Chapitre 1
La presse, moyen privilégié d 'étude
Dès la campagne de 1965 les nouvelles voies de transmission des
candidatures aux électeurs ont soulevé un débat
et des controverses.
Les médias et la télévision en particulier contribuent-ils
à dégrader le débat politique, à caricaturer
les analyses et idées des prétendants, à faire entrer
de nouveaux critères peu démocratiques dans l 'appréciation
d 'un candidat par l 'électeur comme son physique ou sa voix et
n 'y a-t-il pas danger à les laisser seuls face au peuple sans conduire
à la démagogie?
Ou au contraire ces outils médiatiques permettent-ils de rendre
intelligibles et simplifier des idées difficiles à comprendre
par tous par l 'instantanéité et l 'urgence de la télévision
et la radio et à amener chez tous les électeurs le candidat
pour qu 'ils puissent se faire leur propre opinion sans passer par celles
des autres voies d 'accès militantes et indirectes?
L 'objet de cette partie n 'est pas de prendre part au débat
plus large que l 'objet de cette étude sur le côté
où penche la balance de la télécratie et la démocratie
électorale.
Il s 'agit simplement dans ce chapitre de partir d 'une analyse des
prestations télévisées de Marcel Barbu et Jacques
Cheminade et à partir d 'exemples et de faits précis de montrer
quelles sont les limites d 'une simple étude télévisuelle.
Et donc pourquoi la presse est le meilleur outil pour déterminer
l 'espace médiatique occupé par un hors parti à l
'élection présidentielle.
Pour mener à bien cette analyse de la presse dans les
chapitres suivants, ce chapitre étudiera aussi les caractéristiques
des journaux retenus.
Ces journaux ont été utilisés dans les parties
précédentes comme relais, pour apporter des informations
et précisions objectives sur les candidats et leurs idées.
Mais utiliser la presse comme objet pour disséquer ses analyses
implique obligatoirement de s 'intéresser aussi au support par son
électorat, son tirage ou son influence.
Ce chapitre part donc des campagnes télévisuelles de
Marcel Barbu et Jacques Cheminade pour arriver à leur traitement
par la presse.
- Section 1 - L 'élection télévisuelle
Avant d 'étudier et de comparer les caractéristiques de
leurs interventions à la télévision, quelques mises
au point sont nécessaires.
En 1965 il y a 6,3 millions de téléviseurs pour 28 millions
d 'électeurs, trois électeurs sur quatre ne recoivent donc
pas les candidats chez eux. Même si les lieux publics sont investis
de nouveaux téléspectateurs et que la location de téléviseurs
augmente durant la campagne, une grande partie des électeurs n 'a
pas accés à la télévision (3).
En 1995 ce n 'est plus le nombre de possesseurs de téléviseurs
qui est étudié mais la part d 'audience de chaque candidat.
En 1965 il n 'y a que deux chaînes de télévision
qui sont toutes les deux des chaînes d 'état. Il n 'existe
pas d'appareil officiel de mesure d 'audience et le conseil d 'administration
de l ' ORTF a promis qu'il n'y aurait pas de programmes risquant de retenir
les télespectateurs sur la deuxième chaine pendant que la
campagne électorale se déroule sur la première (4).
En 1995 la majorité des français dispose d 'au moins
quatre chaînes, face aux programmes de la campagne officielle diffusés
sur les deux chaines publiques, les chaînes privées n 'ont
pas l 'obligation de mettre des programmes inintéressants.
En 1965 la campagne télévisée des candidats se
fait essentiellement à travers les émissions minutées
réglementaires de la campagne. Ces émissions sont programmées
aux meilleurs heures d 'écoute le midi et le soir pour un total
d 'une heure trente. Les candidats n 'ont pas d 'espace défini en
dehors de ces émissions et il n 'existe pas vraiment de pré-campagne
télévisuelle.
