- Section 2 - De la télévision à la presse
En 1965 une enquête est réalisée après la
campagne électorale.
Il est demandé aux sondés quels moyens d 'information
ils ont utilisé pendant la période des élections et
celui ayant eu le plus d 'importance sur leur choix (36).
La réponse est très nette. 52% choisissent la télévision,
22% la radio et 11% la presse.
Le fait de ne pouvoir choisir qu' une seule réponse et l ''entrée
de la télévision dans la campagne avec la nouveauté
de voir des candidats de l 'opposition à égalité de
temps d 'antenne avec le général De Gaulle a sans doute expliqué
en grande partie ce plébiscite.
Mais pour 1995 il est probable que les réponses soient
les même et dans le même ordre.
Est-ce à dire que l 'étude de la presse ne présente
aucun intêrét?
Si il est certain que la télévision est au centre du
système médiatique, il reste que le média de l 'écrit
a un rôle essentiel.
Ce rôle est expliqué de façon très directe
à propos d 'une analyse par l ' hébdomadaire Charlie Hebdo
de l ' émission «La marche du siècle» avec comme
invité Edouard Balladur pendant la campagne de 1995 : «laissons
l 'image de côté et découvrons leur dialogue, une fois
mis noir sur blanc, éclatante supériorité de l 'écrit
sur l 'image. L 'écrit ne ment pas. Impossible de dissimuler le
vide sidéral du dialogue derrière le choix des cravates et
l 'habilité des mouvements de caméra» (37).
Ce recul journalistique, cette analyse à froid de la télévision
se voit par quelques réactions choisies presque au hasard dans des
journaux différents sur la façon dont a été
traité Jacques Cheminade.
Sur la présentation de sa candidature : «on sentait
la main mise du pouvoir et la prudence carriériste des professionnels
de la télévision. Le meilleur exemple est ce déchaînement
dont le candidat Cheminade a fait les frais lors de son passage à
TF1. Le type de comportement que l 'on aurait aimé voir appliqué
aux gros candidats, ce qui ne fut pas le cas»(38).
Sur les écarts entre le temps accordé à chaque
candidat : «s 'indigner de la disproportion énorme dans le
traitement des différents postulants à l 'élection
présidentielle ne relève pas de l 'esprit de clocher.
La qualité même de la démocratie dans notre pays, la
faculté dont chaque citoyen dispose de juger en pleine connaissance
des propositions soumises, sont en jeu» (39).
Sur les coulisses de la télévision un soir de premier
tour qui expliquent plus que toute analyse ce qu 'a été la
campagne : « pourquoi je viens à TF1? Comme Jack [Lang], parce
qu'on me l'a demandé. Ce sont les médias qui décident
des invitations, et c'est d'ailleurs un problème dans cette campagne,
répond le premier secrétaire du PS, énervé
(...) Morne plaine. Jacques Cheminade, maquillé, seul, a l'air furieux»
(40).
Dans tous ces exemples transparaît la fonction politique de la
presse résumée ainsi par Pierre Albert : «elle doit
dans la multiplicité de ses publications, libres et indépendantes,
participer à la défense du pluralisme démocratique
par ses informations, ses commentaires et ses critiques »(41).
C 'est cette fonction là que cette étude cherchera à
utiliser en particulier dans les chapitres suivants. Pour essayer par la
somme de toutes les sensibilités, de toutes les analyses, de tous
les bords politiques et idéologiques d 'avoir une vision d 'ensemble
du traitement médiatique de ces candidats hors parti.
Il serait faux pourtant de ne voir dans la somme des publications du
média écrit qu 'un lubrifiant démocratique coupée
de toute réalité avec les lecteurs et la population. La presse
n 'est pas qu'un agent d 'influence du débat et de la démocratie.
Il est vrai que ce n 'est pas toujours les journaux aux plus forts
tirages qui ont la plus grande influence, que la tendance générale
de la consommation des quotidiens est à la baisse lente et régulière
depuis l 'après guerre.
Mais il ne faut pas oublier que si presse nourrit le débat médiatique
et politique elle se nourrit aussi de ses lecteurs qui la font vivre.
Elle fait voisinner dans ses éditions la retranscription et
l 'analyse des discours et le courrier des lecteurs. Elle informe le citoyen
électeur et en même temps doit relayer l 'avis de ses lecteurs.
L ' étude de ce double relais est essentielle dans une étude
sur une campagne électorale et ne doit pas être négligée.
Quels journaux retenir pour analyser les candidatures de Marcel barbu
et Jacques Cheminade en tenant compte de tous ces aspects?
Faut-il privilègier les journaux à plus forts tirages,
ceux qui ont la plus grande influence?
Comment être sûr que l 'ensemble des journaux choisis couvre
bien l 'ensemble des situations de la population française par âge,
niveau d 'instruction ou profession?
Il convient surtout de trouver le juste milieu entre tous les paramètres
ne pas retenir trop ni trop peu de journaux pour représenter toutes
les tendances sans en privilégier une.
Après l 'examen attentif de plusieurs livres sur la presse,
voici dans le tableau ci-dessous les journaux retenus pour cette étude
et une comparaison de plusieurs critères importants mais évidemment
non exhaustifs ayant déterminé ces choix.
Tableau récapitulatif des journaux retenus pour l 'étude des candidatures de Jacques Cheminade et Marcel Barbu et comparaison de différentes caractéristiques importantes de ces journaux (42) :
Légende:
Eléments de comparaison :
1: Diffusion moyenne en 1965 et 1995.
