Chapitre 1
La presse, moyen privilégié d 'étude



Dès la campagne de 1965 les nouvelles voies de transmission des candidatures aux électeurs ont  soulevé un débat  et des controverses.
Les médias et la télévision en particulier contribuent-ils à dégrader le débat politique, à caricaturer les analyses et idées des prétendants, à faire entrer de nouveaux critères peu démocratiques dans l 'appréciation d 'un candidat par l 'électeur comme son physique ou sa voix et n 'y a-t-il pas danger à les laisser seuls face au peuple sans conduire à la démagogie?
Ou au contraire ces outils médiatiques permettent-ils de rendre intelligibles et simplifier des idées difficiles à comprendre par tous par l 'instantanéité et l 'urgence de la télévision et la radio et à amener chez tous les électeurs le candidat pour qu 'ils puissent se faire leur propre opinion sans passer par celles des autres voies d 'accès militantes et indirectes?
L 'objet de cette partie n 'est pas de prendre  part au débat plus large que l 'objet de cette étude sur  le côté où penche la balance de la télécratie et la démocratie électorale.
Il s 'agit simplement dans ce chapitre de partir d 'une analyse des prestations télévisées de Marcel Barbu et Jacques Cheminade et à partir d 'exemples et de faits précis de montrer quelles sont les limites d 'une simple étude télévisuelle. Et donc pourquoi la presse est le meilleur outil pour déterminer l 'espace médiatique occupé par un hors parti à l 'élection présidentielle.
Pour mener  à bien cette analyse de la presse dans les chapitres suivants, ce chapitre étudiera aussi  les caractéristiques des journaux retenus.
Ces journaux ont été utilisés dans les parties précédentes comme relais, pour apporter des informations et précisions objectives sur les candidats et leurs idées.
Mais utiliser la presse comme objet pour disséquer ses analyses implique obligatoirement de s 'intéresser aussi au support par son électorat, son tirage ou son influence.
Ce chapitre part donc des campagnes télévisuelles de Marcel Barbu et Jacques Cheminade pour arriver à leur traitement par la presse.
 

- Section 1 - L 'élection télévisuelle

Avant d 'étudier et de comparer les caractéristiques de leurs interventions à la télévision, quelques mises au point sont nécessaires.
En 1965 il y a 6,3 millions de téléviseurs pour 28 millions d 'électeurs, trois électeurs sur quatre ne recoivent donc pas les candidats chez eux. Même si les lieux publics sont investis de nouveaux  téléspectateurs et que la location de téléviseurs augmente durant la campagne, une grande partie des électeurs n 'a  pas accés à la télévision (3).
En 1995 ce n 'est plus le nombre de possesseurs de téléviseurs qui est étudié mais la part d 'audience de chaque candidat.
En 1965 il n 'y a que deux chaînes de télévision qui sont toutes les deux des chaînes d 'état. Il n 'existe pas d'appareil officiel de mesure d 'audience et le conseil d 'administration de l ' ORTF a promis qu'il n'y aurait pas de programmes risquant de retenir les télespectateurs sur la deuxième chaine pendant que la campagne électorale se déroule sur la première (4).
En 1995 la majorité des français dispose d 'au moins quatre chaînes, face aux programmes de la campagne officielle diffusés sur les deux chaines publiques, les chaînes privées n 'ont pas l 'obligation de mettre des programmes inintéressants.
En 1965 la campagne télévisée des candidats se fait essentiellement à travers les émissions minutées réglementaires de la campagne. Ces émissions sont programmées aux meilleurs heures d 'écoute le midi et le soir pour un total d 'une heure trente. Les candidats n 'ont pas d 'espace défini en dehors de ces émissions et il n 'existe pas vraiment de pré-campagne télévisuelle.
En 1995, les émissions réglementaires sont éparpillées à toutes les heures sur les deux chaînes publiques. Chaque candidat dispose de plusieurs émissions courtes pour un total de soixante minutes. Les rediffusions de ces émissions sont multiples. Les longues interventions des candidats, deux de quinze minutes sont diffusées sur France 2 à 2h10 du matin et à 5h30 et ne sont pas rediffusées (5). Les chaînes  privées comme publiques créent des nouveaux espaces de dialogue entre les candidats et les électeurs à de grandes heures d 'écoute. Ces espaces d 'expression électorale commencent largement avant le début de la campagne officielle.
Les règles du jeu ne sont donc pas les mêmes et les intérrogations  pour ces deux candidatures sont différentes.
La question qui se pose pour Marcel Barbu est de savoir comment il s 'est préparé à cette campagne audiovisuelle et si il a réussi à l 'apprivoiser?
La question que pose la candidature de Jacques Cheminade est plutôt de comprendre dans quelle mesure il a pu dépasser son temps d 'apparition télévisée obligatoire pour pouvoir intégrer les première et seconde couches du débat audiovisuel?