En 1995, les émissions réglementaires sont éparpillées
à toutes les heures sur les deux chaînes publiques. Chaque
candidat dispose de plusieurs émissions courtes pour un total de
soixante minutes. Les rediffusions de ces émissions sont multiples.
Les longues interventions des candidats, deux de quinze minutes sont diffusées
sur France 2 à 2h10 du matin et à 5h30 et ne sont pas rediffusées
(5). Les chaînes privées comme publiques créent
des nouveaux espaces de dialogue entre les candidats et les électeurs
à de grandes heures d 'écoute. Ces espaces d 'expression
électorale commencent largement avant le début de la campagne
officielle.
Les règles du jeu ne sont donc pas les mêmes et les intérrogations
pour ces deux candidatures sont différentes.
La question qui se pose pour Marcel Barbu est de savoir comment il
s 'est préparé à cette campagne audiovisuelle et si
il a réussi à l 'apprivoiser?
La question que pose la candidature de Jacques Cheminade est plutôt
de comprendre dans quelle mesure il a pu dépasser son temps d 'apparition
télévisée obligatoire pour pouvoir intégrer
les première et seconde couches du débat audiovisuel?
Dès l 'annonce de sa candidature, Marcel Barbu la présente
comme un «moyen d 'utiliser la tribune de la télévision
pour révéler le scandale national de la démocratie
bafouée et des citoyens bâillonnés et enchaînés
» (6).
Il est parfaitement conscient que l 'endroit où se jouera
sa campagne et le lieu ou il pourra exprimer le mieux son message est la
télévision.
A la fin de la campagne une de ses deux propositions est de pouvoir
continuer à y apparaître.
Mais hors de ces déclarations d 'intention, a-t-il bien su l
'utiliser pour transmettre son message?
Avant sa première apparition, il n'a pas suivi d 'entrainement
spécifique contrairement aux autres candidats qui s 'exercent
à la technique télévisée en circuit fermé
en procédant à de brefs essais sur chaîne vidéo
(7).
La raison selon lui en est simple : «nombre de ceux qui sont
passés devant le petit écran sans entraînement préalable
s 'en sont sortis très brillamment. Je serai de ceux-là»
(8).
Pourtant cette certitude est rapidement devenu un doute, peut-être
a-t-il senti le poids important de l 'auditoire qu 'il avait face à
lui, c 'est pourquoi il « voulait au début que l 'on se contenta
de projeter sur l 'écran une photographie immobile pendant qu 'il
parlerait» (9).
Il est difficile de savoir les conséquences sans doute désastreuses
pour le candidat qu 'aurait pu avoir cette décision si il l 'avait
suivie. Les raisons d 'un tel souhait peuvent être une peur de la
comparaison avec les autres candidats, l 'envie aussi qu 'on ne le juge
que sur ses déclarations et pas sur son apparence à la télévision
car ce qu 'il veut c 'est seulement être connu pour ses idées.
Son apprentissage de la télévision ne s 'est pas passé
aussi naturellement qu 'il l 'aurait voulu.
D 'abord contrairement aux autres et par exemple à François
Mitterrand qui enregistre son discours par morceaux qu 'il se fait passer
au fur et à mesure avant de continuer ou recommencer, il enregistre
toute son intervention dans les conditions du direct (10).
Les autres candidats comme Marcilhacy et Tixier-Vignancour n 'utilisent
que des notes, lui «brandit des feuillets dactylographiés
dont il ne se sert pas» (11).
Les conditions de l 'enregistrement sont elles aussi difficiles : «
les projecteurs le font transpirer. La technique le trouble. Le maquillage
lui paraît inutile et si il voit un sourire dans l 'assistance, il
perd ce qui lui reste d 'assurance» (12).
Pour être plus à l 'aise il est le seul avec le général
De Gaulle qui demande à enregistrer les émissions à
domicile «au milieu de ses copains» (13).
Petit à petit il va approvoiser la télévision
et sa peur, ainsi «après une longue hésitation,
il a accepté de se confier aux soins de la maquilleuse. Mais à
la fin de la scéance, il a refusé de faire enlever son fond
de teint» (14). Lors de sa deuxième intervention télévisée
il est déjà plus à l 'aise et plus décontracté.
