce qu 'il a promis mais aussi qu 'il est l 'homme qu 'il faut et le seul parmi ceux se présentant. Qualités qui tournent autour de l 'idée déjà exposée dans ce mémoire qu 'il n 'est pas un homme d 'état ce qui le qualifie pour diriger l ' Etat. Toujours l 'idée qu 'il veut faire passer qu 'il est un candidat de transition.
Jacques Cheminade ne pratique pas la force de vente à visage découvert mais il est vrai que sa biographie mise dans sa profession de foi parle pour lui. Elle est sensée indiquer qu 'il a les capacités d ‘ un homme d 'état sans qu 'il ait besoin d ' en rajouter.
Dans cette relation qu 'ils essayent de tisser ils s 'adressent aussi aux électeurs.
Jacques Cheminade parle plus à la France qu 'aux français agissant véritablement comme un homme politique en dissertant sur le «rôle » ou la « politique » du pays. Marcel Barbu au contraire emploie plusieurs adjectifs pour décrire l 'état d 'esprit des français tour à tour  « inquiets », « humiliés », « tracassés » ou « abandonnés ».
Une preuve que son traitement ne s 'adresse pas à la France mais à ses compatriotes. Il établit bien dans sa profession de foi la relation qu 'il aurait aimé que le général De Gaulle tisse avec les français. Il les sollicite directement, il est leur candidat, celui qui les comprend et qui a les caractéristiques nécessaires pour les aider. La manière dont il présente son programme dans cette profession de foi est à cet égard révélateur. Pour que son programme si insolite soit accepté et compris il multiplie les précautions et avertissements : « ne soyez ni surpris, ni choqués, si mon programme vous semble insolite, déroutant. Gardez votre souffle... Soyez calmes, patients, réfléchissez... Laissez passer un peu de temps, puis relisez... plusieurs fois ». Il sait qu 'en tant que candidat nouveau, il doit en faire plus que les autres pour se faire reconnaître et il essaye de se montrer le plus proche possible des électeurs. Il donne ainsi l ' adresse de son siège de campagne dans le corps de sa profession de foi pour que les électeurs écrivent si ils ont des questions à lui poser, alors que Jacques Cheminade la donne en bas de la dernière page en petits caractères d 'imprimerie, mettant encore une fois plus de distance.
Tous les deux ont donc de grands points de ressemblances sur la nécessité de rejeter à la fois la situation de la France et les autres prétendants pour faire apparaître aux électeurs l 'importance et la nécessité de leur candidature. Il font des promesses en leur nom plus que des déclarations d 'intention Le discours présenté par Jacques Cheminade lorsqu 'il n 'est plus caché derrière Colbert ou Sully gagne assurément en clarté en gardant toute ses caractéristiques de fond  et le langage utilisé est plus facile d 'accès que celui présenté par les médias.
Marcel Barbu ne se présente pas seulement comme le candidat du logement en butte contre l 'administration, son tournant au cours de la campagne lui fait proposer un programme certes insolite mais avec voies et moyens de réalisation.
Ils s 'engagent dans cette profession de foi avec toute la force de leurs convictions.
Conscients que l 'élection ne se joue pas exclusivement face aux médias et aux autres candidats mais  que ceux qu 'il faut convaincre ce sont les électeurs et uniquement eux.
En cela ils n 'apparaissent pas dans leur façon de se présenter, d 'exposer leurs idées  et d 'essayer d 'établir un véritable contact avec les français comme des candidats amateurs ou autistes.
La différence principale est que Jacques Cheminade se présente comme le sauveur de la France et Marcel Barbu comme le sauveur des français. La distance prise par le prétendant de 1995 lui donne une relation différente avec les français où il essaie de faire correspondre son statut revendiqué de candidat dissident à  une véritable stature d 'homme d 'état.
Retrouve-t-on les mêmes caractéristiques de leur relation avec le peuple dans les autres moyens d 'accès aux électeurs?
L 'autre grand instrument de propagande de proximité, que constituent les affiches électorales, offre-t-il un éclairage différent?
L 'affiche de Marcel Barbu est sur fond jaune et écriture noire comme celles de Lecanuet et Marcilhacy, les autres candidats ayant ajouté plus de couleurs pour moins d 'austérité (23). Cette fois  une photo d 'identité est insérée en haut à gauche couvrant un quart de l 'affiche.
