- Section 2 - Les signes indirects de présentation du candidat à l '(é)lecteur
Les titres, les adjectifs et références utilisés
pour décrire les candidats sont au moins autant que les analyses
ou les portraits révélateurs de la position du journal et
de l 'orientation donnée aux lecteurs.
Les titres choisis pour les articles ont effectivement été
des accompagnateurs et des guides réels sur la façon dont
le lecteur devait recevoir l 'exposé des faits.
Pour Marcel Barbu, cela se voit surtout pour les retranscriptions des
discours télévisés.
Ces comptes-rendus ayant été peu commentés sur
le fond, les titres donnés sont d'autant plus importants. La manière
dont ils peuvent influencer le lecteur se comprend parfaitement par ceux
données à sa fameuse deuxième intervention télévisée
où il annonce qu 'il prend sa candidature au sérieux. De
tous les quotidiens seul Le Figaro, qui est le seul aussi à lui
demander de se comporter en candidat semblable aux autres, annonce clairement
en titre que « M Barbu : candidat des chiens battus prend désormais
sa candidature au sérieux » (64).
Les autres journaux se divisent en deux catégories.
Les deux quotidiens partisans, L ' Humanité et la Nation choisissent
un extrait différent de sa déclaration pour souligner que
Marcel Barbu est un candidat amateur qui ne s 'est pas préparé
pour l 'élection titrant respectivement : « Barbu n 'en dort
plus » et «Barbu joue « A bout de souffle»»
(65). Le reste des quotidiens dont Combat, qui trouve là une confirmation
à son analyse de candidat des persécutés, adopte un
titre semblable reprenant une citation de Marcel Barbu pour se qualifier
lui même : « M Barbu : Je suis le candidat des chiens battus
» (66).
Il n 'est pas étonnant que ce tournant n 'ait pas été
suivi d 'analyses car dans sa retranscription même les quotidiens
l 'ont ignoré. Ce même traitement se retrouve dans les titres
consacrés au portrait de Marcel Barbu. Les journaux ont-il insisté
sur son statut de prétendant du logement, son intrusion dans la
campagne ou sur sa biographie?
Seul Combat qui lui avait donné le personnage de candidat des
persécutés a utilisé un titre le classant précisément.
Celui de la page qui lui est entièrement consacré est sans
ambiguïté : « Marcel Barbu, candidat de l 'humiliation
» (67). Les titres choisis par les autres journaux illustrent bien
qu 'ils n 'ont pas ajouté de couche journalistique à la parole
du candidat.
Les deux seuls hebdomadaires a lui consacrer un portrait, Minute et
L ' Express, jouent ainsi sur le nom du candidat n 'ayant pas d 'autres
références pour le qualifier, titrant leurs portraits
« pourquoi Barbu vous rase gratis » et «un Barbu en colère
» (68). L ' Humanité et Paris Match, dans sa présentation
photographique, utilisent le même aspect du prétendant qui
s 'est fait connaître dans les dernières minutes et est inattendu
: «le candidat de la « dernière heure »»
et « le candidat de la onzième heure » (69). Idée
que la tribune libre publiée dans Le Monde en faveur de Marcel Barbu
reprend un peu ironiquement pour montrer que le pas a été
franchi par certains analystes entre le candidat connu au dernier moment
et celui connu trop tard et qui est en trop : « le candidat de la
vingt-cinquième heure»(70).
Ces quelques exemples ciblés démontrent que les titres
surlignent la position de chaque journal.
Est-ce aussi le cas pour Jacques Cheminade?
Les titres choisis pour les portraits confirment en grande partie le
statut de candidat mystérieux que la presse lui a donné.
Des journaux aussi différents que Le Figaro, La Croix, L ' Express,
Libération, Le Monde et Minute insistent tous sur cet aspect.
La Croix titrant « Cheminade, une énigme dans la
campagne », Le Monde : « Jacques Cheminade derrière
son rideau de fumée » ou Minute : « le candidat mystère
», prennent à la fois la position légitime de
la présentation prudente de toute personnalité inconnue du
public en l 'accompagnant d 'un vrai choix d 'ajouter à ce mystère
celui du personnage dont ces portraits démêlent pourtant des
fils qui permettraient de le qualifier autrement et plus précisément
(71). Qualification précise et concordante que font deux journaux
dès la connaissance officielle du candidat, France-Soir et Charlie
Hebdo, qui titrent leurs portraits «Cheminade soutenu par un gourou
» et « un sous gourou s 'offre les 500 signatures »
(72). Il n y a pas d ' équivoque, ces deux journaux étant
aussi ceux qui ont le plus avancé à visage découvert.
France-Soir par l ' éditorial déjà évoqué
et l’hebdomadaire satirique par le choix dès le début de
le présenter comme un représentant des sectes.
Les autres journaux ne s 'engagent pas plus que par la présentation
directe des informations.