Et à la fin de la campagne il oublie petit à petit les contraintes
de l 'environnement au point de se retrouver au bord des larmes lors d
'une supplique adressée au général.
Il est très étrange que cet enregistrement en différé
n 'ait pas été recommencé. Peut-être n 'y a-t-il
pas pensé, n 'avait-il plus de temps, ou pensait-il que c 'était
tricher que de l 'effacer.
Il est certain qu 'il a pris gout à ces presque deux heures
passées à la télévision déclarant même
:«je voudrais être le Sapeur Camember et disposer en permanence
de cinq minutes quotidiennes. La télévision c 'est l 'instrument
rêvée de la démocratie» (15).
Les parties précédentes ont détaillé quelles
ont été ces interventions sur le fond, comment il s 'est
présenté, comment ces apparitions de témoignage sont
devenues de proposition, et quelle a été l 'évolution
de son discours. La façon dont il s 'est adressé à
la population sera analysée dans la partie suivante.
Quelle conclusion apporter ici sur l 'espace médiatique occupé
par Marcel Barbu ?
Le temps d 'antenne est le même que les autres candidats.
La seule fois où il est fait mention de Marcel Barbu en dehors
de ses interventions officielles est quand un journaliste déclare
le 27 novembre 1965 à la télévision : «je ne
vous parle pas de Barbu, Monsieur Barbu qu 'on doit entendre tout à
l 'heure» (16).
S 'intéresser à l 'audience télévisée
de Marcel Barbu lors de ses interventions est délicat car il n 'y
a pas eu de mesures officielles.
Seul un sondage réalisé par la SOFRES pour l ' hebdomadaire
L ' Express après la première salve d 'apparitions de tous
les candidats d 'opposition permet d 'apporter quelques précisions
(17).
La première est que 51% des sondés ont déjà
vu au moins une émission télévisée de la campagne.
Donc le nombre de télespectateurs dépasse bien le nombre
de téléviseurs, mais une part importante reste quand même
en dehors.
Les taux d 'écoute sont respectivement de 36 et 35 % pour Lecanuet
et Tixier-Vignancour et de 26% pour Mitterrand et Barbu.
Il est important de préciser que ce sondage a été
réalisé avant que le général De Gaulle ne se
décide à utiliser lui aussi son temps d 'antenne.
Ces chiffres sont surprenants car aucune raison précise n 'explique
ces différences .
L 'élément essentiel est qu'il n 'y a pas de grand écart
entre les émissions de Marcel Barbu et celles des autres. Le fait
que les interventions des candidats se suivent, l 'horaire de grande écoute
où elles sont diffusées et la non conccurence sur l 'autre
chaîne sont des indices pour expliquer ces chiffres.
Apparement l 'égalité de temps s 'accompagne aussi d
'une égalité relative d 'écoute.
Le dernier élément donné par ce sondage
est que 68% des personnes intérrogées ont répondu
qu 'elles n 'avaient pas l 'intention de voir les prochaines émissions
des candidats.
Les sondés se sont fait leur opinion dès les premières
interventions télévisées voire même avant, l
'impact semble donc limité.
L 'inconvénient est surement le plus important pour Marcel barbu,
inconnu avant le début de la campagne officielle, dont les premières
interventions télévisées sont pour lui un appentissage.
Pourtant il est impossible de savoir si les émissionss suivantes
n 'ont vraiment pas été suivies car aucun autre sondage n
'est paru après. Sans doute la décision du général
De Gaulle de participer à la campagne a-t-elle relancé l
'intérèt des téléspectateurs.
Les indications sur les apparitions télévisées
de Marcel Barbu sont seulement quantitatives : minutage et taux d 'audience.
L 'apport de la presse sur sa candidature est indispensable pour comprendre
l 'impact qualitatif qu' a pu avoir l' occupation de son temps télévisuel.