De toutes les affiches, c 'est celle qui contient le plus de texte. Marcel Barbu est le seul à  y mettre une courte biographie en six événements alors qu 'il était aussi le seul candidat de l 'opposition à ne pas l 'avoir fait sur sa profession de foi.
C 'est une biographie chronologique où il rappelle ses réalisations communautaires, son parcours depuis le temps ou il était ouvrier jusqu ' à  l ' ACGIS. Deux faits sont saillants : d 'abord sa non insistance sur le fait qu 'il a été député après la guerre, mandat rappelé en une ligne moins détaillée que son passé de résistant. Et surtout il ajoute juste après sa date de naissance et avant ses états de service qu 'il est père de douze enfants. Dans le corps de l 'affiche il est semblable aux autres candidats avec un slogan très politique : « Marcel Barbu offre aux français le moyen de réaliser la démocratie raisonnable ». Sur la situation de la France il ne dit rien, ni sur les moyens de l 'améliorer, ni sur son programme. Il indique simplement son objectif qui est d 'inaugurer « l 'ère de la paix ».
A cela s 'ajoute toujours à la fois la dénonciation des autres, se déclarant : « seul candidat capable de réaliser ce que les autres n 'ont fait que promettre », et surtout le même besoin d 'apparaître légitime et qualifié écrivant : « Marcel Barbu a fait ses preuves en réalisant la démocratie au travail ».
Sa biographie est donc mûrement réfléchie, comme l ' est celle de Jacques Cheminade. Il ne rappelle pas longuement son mandat de député, mais au contraire son passé d 'entrepreneur, de père de famille et résistant. Pour montrer qu'il est pleinement dans la vie active avec des réussites et des épreuves personnelles, ce qui le qualifie et constitue une expérience pour la vie politique. Il insiste plus que dans sa profession de foi sur ses capacités d 'homme d ' état et ne se déclare pas sur ses affiches « candidat de transition ». Il appuie davantage sur lui plutôt que sur ses idées établissant  une relation un peu différente même si les objectifs sont semblables.
Il est vrai aussi que le but de l 'affiche de campagne est surtout d 'attirer l 'oeil et qu 'il n 'y a pas de place pour les grands programmes.
D 'ailleurs les affiches du général De Gaulle et certaines de Mitterrand préfigurent d 'ailleurs déjà les affiches-slogan qui sont la norme en 1995. A part la candidate de Lutte Ouvrière qui essaye de caser le maximum d 'idées dans son affiche, tous les prétendants emploient les mêmes artifices de la trilogie publicitaires des campagnes électorales : un slogan, une photo des candidats et une image représentative de l 'idée qu 'ils se font de la France.
L 'affiche de Jacques Cheminade est à cet égard un modèle du genre: avec une photo du candidat hors parti, celle d 'un barrage en construction et son slogan explicatif : « une France pour rebâtir le Monde ». N 'ayant pas la place pour expliquer son programme et ses idées, il réquisitionne les noms de « Sully, Colbert, Jaurès, De Gaulle » qui doivent être plus parlant pour les électeurs et faire appel  à des valeurs très claires. A ceux passant devant l 'affiche de comprendre les rapprochements à faire. Mais en ont-ils les armes ne connaissant pas celui qui les évoque ? La question est sans réponse.
L ' enseignement principal est que Jacques Cheminade ne tranche pas avec les affiches des autres prétendants, employant les mêmes armes.
Comme dans sa profession de foi il veut que la seule chose qui le différencie soit son discours et aucunement son statut de hors parti. Enarque dissident certes, mais énarque tout de même.
 
Pour ce qui est de l'emblème choisi par Marcel Barbu pour les électeurs des territoires d 'outre-mer, lors de sa première conférence de presse du 18 novembre il indique qu 'il ignore encore lequel choisir et propoe une barbe et des moustaches (24). Le choix se porte finalement sur une maison dans un double cercle (25).