La façon dont il a obtenu ses parrainages ou sa condamnation
n 'ont assez curieusement pas entraîné de grandes analyses
sur la remise en cause du mode d 'obtention des signatures ou le souhait
de plus de transparence à l 'avenir sur la biographie des postulants
qui briguent la candidature officielle.
Généralement une phrase laconique suffit pour exprimer
la position des journaliste mais cachée au milieu d'un article général
de portrait ou autre. Ce qui paradoxalement peut avoir plus d 'effet qu
'une attaque et polémique frontale car la sentence analytique arrive
presque logiquement et semble couler de source
Lorsque L ' Humanité finit un article par : «une manière
peut être de chercher à répondre à ceux qui
pourraient s 'étonner qu 'un individu aux prises avec la justice,
condamné, puisse être candidat à l 'élection
présidentielle » on ne sait pas si c 'est le journaliste qui
s 'étonne ou l 'image qu'il se fait de l 'opinion du lecteur, qui
est de plus ainsi guidée (73).
Une orientation du lecteur retrouvée aussi par exemple dans
cette conclusion du portrait que lui consacre L ' Express : «grâce
à eux [les maires], Jacques Cheminade a accès à la
plus fabuleuse des campagnes de publicité. Aux frais du contribuable
» (74).
Est-ce que les titres d 'articles sur ces deux grands thèmes
révélés et couverts par la presse choisissent aussi
l 'angle informatif ?
A deux exceptions, les journaux s 'en sont tenus à la présentation
informative, comme L ' Humanité titrant sobrement : « Cheminade
condamné pour vol » ou Le Parisien selon le style plus
populaire du journal : « comment Cheminade a pêché ses
signatures » (75).
Seuls deux grands titres de Libération et France-Soir sont vraiment
des indications sur la façon dont le lecteur devait recevoir l 'exposé
des faits. Mais toujours selon la méthode de l 'insinuation et de
la déduction guidée.
Lorsque Libération titre en énormes caractères
gras son grand article sur les parrainages : « Cheminade? Je me suis
fait avoir », l 'effet voulu ou non est que les lecteurs ne se fassent
pas avoir en donnant leur voix au candidat comme les parrains s 'étaient
faits avoir en lui accordant leur signature. Il s 'agit réellement
d 'une mise en garde plus ou moins déguisée, mise en garde
qui s 'accompagne en plus d 'une caricature illustrant l 'article très
directrice (76).
Quand France-Soir accompagne un article extrêmement détaillé
sur les circonstances de sa peine avec sursis par ce titre en énormes
caractères : « Cheminade candidat condamné »,
comme pour Libération le titre est à double sens, la condamnation
de la justice qui est en appel au moment de l 'élection étant
de fait par l 'ajout de « candidat » entre les deux termes
aussi celle du journal (77).
Cette petite étude a démontré que les titres, tant
pour Marcel Barbu que Jacques Cheminade, renforcent bien les positions
prises par les journaux en les amplifiant et guidant le lecteur dans des
directions qui peuvent être complètement différentes
à partir de la même intervention télévisée
ou de la même enquête.
Il est un autre signe indirect qui fait partie de la valeur ajoutée
journalistique et est incontournable : les comparaisons avec des personnages
historiques ou populaires et les images utilisées pour remplacer
le nom du candidat.
Ces comparaisons sont importantes non seulement car elles sont employées
dans tous types d 'articles et constituent donc un indice semé sur
la perception du prétendant.
Mais aussi car elles ont pour buts directs et indirects que les hors
parti puissent être rattachés par les électeurs à
des personnages ou des images ayant des valeurs, un positionnement et une
représentation qui n 'est plus inconnue. Ce qui crée en conséquence
une identification.
Ce chapitre a déjà éclairci pour quelles raisons
Marcel barbu est qualifié de candidat de la onzième heure
et de représentant des persécutés. Existe-t-il d 'autres
termes ou qualificatifs aussi parlant ayant servi à le classer?
En fait une étude d 'ensemble démontre que la presse
a repris le vocabulaire employé par le candidat pour se décrire.
Il suffit que lors d 'une conférence de presse il se déclare
le « candidat du pouvoir communal » pour que le lendemain La
Croix, Combat et Le Monde emploient ce qualificatif (78).
De même le qualificatif de « chien battu » est repris
par les journaux comme indiqué auparavant, ainsi que le nom
de « Jacques Bonhomme » qu 'il s 'attribue le lendemain de
sa rencontre manquée avec De Gaulle et qui est réemployé
par L ' Aurore (79).
Le langage très imagé du candidat a offert des armes
aux journalistes, mais eux-mêmes en ont-ils ajouté?
Combat est le seul à accoler à son nom des termes tournant
autour du sens que le journal donne à sa campagne. Il est ainsi
tour à tour et chronologiquement : « le candidat des persécutés
», « le candidat des sans-noms », « candidat de
l 'humiliation », pour devenir avant le premier tour «
l apôtre extatique des gueux et des opprimés » (80).
