- Section 2 - La confrontation des hommes

Concernant le prétendant hors parti de 1995, ses relations avec les autres candidats ont également été très discrètes bien que Jacques Cheminade ne les ait pas ignoré.
Sa conception selon laquelle « les mots de droite et de gauche n'ont pas de sens à cause de la droite et de la gauche »  s 'est aussi accompagnée d 'un jugement sans concessions de presque tous les autres candidats en lice (11).
Il attaque ainsi durement Edouard Balladur qui en tant que personnalité au pouvoir est évidemment sous influence des oligarchies qui dirigent le monde : « l ' « entente cordiale » avec les milieux financiers britanniques est aux antipodes du front républicain. Cette « entente cordiale » a dicté la politique qui a été suivie par le gouvernement Balladur, notamment en Bosnie, où nous avons eu une politique injustifiable » (12).
De Lionel Jospin il ne dira qu 'une phrase ressassée tout au long de sa campagne, il faut qu 'il mette «un tigre dans le moteur de son cabriolet...» (13).
Cette étude a déjà indiqué le peu de bien qu 'il pense de l 'évolution de Jacques Chirac depuis 1988.
Quant à Lutte Ouvrière et au Front National il les renvoie dos à dos estimant que ces deux mouvements «  ressassent leurs obsessions et leurs monstruosités »(14).
Mais si il rejette les candidats de l 'élection de 1995, il ne fait pas un rejet global des hommes politiques.
Son appréciation des clivages entre la gauche et la droite le fait d 'ailleurs souhaiter un « front républicain  en dehors des extrémistes » pour « développer l'homme au lieu d'entretenir la bulle financière »(15).
Mais avec qui créer ce front républicain?
La réponse est évidente : « sur l'échiquier politique, il faut un front qui rassemble la tradition du socialisme humaniste représentée par Jaurès, la tradition de rupture de De Gaulle et la tradition du christianisme social»(16).
Il est aisé d 'appeler les grandes figures de l ‘ Histoire pour relever la France mais comment réaliser   concrètement ce souhait si aucun homme politique de la campagne de 1995 ne trouve grâce à ses yeux?
Ce paradoxe d'appeler à une union des forces républicaines historiques en rejetant leurs héritiers réclamés a sans doute amplifié le brouillage de  son discours et contribué à  le discréditer aux yeux des autres candidats avec qui ses  relations ont  oscillé entre l 'indifférence et le rejet. Rejet mutuel?
Sur la façon dont les autres ont perçu sa campagne il n 'y a hélas aucune indication visible, il est donc difficile d 'en dire davantage sur cet aspect.

Marcel Barbu a lui entretenu des relations avec les hommes politiques très étranges dans cette campagne :  un mélange de dénonciation, d 'attirance et de répulsion.
Ces relations il les a noué à trois niveaux différents : avec les personnalités politiques qu 'il affronte en tant que président de son association de construction, avec les autres candidats de l 'opposition et enfin une relation à la fois personnelle et publique avec le général De Gaulle.
Il est venu dans l 'élection présidentielle suite au refus par la municipalité d 'Archères de lui accorder des permis de construire. Une fois dans l 'élection, le candidat ne l  ‘a pas oublié.
Une semaine après le début de sa campagne, il n ' hésite pas à régler quelques comptes à la télévision s 'en prenant nommément à Madame Volat, maire communiste d ' Archères et Monsieur Leconte maire UNR de la commune de Saint-Leu-la-Forêt les traitant de « criminels de paix » et les accusant de lui avoir refusé des permis de construire pour des raisons politiques (17).
Ce dénigrement et cette dénonciation face aux millions d 'électeurs de ces maires qui en plus n 'ont pas de droit de réponse est pour le moins contestable.
D 'ailleurs ces deux maires vont réagir : le maire de Saint-Leu-la-Forêt s 'exprime dans la presse, le seul espace d 'expression publique qui lui est ouvert mais sans proportion avec l 'impact que peuvent avoir les déclarations d 'un candidat à l 'élection présidentielle.