Hormis le Général De Gaulle qui choisit la Croix de Lorraine, le signe distinctif de Marcel Barbu est sans doute le plus parlant, le présentant comme le candidat du logement. Ce qu 'il met en avant c 'est ses idées dans cet emblème. Le général De Gaulle et Tixier-Vignancour avec ses initiales mettent plus l 'accent sur leur nom et ce qu 'ils représentent. Il est difficile d 'en dire plus, sinon que le fait qu 'il ait renoncé à la barbe et aux moustaches pour évoquer son nom, en sachant que ce nom ne suscite rien de politique aux français, pour choisir la maison, est révélateur de la relation qu 'il veut établir.

De l 'utilisation de l 'ensemble de ces moyens conventionnels il  ressort  une façon claire dont Marcel Barbu et Jacques Cheminade veulent se présenter aux électeurs et les séduire. A la fois rejet des autres candidat et utilisation des mêmes ficelles. Il n 'y a pas sur la forme des affiches ou des professions de foi une réelle spécificité des  hors parti.
C 'est sur le fond que se joue la relation qu 'ils veulent établir.
Hommes d 'état ou représentants du peuple ? Ils cherchent globalement à apparaître comme des candidats qui se préoccupent de la situation du pays et/ou du peuple, qui se sont présentés car il existe bien un espace électoral et politique pour faire entendre une voix qu 'ils jugent originale et en rupture avec les autres.

Concernant les moyens non obligatoires et d 'abord les réunions publiques, Marcel Barbu n 'en ayant pas tenu il est impossible de savoir si la séduction des électeurs reposerait sur les mêmes caractéristiques dans le cadre d 'un vrai dialogue direct avec les électeurs.
Sur la tournée des marchés de Jacques Cheminade, une seule piste est fournie par  L ' Express indiquant qu 'il se présente ainsi aux français qu 'il rencontre : «bonjour, je suis Jacques Cheminade, l’homme qu’on attaque» (26). Phrase d 'approche difficile à interpréter sans autre précision mais démontrant qu 'il pense que  les médias jouent un plus grand rôle que sa propre parole dans la transmission de son discours et sa perception par les électeurs.
Leur relation directe avec le peuple de l 'intérieur des médias offre-t-elle d ‘ autres  enseignements ?
Le « questionnaire en forme de Curriculum Vitae »  soumis à l 'ensemble  des prétendants par L '' Express en 1995 est un peu faussé car il offre, comme il est de coutume dans la presse, une surface aux candidats en fonction de leur place dans les enquêtes d 'opinion. Forcément l 'impression de prétendant mineur guide déjà celle  du lecteur. Mais ce questionnaire  est quand même exploitable (27).Tous les candidats y jouent la proximité avec les électeurs, de Jean-Marie Le Pen écrivant qu ‘ il a un caniche nain, à Edouard Balladur qui sait faire la glace à la fraise, en passant par Dominique Voynet dont la tenue préférée est le maillot de bain. Jacques Cheminade indique qu 'il vit avec 3000 francs par mois, qu 'il a une Peugeot 305, qu 'il cuisine pour ses amis, qu 'il dort comme tout le monde et qu 'il fait de l 'informatique comme tout le monde. Cette utilisation du « comme tout le monde » est aussi employée une fois par Arlette Laguiller mais c 'est bien le candidat hors parti qui l 'utilise le plus, créant une identification explicite avec les français.
Mais on ne retrouve pas que Jacques dans ce questionnaire, on y voit aussi poindre Cheminade qui lit évidemment Jaurès et de Gaulle et a la phobie des « aristocrates anglais qui ont soutenu Hitler et Mussolini », alors qu ' Edouard Balladur par exemple a celle  d '« être en retard ».
Cet article pousse vers la caricature du petit candidat dont les moyens personnels, le titre donné à son questionnaire est « Je vis avec 3000 francs par mois »,  sont proportionnels a  la faible place qui lui est accordé par le journal. Il démontre surtout que dans chaque aspect et manifestation de sa relation directe avec les électeurs, Jacques Cheminade comme les autres prétendants, veut et doit  faire le grand écart dans cette campagne entre le candidat dont les réflexions politiques sont nourries de ses lectures et l 'homme du peuple qui nourrit ses amis.
Le discours de Marcel Barbu dans les médias est-il fidèle à celui qu 'il fait dans sa profession de foi ?
D 'abord le ton qui a tant marqué les analystes est celui de la familiarité, une familiarité qui s 'illustre dans la façon dont il s 'adresse au peuple. Pas de solennel « françaises, français », sa première émission télévisée commence par  : «mes amis, mes frères. Etant donné mon niveau social, je devrais même dire mes copains » (28). Lors de sa dernière intervention, les mots n 'ont pas changé, les français sont toujours « mes amis, mes copains » (29).
