Chapitre 1
Préliminaires
Le but de Marcel Barbu et Jacques Cheminade est que leurs idées
soient connues.
Ne disposant pas de relais établis au début de la campagne,
comment s 'y sont-ils pris pour que leur message parvienne à
l 'électeur ?
Quels moyens de contact ont-ils privilégié ?
Ont-ils utilisé pleinement les instruments conventionnels de
propagande, se sont-ils contentés de la campagne radiotélévisée
ou ont-ils eu le besoin, la nécessité et surtout la possibilité
de tenir des réunions publiques ?
Mais disposer de ces moyens d 'accéder au peuple ne suffit pas
pour l ‘atteindre, encore faut-il savoir le séduire et le convaincre.
Quelle a été leur manière directe de s 'adresser
au peuple ?
Ont-ils utilisé la distance politique réglementaire du
candidat qui comprend les préoccupations du peuple et doit montrer
en même temps qu 'il a la grandeur pour diriger et représenter
la France ?
En clair quelle campagne directe ont-ils mené, comment se sont-ils
présentés à la population dans le fond et la forme
de leurs interventions et quelle image ont-ils voulu donner d 'eux-mêmes,
qui est peut-être différente de celle transmise par les médias
? Celle du candidat du peuple ou du politicien ?
L 'étude de ces moyens et façons d 'accès au peuple
permettra de savoir comment ils ont préparé leur rencontre
avec les électeurs.
- Section 1 - Approche physique : accéder à l 'électeur
Il existe trois grands moyens de tisser une relation avec le peuple
: la campagne radiotélévisée, les réunions
publiques et les instruments conventionnels de propagande.
Il n 'est pas besoin de revenir sur les caractéristiques de
leur utilisation des médias. Leur place, leur accès, la façon
dont leur message a été transmis et le potentiel électoral
qu 'ils ont pu toucher de cette manière ont déjà été
étudiés dans la partie précédente.
Ont-ils senti que cette parole indirecte n 'était pas suffisante
?
Est-ce que comme les autres candidats ils ont ajouté à
la ronde médiatique celle d 'un tour de France ?
Ont-ils tenu des réunions publiques, sont-ils allés physiquement
à l 'encontre des gens ou se sont-ils contentés de conférences
de presse, comptant sur les journalistes pour relayer leur message ?
Concernant les rencontres avec le peuple, Marcel Barbu et Jacques Cheminade
souffrent de plusieurs handicaps de temps, d 'argent et de logistique principalement.
De temps d 'abord, contrairement aux autres prétendants qui
peuvent faire un véritable tour de France débutant plusieurs
mois à l 'avance pour passer dans toutes les régions, et
au moment de la campagne officielle faire un dernier grand meeting qui
se veut représentatif de leur capacité à passer l
'obstacle du premier tour, ils n 'ont que deux semaines.
Comment tenir de grandes réunions avant leur investiture par
le Conseil constitutionnel alors qu 'ils ne sont pas certains que
les frais de campagne engagés soient remboursés ?
Et en conséquence comment lutter par exemple avec les moyens
parfois impressionnants des autres candidats déployés pendant
ces grandes réunions retransmises par les médias ?
Et surtout de quelle manière faire venir du monde à ces
meetings sans les rabattages des militants, les campagnes d 'affichages,
les tracts distribuant l 'information plusieurs jours voire semaines à
l 'avance?
Comment juger de la capacité de salles de meetings à
réserver et de la ville ou région où leurs idées
auraient le plus de chance de drainer du monde alors que les candidats
hors parti n 'ont aucun point de repère en fonction des résultats
électoraux précédents et qu 'ils doivent se faire
connaître médiatiquement en moins de deux semaines ?
C 'est toutes ces questions qui se posent à Jacques Cheminade
et Marcel Barbu au moment de leur engagement.
Ont-ils quand même pu trouver des solutions pour ne pas être
seulement les candidats troncs de la campagne télévisuelle
?
Pour Jacques Cheminade la meilleure réponse se trouve dans ses
comptes de campagne.
En frais de réception et de réunions publiques, il a
dépensé 20 834 francs (1). En comparaison un grand candidat
comme Lionel Jospin a dépensé 16 385 055 francs et Dominique
Voynet, qui selon les observateurs a fait une campagne de terrain terne,
a elle dépensé 608 484 francs (2).
Même si les budgets n 'ont pas d 'équivalence, les chiffres
sont sans appel : Jacques Cheminade a dépensé 30 fois moins
d 'argent que Dominique Voynet et près de 800 fois moins que Lionel
Jospin pour l 'organisation de réunions publiques.
Candidat le moins connu, c 'est aussi celui qui a employé le
moins d 'argent pour se faire connaître.
Ces quinze jours de campagne les a-t-il passé seulement à
son siège de campagne et à la télévision ?