Ce maire donne deux raisons différentes pour lesquelles il a refusé ces permis de construire ce qui démontre bien son embarras.
Dans Le Monde il fournit des explications purement électorales qui peuvent justifier les attaques de Marcel Barbu dont l 'association n 'a pas de couleur politique revendiquée : « Saint-Leu est une ville bien, les barbus sont des communistes, et si je laissais les barbus construire chez moi, cela signifierait que je laisserai saisir la mairie par les communistes aux prochaines élections municipales » (18).
Dans le journal L 'Aurore les raisons sont différentes et sont cette fois techniques, contredisant même ce que le maire déclare au journal Le Monde : « Le maire UNR de Saint-Leu-la-Forêt dément considérer les « barbus » comme des communistes. Si il a refusé le permis de construire de 78 pavillons par Marcel Barbu c ‘est parce que celui ci ne voulait pas participer aux frais des égouts »(19).
Difficile de comprendre où se situe exactement la vérité mais visiblement l 'élection a aussi permis à Marcel Barbu de faire pression sur les entraves qu 'il rencontre quotidiennement avec son association et d 'établir un dialogue avec ces maires que sinon il n 'aurait jamais pu avoir.
Les pressions ont été si fortes pour le maire communiste d ' Archères que « stupéfiée et accablée par les diatribes lancées contre elle à l ' ORTF elle vient d 'accorder satisfaction à Marcel Barbu » (20).
L 'Elysée visé par le constructeur, l 'obtention de permis de construire, est donc un objectif atteint par des moyens de pression extrême.
Mais le Marcel Barbu dénonciateur ne s 'est pas contenté d 'utiliser son temps de parole de candidat à l 'élection présidentielle pour rendre service au constructeur de la Seine-et-Oise.
Ses attaques touchent aussi directement le ministre de l 'intérieur du général De Gaulle, Roger Frey.
Les raisons de son opposition au ministre sont assez obscures, mais la dénonciation se fait dès ses premières interventions face aux français où il déclare : « comment les choses vont elles se terminer pour moi? Peut-être une congestion cérébrale c 'est si à la mode dans certains régimes. Je peux avoir un regrettable accident. A moins qu 'on ne me salisse, qu 'on ne me traîne dans la boue. Et ne riez pas , je sais de source certaine que le ministre de l 'intérieur y a songé et qu 'il avait tout préparé pour me régler mon compte avant que ma candidature ne soit agréée » (21).
Quelle est cette source certaine lui ayant annoncé que le ministre de l 'intérieur voulait le supprimer?
Comme Jacques Cheminade, il y a chez lui une certaine paranoïa et peur de complot.
Une confirmation aussi qu 'il n 'a pas la sensation d 'être un candidat au même titre que les autres mais qu 'il fait une intrusion par ce petit trou laissé dans la loi par le général.
Cette dénonciation se poursuit tout au long de la campagne.
Lors de la visite d 'un journaliste à Sannois il n ' hésite pas à déclarer : « je n 'ose pas vous inviter à venir manger à la maison car Roger Frey fait mettre de la mort aux rats dans ma purée et verser de l 'arsenic dans mon rouge » (22).
Il y a  ici un mélange de jeu de la part de Marcel Barbu qui ne croit pas lui même à ses accusations et un besoin inavoué de se donner des ennemis connus et hauts placés dans le pouvoir pour donner une certaine importance à sa candidature. Et montrer que ce qu 'il a à dire dans la campagne dérange au plus haut niveau et est en rupture avec la parole officielle.
Au cours d 'une autre apparition radiodiffusée du candidat, il déclare encore : «si M Frey pourrait avoir un intérêt à m 'amener devant un tribunal nous sommes disponible. En tous cas tous les coups bas je les indiquerai ici c 'est notre seule défense» (23).
Le ministre de l 'intérieur du général De Gaulle ne peut réagir dans les médias aux attaques de Marcel Barbu. Contrairement aux maires ayant refusé les permis de construire il en aurait la possibilité technique mais répondre médiatiquement pourrait être analysé comme une attaque directe du général contre Marcel Barbu, ce que le candidat hors parti souhaite peut-être pour donner une ampleur inespérée à son message mais que le général et son équipe veulent éviter.