Plus encore que dans sa profession de foi, toutes les interventions de Marcel Barbu n'ont qu 'une seule face : il est le candidat du peuple.
Dès sa première conférence de presse à Sannois, les jalons sont posés : « je représente l 'homme de la rue. Je ne vois pas pourquoi il y aurait à une élection au suffrage universel des citoyens de seconde zone qui ne pourraient s 'exprimer. Il est bon qu 'un modeste citoyen puisse le faire en leur nom (...)Je veux être la voix des sans voix » (30).
Dans sa première émission radiodiffusée  il ne s 'exprime pas différemment se disant  « la voix des sans voix, des riens du tout et de tous ceux qui sont indignés par le sort qui leur est fait » (31).  Après avoir décidé de prendre sa candidature au sérieux il ne change pas : «je suis dit-il , un chien battu, et battu depuis 58 ans. Je suis le candidat des chiens battus » (32).
La distance entre Marcel Barbu et les électeurs s 'efface même complètement  lorsqu 'il s 'adresse au général : « comme vous j ‘ai attendu avec impatience l ‘intervention du général De Gaulle (...) Il n ‘était en aucun cas question de nous, français , en chair et en os (...) Nous avons en vain attendu quelque chose qui sortit du cœur de ce géant de l 'histoire (...) Nous sommes sûrs que vous avez un coeur. Acceptez la main que je vous tends au nom de millions de français » (33).
Sur sa présentation quelques mots suffisent pour montrer qu 'il est  un candidat de transition : «marié, 12 enfant, aucune décoration, beaucoup de condamnations » (34).
Concernant ses idées, il renouvelle l 'appel fait sur ses affiches et dans sa profession de foi, cherchant toujours à démontrer que bien que n 'étant pas un homme d 'état il a toutes les qualités pour devenir le chef de l 'état : « quand je vous disais que le programme  que je vais vous porter s 'appuiera sur ces communautés, j 'ajouterai que ce sont des choses faites que tout le monde peut voir» (35). Ce ton aussi insolite que son programme, qui assurément tranche avec celui des autres prétendants, s 'accompagne comme dans sa profession de foi d 'un échange simulé avec les électeurs à qui il dit par exemple : «je vous demande de m ‘écouter jusqu ‘au bout. J ‘ai encore beaucoup de choses à dire » (36). Ou encore en répondant à ceux qui d 'après lui le jugent trop sérieux : « je ne viens pas à la télé raconter Tintin et Milou à trente millions d 'auditeurs. On peut me trouver parfaitement « rasoir » mais de toute façon je m 'appelle Barbu» (37).
Mais un échange résume parfaitement la relation qu 'il veut établir avec les électeurs : « c ‘est à vous que je confie ma vie et mon honneur pendant ces quinze jours. Veillez à ce qu ‘on me laisse m ‘exprimer librement. Après le seigneur y pourvoira. J ‘aurais accompli ma tâche. Soyez attentifs,  quand à ceux qui veulent me faire taire » (38).
Il se met du côté du peuple contre les hommes au pouvoir qui forment l 'autre côté . Il n 'est que le porte-voix, le représentant de millions de copains et d 'amis. Mais il n 'a pas été choisi par hasard, il dispose des qualités requises par ses réalisation sociales et non politiques.
La distance prise n 'est que dans ce but : montrer qu 'il peut s 'occuper des français quand les autres ont les qualités pour s 'occuper de la France.
Tous les éléments du lien établi avec les électeurs tournent autour de cette idée quels que soient les supports.

Jacques Cheminade, l 'énarque dissident et Marcel Barbu le candidat de transition s 'adressent a priori à des électorats différents.
Le candidat de 1995  prend la distance politique de l 'homme d ' état lui permettant de chasser sur les terres des candidats traditionnels.
Le candidat de 1965, se présente largement comme le candidat du peuple qui ne se reconnaît dans aucun autre ce qui peut lui amener les abstentionnistes potentiels, les chiens battus sans collier.
Des a prioris à la réalité, quel électorat ont eu Marcel barbu et Jacques Cheminade ?

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