Il est certain que si il a voyagé en province les journaux n
'ont absolument pas relayé ses déplacements. Tout juste certains
articles annoncent au hasard d 'une phrase que le candidat a fait une tournée
des marchés. Le 5 avril il est à Bordeaux, le 14 «
en visite éclair sur le marché de Nancy » et le dernier
jour de la campagne il tente «d'améliorer sa notoriété
auprès des chalands d'un marché à Strasbourg»
(3).
Même si les chiffres engagés par Marcel Barbu ne
sont pas connus, il semble qu'il ne soit pas sorti du tout de Sannois,
son siège de campagne, pour se rendre en province.
Evidemment les contraintes de temps et d 'argent sont encore plus astreignantes
que pour le candidat de 1995. Par la date à laquelle il s 'est déclaré
et sa décision de faire la campagne des idées contre celle
de l 'argent, il n 'a absolument pas engagé de moyens supplémentaires
de ceux réglementaires.
Leur surface politique et financière n 'est pour tous les deux
pas assez grande pour leur permettre de mener une réelle campagne
de terrain.
Alors que ce sont eux qui en auraient le plus l 'utilité comme
le fait remarquer très judicieusement le général De
Gaulle lui-même : «les français connaissent De Gaulle.
Laissons les réunions publiques aux autres candidats qui, eux ont
besoin de se faire connaître » (4).
Ils subissent un double préjudice.
D 'une part car ils ne bénéficient pas des mêmes
potentiels militants que les autres pour diffuser leur message et pouvoir
attirer du monde à ces réunions publiques, mais en plus ces
réunions permettent aussi d 'en recruter des supplémentaires.
Ne pouvant pas s 'adresser directement au peuple en dehors des médias,
les accusations réitérées de Jacques Cheminade de
ne pas pouvoir avoir un accès égalitaire prennent tout leur
sens.
Car c 'est sur ces médias que les candidats comptent pour faire
en sorte que leur contact avec les électeurs ne se limite pas à
leurs apparitions réglementaires.
C 'est pourquoi, à défaut d 'un contact physique, ils
ont voulu multiplier celui avec les courroies de transmission par l 'organisation
de conférences de presse.
Jacques Cheminade a ainsi invité la presse à la parisienne
Closerie des Lilas pour un petit déjeuner de présentation
dès que sa candidature a été officialisée,
rencontre qui a attiré « quelques journalistes » (5).
Marcel Barbu aussi, qui tient une conférence de presse improvisée
devant le Conseil constitutionnel le soir où sa candidature est
confirmée. Le lendemain matin il tient une autre conférence
de presse à Sannois, «le béret basque sur la tête,
assis sur une estrade qui fait face aux meilleurs de ses fidèles,
les membres pour la construction et la gestion immobilière de Sannois,
qui ne lui ont pas mesuré leurs applaudissements », qui a
des allures de meeting à huis clos pour ses partisans (6). Le surlendemain
après-midi, le 18 novembre, il en tient encore une, toujours à
son siège de campagne (7). Trois conférences de presse donc
en trois jours pour se faire le plus rapidement possible connaître
des électeurs.
Au cours des quinze jours il continue ces réunions publiques,
avec le 27 novembre à Sannois une conférence sur les communautés
de travail, le 30 un communiqué de presse de réaction à
la première intervention télévisée du général
De Gaulle, le même jour une conférence de presse sur le logement.
Enfin comme après le premier tour il n 'a plus accès
au petit écran et qu 'il n 'a pas d 'espace ou s 'exprimer directement,
il tient encore le 17 décembre une conférence de presse
au Palais d ‘Orsay pour indiquer ses reports de voix (8).
Ces déclarations par procuration ne prennent leur importance
évidemment que si elles sont répercutées aux électeurs.
Ce qui n 'a pas été le cas comme l 'a démontrée
la partie précédente.
Disposant d 'une couverture médiatique minime et ne pouvant
pas mener une campagne de terrain, ils n 'ont pu compter que sur
les instruments habituels de propagande : les affiches, professions de
foi et symboles.
Mais se sont-ils limités à l 'espace réglementaire
ou ont-ils cherché à ajouter d 'autres tracts, gadgets ou
films de propagande comme l 'ont fait les autres candidats?
Là encore pour Jacques Cheminade les comptes de campagne donnent
des indications.
En impression de productions écrites ou audiovisuelles quel
qu 'en soit le support, il a dépensé 1 426 611 francs (9).
En comparaison Lionel Jospin a dépensé 37 753 547 de
francs et Dominique Voynet 2 236 072 francs.
A nouveau la différence est importante au détriment du
prétendant hors parti.
D 'autant plus que cette fois ce n 'est pas un choix, Jacques Cheminade
y ayant consacré 30% de son budget et Dominique Voynet 28%. C 'est
bien la somme totale du budget dont il dispose qui a expliqué cette
différence.
Contrairement aux réunions publiques qui nécessitent
une démarche active de l 'électeur, cette fois c 'est
le candidat qui vient chez lui par ces productions. Evidemment c 'est
le hors parti qui aurait le plus besoin d'envoyer cette masse de
documents pour se faire connaître directement, ces documents étant
son seul lien direct avec l 'électeur sans le filtre médiatique.