Chaque journal va offrir un point de comparaison sur le fond et la
forme de ces interventions qui au final permettra de tirer des enseignements
précis sur la manière dont le candidat hors parti a été
perçu globalement par les médias et en conséquence
les électeurs.
La limite principale de la télévision en 1965 est qu
'elle lui a seulement offert un espace de parole et d 'expression. La presse
y ajoute une autre dimension, celle de l 'espace du débat et de
la critique.
Est-il classé médiatiquement comme un des six candidats,
un des candidats de l 'opposition, le candidat du peuple, du logement,
de la réforme communale ou un candidat inclassable?
Il est impossible d 'y répondre sans étudier la presse.
L 'étude de la candidature de Jacques Cheminade par la presse
est-elle aussi indispensable?
Contrairement a Marcel Barbu qui dépose ses signatures de parrains
le premier jour de la campagne officielle, Jacques Cheminade apporte les
siennes au conseil constitutionnel dès le 17 mars, soit le premier
jour légal de dépôt et un mois avant le premier tour.
Allait-il devoir attendre les émissions de la campagne officielle
pour faire son apparition sur les écrans?
Une étude du temps consacré aux candidats et à
leurs soutiens dans les journaux télévisés et les
bulletins d 'information pendant la pré-campagne du premier
janvier au six avril 1995 a été effectuée très
précisément.
Même si Jacques Cheminade s 'est déclaré à
la mi-mars, la comparaison est intéréssante car elle montre
aussi dans quelle mesure la campagne télévisuelle démarre
avant le début de l' officielle ce qui est au détriment de
ces prétendants connus peu de temps avant le premier tour.
Tableau comparatif du temps consacré aux candidats et à
leurs soutiens dans les journaux télévisés et les
bulletins d 'information pendant la pré-campagne du 1er janvier
au 6 avril 1995 (18):
|
Pourcentage d 'occupation de l 'antenne | |
J. CHEMINADE |
|
|
E. Balladur |
|
|
L. Jospin |
|
|
J. Chirac |
|
|
P. de Villiers |
|
|
JM. Le Pen |
|
|
R. Hue |
|
|
A. Laguiller |
|
|
D. Voynet |
|
|
Total |
|
|
D 'après ce tableau, il y a bien trois couches médiatiques
à cette élection présidentielle qui occupent des temps
sensiblement équivalents. Les trois grands entre 26 et 29% chacun
totalisent avant même le début de la campagne 84% du temps
total d 'antenne. Les trois candidats de la seconde couche entre 4 et 5%
soit 13,13%. Enfin la troisième couche occupe entre 0 et 1,5% du
temps d 'antenne pour un total de 2,86%.
La place télévisuelle occupée par Jacques Cheminade
est résiduelle.
Même si pour les autres candidats le décompte se fait
sur six mois, entre le 17 mars et le 6 avril, date de début de la
campagne officielle, il n 'a bénéficié que de 11 minutes
toutes chaînes confondues.
Est-ce à dire que le scénario était déjà
joué, que les places à l 'élection étaient
déjà occupées, que des clans sont déjà
délimités?
La similitude et l 'homogénéité à l 'intérieur
de chacune des trois couches le laisse croire, un nouveau candidat ne peut
être classé qu 'au même niveau que la troisième
couche. Il n 'y a pas d 'engouement, ni même d 'intêret pour
cette candidature.
Jacques Cheminade est bien traité comme un candidat, mais un
petit sans se préoccuper de ses idées ou de ses soutiens.
Quelle a été sa réaction alors qu 'il avait surement
déposé sa candidature aussi tôt aussi pour pouvoir
bénéficier d 'un mois entier de campagne médiatique,
de l 'accoutumance de la télévision et d 'un début
de familiarité avec les électeurs?
Il a rapidement compris qu 'il ne bénéficiait d 'aucun
relais ni traitement de la part de la télévision.
Dès le 21 mars il envoie une lettre au conseil supérieur
de l 'audiovisuel pour que cette instance intervienne.