Dès l 'annonce de sa candidature, Marcel Barbu la présente comme un  «moyen d 'utiliser la tribune de la télévision pour révéler le scandale national de la démocratie bafouée et des citoyens bâillonnés et enchaînés » (6).
Il est parfaitement conscient que l 'endroit où  se jouera sa campagne et le lieu ou il pourra exprimer le mieux son message est la télévision.
A la fin de la campagne une de ses deux propositions est de pouvoir continuer à y apparaître.
Mais hors de ces déclarations d 'intention, a-t-il bien su l 'utiliser pour transmettre son message?
Avant sa première apparition, il n'a pas suivi d 'entrainement spécifique contrairement aux autres  candidats qui s 'exercent à la technique télévisée en circuit fermé en procédant à de brefs essais sur chaîne vidéo (7).
La raison selon lui en est simple : «nombre de ceux qui sont passés devant le petit écran sans entraînement préalable s 'en sont sortis très brillamment. Je serai de ceux-là» (8).
Pourtant cette certitude est rapidement devenu un doute, peut-être a-t-il senti le poids important de l 'auditoire qu 'il avait face à lui, c 'est pourquoi il « voulait au début que l 'on se contenta de projeter sur l 'écran une photographie immobile pendant qu 'il parlerait» (9).
Il est difficile de savoir les conséquences sans doute désastreuses pour le candidat qu 'aurait pu avoir cette décision si il l 'avait suivie. Les raisons d 'un tel souhait peuvent être une peur de la comparaison avec les autres candidats, l 'envie aussi qu 'on ne le juge que sur ses déclarations et pas sur son apparence à la télévision car ce qu 'il veut c 'est seulement être connu pour ses idées.
Son apprentissage de la télévision ne s 'est pas passé aussi naturellement qu 'il l 'aurait voulu.
D 'abord contrairement aux autres et par exemple à François Mitterrand qui enregistre son discours par morceaux qu 'il se fait passer au fur et à mesure avant de continuer ou recommencer, il enregistre toute son intervention dans les conditions du direct (10).
Les autres candidats comme Marcilhacy et Tixier-Vignancour n 'utilisent que des notes, lui «brandit des feuillets dactylographiés dont il ne se sert pas» (11).
Les conditions de l 'enregistrement sont elles aussi difficiles : « les projecteurs le font transpirer. La technique le trouble. Le maquillage lui paraît inutile et si il voit un sourire dans l 'assistance, il perd ce qui lui reste d 'assurance» (12).
Pour être plus à l 'aise il est le seul avec le général De Gaulle qui demande à enregistrer les émissions à domicile «au milieu de ses copains» (13).
Petit à petit il va approvoiser la télévision et sa peur, ainsi  «après une longue hésitation, il a accepté de se confier aux soins de la maquilleuse. Mais à la fin de la scéance, il a refusé de faire enlever son fond de teint» (14). Lors de sa deuxième intervention télévisée il est déjà plus à l 'aise et plus décontracté. Et à la fin de la campagne il oublie petit à petit les contraintes de l 'environnement au point de se retrouver au bord des larmes lors d 'une supplique adressée au général.
Il est très étrange que cet enregistrement en différé n 'ait pas été recommencé. Peut-être n 'y a-t-il pas pensé, n 'avait-il plus de temps, ou pensait-il que c 'était tricher que de l 'effacer.
Il est certain qu 'il a pris gout à ces presque deux heures passées à la télévision déclarant même :«je voudrais être le Sapeur Camember et disposer en permanence de cinq minutes quotidiennes. La télévision c 'est l 'instrument rêvée de la démocratie» (15).
Les parties précédentes ont détaillé quelles ont été ces interventions sur le fond, comment il s 'est présenté, comment ces apparitions de témoignage sont devenues de proposition, et quelle a été l 'évolution de son discours. La façon dont il s 'est adressé à la population sera analysée dans la partie suivante.