Au contraire c 'est le plus connu, Lionel Jospin; qui consacre la plus
grande part de son budget à ces productions, 43%, ce qui en valeur
absolue fait 26 fois plus que Jacques Cheminade.
Comme pour les médias, il s 'est donc contenté de l 'espace
des affiches et professions des foi.
Mais cette fois la différence entre l 'espace réglementaire
et égalitaire ne s 'est pas joué sur la notoriété
mais sur les moyens financiers. Dans les deux cas il y a une inégalité
de fait subie et non voulue qui n 'a rien à voir avec le positionnement
ou le message du candidat mais seulement avec son statut de hors
parti.
En 1965, les journaux ont multiplié les articles sur les gadgets
électoraux, ces signes d 'appartenance partisane distribués
aux électeurs en plus des instruments réglementaires (10).
Tous les opposants du général ont multiplié ces
gadgets donnés essentiellement lors des réunions électorales.
Pour Tixier-Vignancour, qui démarre la campagne de proximité
par une tournée des plages dès l 'été 1965
qui lui coûte un million d'anciens francs par jour, ils ont même
eu une importance particulière car les « disques, foulards
et porte-clés » à l 'effigie et à la gloire
du candidat servent à couvrir les frais (11).
Marcel Barbu ne faisant pas de meeting, cela a réduit mécaniquement
pour lui les possibilités de distributions. En fait contrairement
à Jacques Cheminade, il présente comme un choix revendiqué
de se limiter à la plus stricte diffusion. Les émissions
auxquelles lui donnent droit sa candidature sont pour lui l 'instrument
essentiel pour se faire connaître.
Même si par ses faibles moyens financiers il n 'aurait pas pu
faire autrement, ainsi que n 'a pas pu le faire son concurrent Marcilhacy
qui lorsque les journalistes lui demandent ce qu 'il fait comme campagne
électorale répond : « rien. Car je suis seul
et ne possède aucun trésor de guerre » (12).
Une réflexion qui est d 'autant plus vraie pour Marcel Barbu.
Il n 'a pu propager son discours que par les armes obligatoires d 'approche
que constituent les professions de foi, affiches et symboles.
Mais même pour l 'impression de ces documents il rencontre des
difficultés de délais, le temps étant très
court entre sa décision de se présenter et l 'envoi des millions
de tracts ou la pose de milliers d 'affiches. Il s 'en plaint ainsi lors
d 'une de ses interventions télévisées : « on
m 'empêche d 'imprimer des affiches » (13). Sur ce «
on », on n 'en saura pas plus durant la campagne.
Ce n 'est que deux ans plus tard, par la grâce d 'un procès
fait par Marcel Barbu à un imprimeur que des éclaircissements
viennent de la part de la presse (14).
Il ne dispose que de quatre jours entre le 24 novembre, moment où
il prend sa candidature au sérieux en l 'élargissant et donc
où ses affiches et professions de foi prennent leur caractère
définitif, et le 28 novembre à minuit, heure limite pour
que ces documents parviennent dans les préfectures. Le résultat
est catastrophique pour lui, les imprimés arrivant hors délais
dans trois départements de l 'est de la France sur sept. Ils sont
donc refusés par les préfets et non distribués.
Ayant déjà à peine le temps de remplir le cahier
des charges élémentaire du candidat, il est impossible
pour lui d 'envisager en plus une vraie campagne de terrain.
Jacques Cheminade et Marcel Barbu n 'ont donc eu que les messages radio
télévisés et chemins d 'accès réglementaires
aux électeurs
Mais au moins, ne pouvant bénéficier des autoroutes à
péages que ne peuvent s 'offrir que les grosses cylindrées
de la campagne, cette petite route d 'accès direct aux électeurs
ne débouche-t-elle pas pour eux sur un cul de sac?
Ainsi ces professions de foi constituant l 'ultime instrument de propagande
envoyé simultanément à tous les électeurs ont-elles
un rôle ?
De même que les émissions télévisuelles
réglementaires ont un taux d 'écoute très bas, les
professions de foi sont en réalité peu lues.
Un sondage réalisé le 23 avril 1995 à la sortie
des urnes par l 'institut CSA indique que seuls 6% des électeurs
se déterminent entre autres à partir de ces textes (15).
Le problème principal pour eux est que l 'espace de la relation
électorale égalitaire se soit située au dessus du
seuil réglementaire, tous les autres candidats ayant ajouté
des moyens complémentaires.
Comme pour l 'aspect quantitatif de l 'accès aux médias
qui n 'est pas égal aux autres candidats, ont-ils eu quand même
la possibilité d 'atteindre l 'électeur par l 'aspect
qualitatif de leur discours et avoir un positionnement original ?
Quelles armes rhétoriques ont-ils utilisé dans ces voies
d 'accès aux voix?
Et de quelle manière étudier ce dialogue unilatéral
qu 'ils ont pu instaurer avec le peuple ?