Son argumentation est très précise en ce qui concerne
la télévision où «les chaïnes ont consacré
un temps d 'antenne à des candidats aussi farfelus que Marlène
ou Cheval Debout, sans inviter M Cheminade» (19). La constatation
plus générale de Jacques Cheminade est que «les médias
font semblant de croire que cette candidature n 'existe pas»(20).
Il demande donc au CSA un «respect de la démocratie et de
l 'égalité des droits» (21).
La réponse du CSA est datée du 31 mars, dix jours plus
tard et seulement une semaine avant le début de la campagne officielle.
Elle donne raison à la requête de Jacques Cheminade et précise
que «la période de pré-campagne n 'est soumise à
aucun texte législatif ou réglementaire fixant des règles
précises quant à l 'accès à l 'antenne des
candidats à l 'élection présidentielle» (22).
Le seul appui du CSA pour donner à Jacques Cheminade la couverture
médiatique dûe à un candidat est mince : des «recommandations»
sont envoyées aux chaînes pour qu 'un «principe d 'équilibre»
soit au moins appliqué à défaut du «principe
d 'égalité» de la campagne officielle(23).
Ces recommendations n 'ont apparement rien changé avant le six
avril ainsi que le montrent les onze minutes d 'apparitions totales du
candidat à la télévision.
Jacques Cheminade a donc passé sa pré-campagne à
se démener pour avoir accès aux médias.
Le temps de la campagne officielle du 7 au 21 avril a-t-il été
celui d 'un accès égal à celui des autres candidats?
Par les différences constatées avant il y a lieu quand
même de s 'interroger sur le sens exact de ce principe d 'égalité
qui ne commence que deux semaines avant le premier tour alors que les trois
candidats de la première couche ont bénéficié
de six fois plus d 'antenne que les trois de la seconde couche qui ont
eux-mêmes bénéficié de quatre foix plus d 'antenne
que ceux de la troisième couche.
Les écarts sont si importants qu 'ils semblent définitifs.
Quand les télévisions font leur marché pour les émissions
de grande écoute, ces différences sont surement déterminantes
dans le choix des invités.
Jacques Cheminade a-t-il pu quand même se faire une place, bousculer
les clans pour exprimer ses idées ou sa campagne télévisuelle
a-t-elle été seulement réglementaire?
Il n 'y a aucun débat possible concernant les émissions
officielles. Comme en 1965 tous les candidats ont eu un temps d 'antenne
égalisé à la seconde près.
Jacques Cheminade a bien pu utiliser ce temps pour dénoncer
en longueur le cancer financier en l 'illustrant par exemple avec des images
du krash boursier de 1987 (24). Ou consacrer une grande partie d 'une de
ses interventions au plan de paix de Pérès et Arafat(25).
Mais si ces émissions constituent une profession de foi télévisuelle
et sont des éléments d 'analyse pour les autres médias,
il reste que l 'objectif principal d 'un candidat inconnu est qu 'elles
soient regardées.
Le taux d 'écoute de Marcel Barbu était de 26% des sondés
en 1965, le taux d 'écoute de ces émissions en 1995 est d
'environ 5% (26).
Elles ne sont pratiquement plus suivies par la population et en plus
les émissions les plus longues où les candidats expliquent
longuement leur programme ne sont diffusées que la nuit.
Difficile de se faire connaitre seulement par elles. Ce qui nuit le
plus au nouveau candidat qui est peu écouté et dont le message
est noyé au milieu des autres. Et surtout cela ne lui donne pas
accès au débat.
Le chemin entre ces émissions obligatoires et les autres où
se joue l 'égalité et l 'exposition télévisuelle
est le plus difficile à atteindre pour un hors parti.
Le principe égalitaire pendant la campagne officielle implique
que chaque chaîne consacre un temps équivalent à chaque
candidat et à leurs soutiens dans les journaux télévisés
et bulletins d 'information.
Qu 'en a-t-il été dans les faits?