Quelle conclusion apporter ici sur l 'espace médiatique occupé par Marcel Barbu ?
Le temps d 'antenne est le même que les autres candidats.
La seule fois où il est fait mention de Marcel Barbu en dehors de ses interventions officielles est quand un journaliste déclare le 27 novembre 1965 à la télévision : «je ne vous parle pas de Barbu, Monsieur Barbu qu 'on doit entendre tout à l 'heure» (16).
S 'intéresser à l 'audience télévisée de Marcel Barbu lors de ses interventions est délicat car il n 'y a pas eu de mesures officielles.
Seul un sondage réalisé par la SOFRES pour l ' hebdomadaire L ' Express après la première salve d 'apparitions de tous les candidats d 'opposition permet d 'apporter quelques précisions (17).
La première est que 51% des sondés ont déjà vu au moins une émission télévisée de la campagne. Donc le nombre de télespectateurs dépasse bien le nombre de téléviseurs, mais une part importante reste quand même en dehors.
Les taux d 'écoute sont respectivement de 36 et 35 % pour Lecanuet et Tixier-Vignancour et de 26% pour Mitterrand et Barbu.
Il est important de préciser que ce sondage a été réalisé avant que le général De Gaulle ne se décide à utiliser lui aussi son temps d 'antenne.
Ces chiffres sont surprenants car aucune raison précise n 'explique ces différences .
L 'élément essentiel est qu'il n 'y a pas de grand écart entre les émissions de Marcel Barbu et celles des autres. Le fait que les interventions des candidats se suivent, l 'horaire de grande écoute où elles sont diffusées et la non conccurence sur l 'autre chaîne sont des indices pour expliquer ces chiffres.
Apparement l 'égalité de temps s 'accompagne aussi d 'une égalité relative d 'écoute.
Le dernier élément  donné par ce sondage est que 68% des personnes intérrogées ont répondu qu 'elles n 'avaient pas l 'intention de voir les prochaines émissions des candidats.
Les sondés se sont fait leur opinion dès les premières interventions télévisées voire même avant, l 'impact semble donc limité.
L 'inconvénient est surement le plus important pour Marcel barbu, inconnu avant le début de la campagne officielle, dont les premières interventions télévisées sont pour lui un appentissage.
Pourtant il est impossible de savoir si les émissionss suivantes n 'ont vraiment pas été suivies car aucun autre sondage n 'est paru après. Sans doute la décision du général De Gaulle de participer à la campagne a-t-elle relancé l 'intérèt des téléspectateurs.
Les indications sur les apparitions télévisées de Marcel Barbu sont seulement quantitatives : minutage et taux d 'audience.
L 'apport de la presse sur sa candidature est indispensable pour comprendre l 'impact qualitatif qu'  a pu avoir l' occupation de son temps télévisuel.
Chaque journal va offrir un point de comparaison sur le fond et la forme de ces interventions qui au final permettra de tirer des enseignements précis sur la manière dont le candidat hors parti a été perçu globalement par les médias et en conséquence les électeurs.
La limite principale de la télévision en 1965 est qu 'elle lui a seulement offert un espace de parole et d 'expression. La presse y ajoute une autre dimension, celle de l 'espace du débat et de la critique.
Est-il classé médiatiquement comme un des six candidats, un des candidats de l 'opposition, le candidat du peuple, du logement, de la réforme communale ou un candidat  inclassable?
Il est impossible d 'y répondre sans étudier la presse.
L 'étude de la candidature de Jacques Cheminade par la presse est-elle aussi indispensable?