A noter aussi La Croix qui emploie un vocabulaire religieux de rigueur
pour l ' appeler « l ‘ apôtre de Sannois » et «
le prophète des boîtiers de montre » ou Le Figaro
qui le surnomme dans un éditorial « ce charlot des temps héroïques
» (81).
Dans une grande mesure les journaux se sont contentés de ces
qualificatifs, qui ajoutés aux termes du candidat de la dernière
heure sont déjà assez parlants et indicatifs et tournent
toujours autour de la même idée de candidat du « petit
» peuple.
Si il ne se présente dans la lignée d 'aucun personnage
politique ou populaire et ne revendique aucun héritage ni filiation,
son discours ou sa manière de s 'exprimer ont ils permis à
la presse de lui en fournir?
Le style de Marcel Barbu lors de ses interventions télévisées
a inspiré les journalistes. L ‘ évolution du Figaro sur la
perception du candidat est intéressante. Lors de sa première
apparition le journal écrit que «sous quelques angles, [il]
fait songer au président Wilson » et lors de la dernière
il le compare au clown de music-hall « Baggessen aux prises avec
son papier collant » (82).
La campagne a fait passer Marcel Barbu du statut de candidat à
celui de fantaisiste.
Son programme communautaire ouvrait aussi le boulevard de la comparaison
avec les figures historiques phalanstérienne. Seul Le Figaro lors
d 'une introduction de deux lignes d 'un compte-rendu télévisuel
le présente comme « défenseur des thèmes de
Charles Fourier qui voulait faire vivre ses contemporains dans des phalanstères»
et La Nation fait allusion dans une retranscription de son discours au
« style des phalanstères chers aux penseurs sociaux du dix-neuvième
siècle, de la famille de saint Simon»(83).. Tout ceci démontre
bien que cet aspect de son programme n 'a pas été relayé.
L ' Aurore le qualifie aussi deux fois au tout début de la campagne
de « phalanstérien », de même que Combat qui le
jour de l 'annonce de sa candidature écrit qu ‘ il s 'inspire «des
principes fouriéristes » (84). Mais une fois que ce quotidien
aura donné une autre direction à sa candidature ce qualificatif
ne revient pas et est remplacé par d 'autres. Lors de l 'analyse
la plus théorique il y a ce passage déjà cité
où il est comparé par un raccourci historique un peu délirant
à l 'esclave « Spartacus » alors que dans
la tribune libre hagiographique parue dans le même journal il est
mis en parallèle avec « René Cousinet, Albert Schweitzer,
Le Corbusier et Antoine de Saint-Exupéry » (85). De Spartacus
à Le Corbusier il y a un monde assurément qui démontre
au moins que Combat était réellement un journal ouvert au
débat et à toutes les opinions.
Au final si le nombre de comparaisons est réel mais faible,
leur nature a pu fournir des points de repères confirmateurs
mais guère plus éclairants et explicatifs aux lecteurs.
Le cas de Jacques Cheminade est tout autre. Contrairement à
Marcel Barbu il vient avec son propre panthéon de dizaines de figures
historiques où les journaux n 'ont qu 'à piocher.
Allaient-ils, encore une fois, le comparer à De Gaulle,
à Sully, à Colbert ou à Jaurès?
En fait ils ne l 'ont comparé qu 'à une seule personnalité
politique.
A un américain tour à tour qualifié d ‘
« ex- taulard devenu gourou », « milliardaire (...) d
' extrême droite », « sulfureux politicien américain
», « ultra-conservateur récemment condamné pour
escroquerie » qui se nomme Lyndon Hermyle LaRouche junior(86).
Aucune autre figure historique ou populaire, aucune image tous journaux
confondus ne va briser le lien entre « ce fidèle lieutenant
» et son mentor dont il se dit l 'ami et le collaborateur dans sa
profession de foi (87).
Ses idées, sa condamnation pour vol et sa présentation
à l 'élection présidentielle sont le triptyque commun
pour une identification totale de Jacques Cheminade avec Lyndon LaRouche
alors qu 'il aurait sans doute préféré être
comparé aux penseurs dont il se réclame.
Les adjectifs accompagnant son nom tournent autour d 'un
seul mot, celui de candidat mystérieux
Les journaux ont pour l 'occasion fait preuve de peu d 'imagination.
Les signes indirects confirment bien les analyses et le choix des informations
que chaque journal a effectué. Tout cela forme le message que la
presse envoie à ses lecteurs, l 'emballage qui entoure le message
brut du candidat.
Mais une des caractéristiques de la presse est d 'offrir aussi
à ses lecteurs un droit de réponse et une tribune a l 'intérieur
même de ses colonnes qui prend différentes formes. Parfois
le journal va chercher le lecteur pour sonder son avis, le faire connaître
le relayer. Parfois, c 'est le lecteur qui choisit lui-même d 'écrire