Tableau comparatif du temps consacrés aux candidats et à
leurs soutiens dans les journaux télévisés et les
bulletins d 'information pendant la campagne officielle du 7 au 21
avril 1995 inclus (27) :
|
|
|
J. CHEMINADE |
|
|
E. Balladur |
|
|
L. Jospin |
|
|
J. Chirac |
|
|
P. De Villiers |
|
|
JM. Le Pen |
|
|
R. Hue |
|
|
A. Laguiller |
|
|
D. Voynet |
|
|
Total |
|
|
Avec une répartition exactement égalitaire chaque candidat
aurait dû occuper 11,11% du temps d 'antenne.
On retrouve bien les trois couches mais dans des proportions très
resserées, preuve que l'avant campagne officielle laisse des
traces et établit des positions.
La comparaison de ces chiffres montre quand même que le principe
d 'égalité entre les candidat a globalement été
respecté.
Sauf pour un : Jacques Cheminade qui bénéficie d'
un temps d 'antenne presque deux fois moindre que celui de Lionel Jospin
et qui n ' occupe que les deux tiers du temps potentiel qu 'il aurait dû
obtenir en état de parfaite égalité.
Une étude plus précise du temps consacré par chaque
chaîne à Jacques Cheminade durant la campagne officielle explique
en partie les causes de cette différence flagrante.
Tableau comparatif du temps consacré au candidat Jacques Cheminade
et à ses soutiens dans les journaux télévisés
et les bulletins d 'information pendant la campagne officielle du 7 au
21 avril 1995 inclus (28).
Temps d'antenne du candidat | Temps d 'antenne de tous les candidats | Pourcentage d 'antenne par rapport au temps total de tous les candidats | |
TF1 | 0H45 | 11H07 | 6,74 |
France 2 | 0H57 | 15H42 | 6,05 |
France 3 | 0H26 | 5H12 | 8,33 |
Canal + | 0H06 | 0H21 | 30,23 |
M6 | 0H15 | 2H29 | 10,07 |
Total | 2H29 | 34H34 | 7,18 |
L 'étude de ce tableau fournit un enseignement important : plus
une chaîne est polarisée sur la campagne, plus le temps d
'antenne de tous les candidats est important en heures et plus le pourcentage
du hors parti est faible.
Le chiffre impressionnant obtenu par Jacques Cheminade sur la chaîne
cryptée n 'est pas significatif vu le peu de place accordée
par cette chaîne à l 'élection.
Lorsqu ' une couverture médiatique importante de l 'élection
est faite, les impératifs d 'audience sont ceux entrant certainement
le plus en compte et les réflexes d 'invitation des grands candidats
au détriment des moins connus se fait alors sentir.
L 'élection de 1995 se caractérise en plus par des lois
votées depuis la précédente élection présidentielle
plafonnant les dépenses électorales et l 'affichage.
Cette loi a aussi eu pour conséquence indirecte un repli des
grands candidats vers la télévision qui a eu un rôle
qui ne s 'est pas limité au relais des idées et aux débats.
Les journaux télévisés et bulletins d 'information
ont été aussi des relais de meetings ou de réunion
publiques. Les candidats ayant des moyens plafonnés ont cherché
une couverture médiatique et audiovisuelle maximum de leur moindre
déplacement et discours.
Jacques Cheminade ne menant pas une campagne de terrain aussi importante
et n 'ayant pas l 'appui de soutiens connus de l 'opinion pouvant s 'exprimer
dans les médias n 'a pas pu lutter sur ce terrain (29).. Ce qui a
pu entrainer une différence mécanique dans le traitement
audiovisuel de sa candidature.
Par tous ces éléments une conclusion s 'impose sur la
campagne officielle de Jacques Cheminade à la télévision.
Il a pu disposer en plus du temps des émissions réglementaires
de 2H29 pour exprimer ses idées. Mais sa candidature n 'a pas été
traitée de façon égale avec celle des autres candidats.