Contrairement a Marcel Barbu qui dépose ses signatures de parrains le premier jour de la campagne officielle, Jacques Cheminade apporte les siennes au conseil constitutionnel dès le 17 mars, soit le premier jour légal de dépôt et un mois avant le premier tour.
Allait-il devoir attendre les émissions de la campagne officielle pour faire son apparition sur les écrans?
Une étude du temps consacré aux candidats et à leurs soutiens dans les journaux télévisés et les bulletins d 'information  pendant la pré-campagne du premier janvier au six avril 1995 a été effectuée très précisément.
Même si Jacques Cheminade s 'est déclaré à la mi-mars, la comparaison est intéréssante car elle montre aussi dans quelle mesure  la campagne télévisuelle démarre avant le début de l' officielle ce qui est au détriment de ces prétendants connus peu de temps avant le premier tour.

Tableau comparatif du temps consacré aux candidats et à leurs soutiens dans les journaux télévisés et les bulletins d 'information pendant la pré-campagne du 1er janvier au 6 avril 1995 (18):
 

Temps d 'antenne total
Pourcentage d 'occupation de l 'antenne
J. CHEMINADE
0H11
 0,15
E. Balladur
    34H29 
28,9
L. Jospin 
33H46 
28,31
J. Chirac
  32H00 
26,8
P. de Villiers 
    5H43 
4,79
JM. Le Pen 
 5H07 
 4,29
R. Hue
   4H50
 4,05
A. Laguiller 
 1H41
 1,41
D. Voynet 
1H33
1,3
Total
119H19
100