2: Présence en province en pourcentage du tirage global.
3: Augmentation moyenne des ventes durant l 'élection
présidentielle par rapport au tirage moyen.
4: Position politique globale du journal et / ou soutien politique
durant l 'élection.
5: Classification globale de l 'électorat.
6: Politisation générale du journal et des lecteurs /
polarisation du journal sur l 'élection.
Journaux utilisés:
Quotidiens:
Hebdomadaires:
L ' Aurore (A)
Le Canard Enchaîné (L)
Combat (B)
L ' Express (M)
La Croix (C)
Minute (N)
Le Figaro (D)
Le Nouvel Observateur (O)
France-Soir (E)
Paris Match (P)
L 'Humanité (F)
Charlie Hebdo (Q)
Le Monde (G)
L ' Evénement du jeudi (R)
La Nation (H)
Le Point (S)
Le Parisien (I)
Infomatin (J)
Libération (K)
0 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 |
1965 | 1965 | 1965 | 1965 | 1965 | 1965 | 1965 |
A | 439 994 | 25% | 1,4% | Lecanuet | Populaire, Commerce/affaires
|
Fort / Fort |
B | 44 347 | NC | NC | Lecanuet / Mitterrand | Politisés mais non militants | Moyen/ Fort |
C | 122 347 | 73% | NC | De Gaulle (2nd tour) | Lecteurs chrétiens, fidèles. | Moyen / Moyen |
D | 500 000 | 36% | 2,34% | De Gaulle et Lecanuet | Droite, aisés / bourgeois | Fort / Fort |
E | 1 235 610 | 34% | 3,25% | De Gaulle | Populaire, grand public | Faible / Moyen |
F | 205 175 | NC | 29,34% | Mitterrand | Militants, sympathisants | Fort / Fort |
G | 287 255 | 57% | 15,25% | Indépendant | Cadres/enseignants/étudiants | Fort / Fort |
H | 20 000 | NC | NC | De Gaulle | Gaullistes, journal de l 'UNR | Fort / Fort |
I | 845 213 | 14% | NC | De Gaulle | Populaire, grand public | Faible / Moyen |
L | 506 320 | NC | 17,6% | Anti-gaulliste | Gauche, républicains /anarchistes | Fort / Fort |
M | 488 260 | 60% | 15% | Lecanuet / Mitterrand | Large : jeunes, cadres, féminin | Moyen / Moyen |
N | 329 000 | NC | 10% | Tixier-Vignancour | Journal des nationaux | Moyen / Fort |
O | 251 530 | NC | 5,1% | Mitterrand | CSP+, Gauche non communiste | Fort / Fort |
P | 940 160 | NC | -0,31% | De Gaulle | Populaire, grand public | Faible / Moyen |
1995 | 1995 | 1995 | 1995 | 1995 | 1995 | 1995 |
C | 96 000 | NC | NC | Droite chrétienne | Lecteurs chrétiens, fidèles | Moyen / Moyen |
D | 382 873 | NC | NC | Droite | Droite, aisés / bourgeois | Fort / Fort |
E | 197 121 | NC | NC | Indéterminé | Populaire, grand public | Faible / Moyen |
F | 85 000 | NC | NC | Hue | Militants, sympathisants | Fort / Fort |
J | 85 000 | NC | NC | Gauche | Populaire, gauche | Moyen / Fort |
K | 167 000 | NC | NC | Gauche / Chirac | Gauche, étudiants actuels et ex | Fort / Fort |
G | 379 000 | NC | NC | Indépendant | Cadres / enseignants / étudiants
|
Fort / Fort |
I | 600 000 | NC | NC | Chirac | Populaire, grand public | Faible / Moyen |
L | 506 000 | NC | NC | Indépendant | Gauche, républicains / anarchistes | Fort / Fort |
Q | NC | NC | NC | Indépendant / Voynet | Jeunes et fils de 1968 | Fort / Fort |
R | 215 000 | NC | NC | Indépendant à gauche | Gauche, populaire | Fort / Fort |
M | 553 853 | NC | NC | Indépendant | Large : jeunes, cadres | Moyen / Moyen |
N | NC | NC | NC | Le Pen | Droite extrême, front national | Moyen / Moyen |
O | 436 560 | NC | NC | Gauche | CSP+, gauche | Moyen / moyen |
P | 809 126 | NC | NC | Indéfini | Populaire, grand public | Faible / Faible |
S | 305 389 | NC | NC | Centre droit | Centre droit, commerce / affaires | Moyen / Moyen |
Les journaux retenus vont de l 'extrême-droite à l 'extrême-gauche,
de l 'électorat populaire à l 'électorat aisé,
du grand public aux militants fortement politisés.
Ce tableau et les informations qu 'il donne servira de référence
constante et implicite pour chaque affirmation donnée dans les chapitres
suivants de cette partie.
Ce chapitre a posé les jalons de l 'étude de l 'espace
médiatique occupé par Marcel Barbu et Jacques Cheminade.
Après avoir examiné leur campagne à la télévision,
ce que l 'étude de la presse peut apporter pour déterminer
l' ampleur exacte de leur campagne et défini quels journaux servent
d 'éléments d 'analyse, il est temps maintenant de répondre
aux questions posées par ce chapitre.
Comme pour leur étude télévisuelle, avant d'analyser
l 'espace qualitatif de Marcel Barbu et Jacques Cheminade il est nécessaire
d ‘ étudier d 'abord la place quantitative occupée par ces
deux candidats hors parti dans la presse.