Si d 'une façon quantitative il n 'a pas bénéficié
de la totalité du temps alloué à chaque candidat si
une véritable égalité existait, qu 'en a-t-il été
sur le fond?
A-t-il eu l 'impression que ses 2H29 d 'émission ont été
pour lui l 'occasion de faire connaître son programme aux millions
de français regardant les journaux télévisés?
Lorsqu 'il envoie une seconde lettre au CSA le 17 avril, avant même
la fin de la campagne officielle, ce n 'est curieusement pas pour se plaindre
du non respect de l 'égalité de temps de parole mais de la
façon dont la télévision traite sa candidature(30).
Dans cette lettre il emploie des expressions très dures, estimant
notamment être victime d 'un «bizutage médiatique»
et d 'un «lynchage» (31). Il cite comme exemple le journal
de 20 heures de France 2 du 14 avril 1995, mais surtout TF1 qui pratiquerait
ce lynchage «de manière quasi systématique» (32).
Il est vrai notamment que son passage dans le journal du soir de
TF1 du 17 avril 1995 a été assez houleux et agité.
Gérard Carreyrou n 'hésitant pas par exempleà lui
demander s 'il n 'est pas antisémite ou d 'où vient l 'argent
de sa campagne. Le candidat qui ne s 'attendait sans doute pas à
des questions aussi directes lui a alors répondu sur l 'antisémitisme
: « si nous n 'étions pas dans cette enceinte, je me lèverais
et je vous giflerais » et sur l 'argent de sa campagne « je
gagne moins que vous tous autour de cette table »; la réponse
du journaliste fut cinglante : « oui, mais nous, on le gagne honnêtement!
» (33).
De même, le soir du premier tour, le cameraman envoyé
par TF1 pour interroger le candidat à son local de campagne ne savait
même pas à quoi ressemblait sa tête (34).
Le lendemain du premier tour il n 'hésite pas à dire
que la faiblesse de son score s 'explique surtout par cette attitude des
médias à son égard, déclarant dans un langage
imagé : « quand un joueur de rugby est traîné
dans la boue, qu'on lui marche sur la figure avec des crampons, qu'on montre
cette figure couverte de boue et de sang, les gens hésitent à
voter pour lui » (35).
Cette étude de la télévision a démontré
la situation inéquitable dont est considérée la candidature
de Jacques Cheminade sur le fond et la forme.
Mais cette étude ne s 'est faite qu 'en surface, exposant essentiellement
les faits.
Il reste à en connaître les raisons précises et
objectives.
L 'étude de la presse va permettre de déterminer comment
s 'est nouée la façon dont il a été traité
dans les médias, de comprendre par une chronologie très complète,
par l 'étude journalière et hebdomadaire de la presse de
toutes tendances si des éléments ont pu être amenés
dans la campagne pour conduire à cette appréciation
Et si cette présentation du candidat se retrouve aussi dans
le média de l 'écrit pour pouvoir faire des comparaisons.
Est-elle simplement dûe au statut du hors parti qui du
fait de sa faible présence dans les sondages, de son faible résultat
prévisible est traité sans ménagement par les médias
contrairement aux autres candidats dont l 'avenir politique peut influer
sur l 'avenir médiatique, d 'où une certaine retenue journalistique?
Est-elle dûe seulement à des impératifs d 'audience,
l'intêret de la télévision pour un prétendant
suivant la courbe des sondages et de l 'audimat?
Est-elle dûe uniquement aux révélations sur la
façon dont il a obtenu ses parrainages, sur sa condamnation pour
vol en appel?
En résumé Jacques Cheminade a-t-il été
victime de son statut de hors parti ou des caractéristiques propres
de sa candidature, est ce un bizutage ou un lynchage?
L 'étude de sa campagne dans la presse sera un moyen de comprendre
notamment à quoi est dûe cette différence de traitement
sur la forme et le fond.
Mais il convient de la même façon que pour la télévision
d 'exposer au préalable les caractéristiques principales
de ce média.