D 'après ce tableau, il y a bien trois couches médiatiques à cette élection présidentielle qui occupent des temps sensiblement équivalents. Les trois grands entre 26 et 29% chacun totalisent avant même le début de la campagne 84% du temps total d 'antenne. Les trois candidats de la seconde couche entre 4 et 5% soit 13,13%. Enfin la troisième couche occupe entre 0 et 1,5% du temps d 'antenne pour un total de 2,86%.
La place télévisuelle occupée par Jacques Cheminade est résiduelle.
Même si pour les autres candidats le décompte se fait sur six mois, entre le 17 mars et le 6 avril, date de début de la campagne officielle, il n 'a bénéficié que de 11 minutes toutes chaînes confondues.
Est-ce à dire que le scénario était déjà joué, que les places à l 'élection étaient déjà occupées, que des clans sont déjà délimités?
La similitude et l 'homogénéité à l 'intérieur de chacune des trois couches le laisse croire, un nouveau candidat ne peut être classé qu 'au même niveau que la troisième couche. Il n 'y a pas d 'engouement, ni même d 'intêret pour cette candidature.
Jacques Cheminade est bien traité comme un candidat, mais un petit sans se préoccuper de ses idées ou de ses soutiens.
Quelle a été sa réaction alors qu 'il avait surement déposé sa candidature aussi tôt aussi pour pouvoir bénéficier d 'un mois entier de campagne médiatique, de l 'accoutumance de la télévision et d 'un début de familiarité avec les électeurs?
Il a rapidement compris qu 'il ne bénéficiait d 'aucun relais ni traitement de la part de  la télévision.
Dès le 21 mars il envoie une lettre au conseil supérieur de l 'audiovisuel pour que cette instance intervienne.
Son argumentation est très précise en ce qui concerne la télévision où «les chaïnes ont consacré un temps d 'antenne à des candidats aussi farfelus que Marlène ou Cheval Debout, sans inviter M Cheminade» (19). La constatation plus générale de Jacques Cheminade est que «les médias font semblant de croire que cette candidature n 'existe pas»(20). Il demande donc au CSA un «respect de la démocratie et de l 'égalité des droits» (21).
La réponse du CSA est datée du 31 mars, dix jours plus tard et seulement une semaine avant le début de la campagne officielle. Elle donne raison à la requête de Jacques Cheminade et précise que «la période de pré-campagne n 'est soumise à aucun texte législatif ou réglementaire fixant des règles précises quant à l 'accès à l 'antenne des candidats à l 'élection présidentielle» (22).
Le seul appui du CSA pour donner à Jacques Cheminade la couverture médiatique dûe à un candidat est mince : des «recommandations» sont envoyées aux chaînes pour qu 'un «principe d 'équilibre» soit au moins appliqué à défaut du «principe d 'égalité» de la campagne officielle(23).
Ces recommendations n 'ont apparement rien changé avant le six avril ainsi que le montrent les onze minutes d 'apparitions totales du candidat à la télévision.
Jacques Cheminade a donc passé sa pré-campagne à se démener pour avoir accès aux médias.
Le temps de la campagne officielle du 7 au 21 avril a-t-il été celui d 'un accès égal à celui des autres candidats?
Par les différences constatées avant il y a lieu quand même de s 'interroger sur le sens exact de ce principe d 'égalité qui ne commence que deux semaines avant le premier tour alors que les trois candidats de la première couche ont bénéficié de six fois plus d 'antenne que les trois de la seconde couche qui ont eux-mêmes bénéficié de quatre foix plus d 'antenne que ceux de la troisième couche.
Les écarts sont si importants qu 'ils semblent définitifs. Quand les télévisions font leur marché pour les émissions de grande écoute, ces différences sont surement déterminantes dans le choix des invités.
Jacques Cheminade a-t-il pu quand même se faire une place, bousculer les clans pour exprimer ses idées ou sa campagne télévisuelle a-t-elle été seulement réglementaire?
Il n 'y a aucun débat possible concernant les émissions officielles. Comme en 1965 tous les candidats ont eu un temps d 'antenne égalisé à la seconde près.
Jacques Cheminade a bien pu utiliser ce temps pour dénoncer en longueur le cancer financier en l 'illustrant par exemple avec des images du krash boursier de 1987 (24). Ou consacrer une grande partie d 'une de ses interventions au plan de paix de Pérès et Arafat(25).
Mais si ces émissions constituent une profession de foi télévisuelle et  sont des éléments d 'analyse pour les autres médias, il reste que l 'objectif principal d 'un candidat inconnu est qu 'elles soient regardées.
Le taux d 'écoute de Marcel Barbu était de 26% des sondés en 1965, le taux d 'écoute de ces émissions en 1995 est d 'environ 5% (26).
Elles ne sont pratiquement plus suivies par la population et en plus les émissions les plus longues où les candidats expliquent longuement leur programme ne sont diffusées que la nuit.
Difficile de se faire connaitre seulement par elles. Ce qui nuit le plus au nouveau candidat qui est peu écouté et dont le message est noyé au milieu des autres. Et surtout cela ne lui donne pas accès au débat.
Le chemin entre ces émissions obligatoires et les autres où se joue l 'égalité et l 'exposition télévisuelle est le plus difficile à atteindre pour un hors parti.
Le principe égalitaire pendant la campagne officielle implique que chaque chaîne consacre un temps équivalent à chaque candidat et à leurs soutiens dans les journaux télévisés et  bulletins d 'information.
Qu 'en a-t-il été dans les faits?

Tableau comparatif du temps consacrés aux candidats et à leurs soutiens dans les journaux télévisés et les bulletins d 'information pendant la campagne officielle du  7 au 21 avril 1995 inclus (27) :
 
Temps d 'antenne total
Pourcentage d 'occupation de l 'antenne
J. CHEMINADE
2H29
7,18
E. Balladur
4H21
12,59
L. Jospin 
4H43
13,64
J. Chirac
4H19
12,5
P. De Villiers
3H54
11,29
JM. Le Pen 
3H59
11,52
R. Hue
3H56
11,38
A. Laguiller 
3H24
9,83
D. Voynet 
3H29
10,07
Total
34H34
100

Avec une répartition exactement égalitaire chaque candidat aurait dû occuper 11,11% du temps d 'antenne.
On retrouve bien les trois couches mais dans des proportions très resserées, preuve que l'avant  campagne officielle laisse des traces et établit des positions.
La comparaison de ces chiffres montre quand même que le principe d 'égalité entre les candidat a globalement été respecté.
Sauf pour un : Jacques Cheminade qui bénéficie d'  un temps d 'antenne presque deux fois moindre que celui de Lionel Jospin et qui n ' occupe que les deux tiers du temps potentiel qu 'il aurait dû obtenir en état de parfaite égalité.
Une étude plus précise du temps consacré par chaque chaîne à Jacques Cheminade durant la campagne officielle explique en partie les causes de cette différence flagrante.

Tableau comparatif du temps consacré au candidat Jacques Cheminade et à ses soutiens dans les journaux télévisés et les bulletins d 'information pendant la campagne officielle du 7 au 21 avril 1995 inclus (28).
 

Temps d'antenne du candidat Temps d 'antenne de tous les candidats  Pourcentage d 'antenne par rapport au temps total de tous les candidats
TF1 0H45 11H07 6,74
France 2 0H57 15H42 6,05
France 3 0H26 5H12 8,33
Canal + 0H06 0H21 30,23
M6 0H15 2H29 10,07
Total 2H29 34H34 7,18

L 'étude de ce tableau fournit un enseignement important : plus une chaîne est polarisée sur la campagne, plus le temps d 'antenne de tous les candidats est important en heures et plus le pourcentage du  hors parti est faible.
Le chiffre impressionnant obtenu par Jacques Cheminade sur la chaîne cryptée n 'est pas significatif vu le peu de place accordée par cette chaîne à l 'élection.
Lorsqu ' une couverture médiatique importante de l 'élection est faite, les impératifs d 'audience sont ceux entrant certainement le plus en compte et les réflexes d 'invitation des grands candidats au détriment des moins connus se fait alors sentir.
L 'élection de 1995 se caractérise en plus par des lois votées depuis la précédente élection présidentielle plafonnant les dépenses électorales et l 'affichage.
Cette loi a aussi eu pour conséquence indirecte un repli des grands candidats vers la télévision qui a eu un rôle qui ne s 'est pas limité au relais des idées et aux débats. Les journaux télévisés et bulletins d 'information ont été aussi des relais de meetings ou de réunion publiques. Les candidats ayant des moyens plafonnés ont cherché une couverture médiatique et audiovisuelle maximum de leur moindre déplacement et discours.
Jacques Cheminade ne menant pas une campagne de terrain aussi importante et n 'ayant pas l 'appui de soutiens connus de l 'opinion pouvant s 'exprimer dans les médias n 'a pas pu lutter sur ce terrain (29).. Ce qui a pu entrainer une différence mécanique dans le  traitement audiovisuel de sa candidature.
Par tous ces éléments une conclusion s 'impose sur la campagne officielle de Jacques Cheminade à la télévision.
Il a pu disposer en plus du temps des émissions réglementaires de 2H29 pour exprimer ses idées. Mais sa candidature n 'a pas été traitée de façon égale avec celle des autres candidats.
Si d 'une façon quantitative il n 'a pas bénéficié de la totalité du temps alloué à chaque candidat si une véritable égalité existait, qu 'en a-t-il été sur le fond?
A-t-il eu l 'impression que ses 2H29 d 'émission ont été pour lui l 'occasion de faire connaître son programme aux millions de français regardant les journaux télévisés?
Lorsqu 'il envoie une seconde lettre au CSA le 17 avril, avant même la fin de la campagne officielle, ce n 'est curieusement pas pour se plaindre du non respect de l 'égalité de temps de parole mais de la façon dont la télévision traite sa candidature(30).
Dans cette lettre il emploie des expressions très dures, estimant notamment être victime d 'un «bizutage médiatique» et d 'un «lynchage» (31). Il cite comme exemple le journal de 20 heures de France 2 du 14 avril 1995, mais surtout TF1 qui pratiquerait ce lynchage «de manière quasi systématique» (32).
Il est vrai notamment que son passage dans le journal du soir de  TF1 du 17 avril 1995 a été assez houleux et agité. Gérard Carreyrou n 'hésitant pas par exempleà lui demander s 'il n 'est pas antisémite ou d 'où vient l 'argent de sa campagne. Le candidat qui ne s 'attendait sans doute pas à des questions aussi directes lui a alors répondu sur l 'antisémitisme : « si nous n 'étions pas dans cette enceinte, je me lèverais et je vous giflerais » et sur l 'argent de sa campagne « je gagne moins que vous tous autour de cette table »; la réponse du journaliste fut cinglante : « oui, mais nous, on le gagne honnêtement! » (33).
De même, le soir du premier tour, le cameraman envoyé par TF1 pour interroger le candidat à son local de campagne ne savait même pas à quoi ressemblait sa tête (34).
Le lendemain du premier tour il n 'hésite pas à dire que la faiblesse de son score s 'explique surtout par cette attitude des médias à son égard, déclarant dans un langage imagé : « quand un joueur de rugby est traîné dans la boue, qu'on lui marche sur la figure avec des crampons, qu'on montre cette figure couverte de boue et de sang, les gens hésitent à voter pour lui » (35).
Cette étude de la télévision a démontré la situation inéquitable dont est considérée la candidature de Jacques Cheminade sur le fond et la forme.
Mais cette étude ne s 'est faite qu 'en surface, exposant essentiellement les faits.
Il reste à en connaître les raisons précises et objectives.
L 'étude de la presse va permettre de déterminer comment s 'est nouée la façon dont il a été traité dans les médias, de comprendre par une chronologie très complète, par l 'étude journalière et hebdomadaire de la presse de toutes tendances si des éléments ont pu être amenés dans la campagne pour conduire à cette appréciation
Et si cette présentation du candidat se retrouve aussi dans le média de l 'écrit pour pouvoir faire des comparaisons.
Est-elle simplement dûe au statut du  hors parti qui du fait de sa faible présence dans les sondages, de son faible résultat prévisible est traité sans ménagement par les médias contrairement aux autres candidats dont l 'avenir politique peut influer sur l 'avenir médiatique, d 'où une certaine retenue journalistique?
Est-elle dûe seulement à des impératifs d 'audience, l'intêret de la télévision pour un prétendant  suivant la courbe des sondages et de l 'audimat?
Est-elle dûe uniquement aux révélations sur la façon dont il a obtenu ses parrainages, sur sa condamnation pour vol en appel?
En résumé Jacques Cheminade a-t-il été victime de son statut de hors parti ou des caractéristiques propres de sa candidature, est ce un bizutage ou un lynchage?
L 'étude de sa campagne dans la presse sera un moyen de comprendre notamment à quoi est dûe cette différence de traitement sur la forme et le fond.
Mais il convient de la même façon que pour la télévision d 'exposer au préalable les caractéristiques principales de ce média.

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