Un procès contre Marcel Barbu serait perçu de la même façon, le renforçant dans son attitude du français en butte avec les abus du pouvoir et se tiendrait de toutes façons après l 'élection.
Le fait en plus qu'il indique que la tribune médiatique est son seul tribunal renforce l 'impression qu 'il veut se mettre du côté du peuple contre le pouvoir auquel il donne la figure du ministre de l 'intérieur.
La seule solution est bien celle employée M Frey : la menace de procès qui montre sa position et son rejet des accusations du candidat  sans trop l 'engager.
Voyant que les réactions officielles du ministre de l 'intérieur ne venaient pas, sa dénonciation s 'est  stoppée dans les derniers jours de campagne.
Les dommages collatéraux de l 'entrée en politique du constructeur de Sannois ont donc fait des dégâts importants.
Mais est-ce que la stature présidentiable donnée par les cent signatures ne lui a servi qu 'à régler des comptes avec les hommes politiques auxquels il s 'oppose quotidiennement?
Ses relations avec les autres candidats à l 'élection sont eux aussi ambigüs.
Lors d 'une de ses allocutions télévisées une semaine avant le premier tour, il reprend presque mot à mot le diagnostic exposé dans sa profession de foi : « j 'ai écouté les différents candidats. Je suis frappé par la similitude de leurs programmes et aussi de ce que, depuis vingt ans ce sont les mêmes discours et avec les mêmes résultats que nous connaissons » (24).
Pourtant paradoxalement cette impression ne conduit pas à un rejet de ces candidats mais au contraire à sa volonté de se rapprocher d 'eux et même dans son esprit de les aider.
D 'abord Marcel Barbu pense réellement au fur et à mesure de la campagne que son poids électoral est sans cesse grandissant et en conséquence qu 'il a une certaine légitimité pour parler et même négocier avec ses concurrents. Le premier indice déjà exposé est sa proposition de permettre aux candidats ayant obtenu 5% des suffrages de pouvoir continuer à s 'exprimer dans les médias après l 'élection.
Un autre indice est que l ' hebdomadaire Paris Match a interrogé tous les candidats pour connaître  leurs pronostics sur leur position finale (25).
Marcel Barbu se pronostique quatrième devant Tixier-Vignancour et Marcilhacy alors que tous les autres le classent dernier.
Il pense que sa voix et ses conseils peuvent avoir du poids et l 'envie lui prend au cours de la campagne de dialoguer directement avec les autres prétendants.
Il a réellement songé à ne pas aller au bout et de demander à ses électeurs potentiels de se reporter sur un autre que lui qui accepterait de défendre quelques unes de ses idées, inventant ainsi le désistement du premier tour.
C 'est un journaliste de Combat qui lui montre l 'absurdité de cette démarche au cours d 'un entretien assez surréaliste : «je crois aux pourcentages, me dit-il, j 'irai voir cette semaine les candidats les mieux placés. Je leur dirai : dites un petit mot sur mes idées et je dirai, moi, Barbu, à la télé, de voter pour vous.
Le Journaliste : Mais c 'est illégal aussi! Un candidat ne peut pas se faire « doubler » par un autre! Ce serait trop facile.
Marcel Barbu : Oui, vous avez raison, avoue Barbu. Votre remarque est judicieuse, je dirais donc «  Votez utile »» (26).
Ce qui démontre au passage qu' il n 'a  pas de stratégie arrêtée sur le sens de son engagement. Il le juge seulement comme une candidature de proposition, peu importe si elle débouche ou non pour lui par la sanction du résultat, ce qui compte c 'est que ses idées soient reprises par les candidats les mieux placés pour avoir une chance d 'être appliquées .
Cette rencontre se situant dans la dernière semaine avant l 'élection surement pense-t-il  à ce moment là qu'il ne peut plus rien amener dans la campagne.
Il a en quelques jours mis en forme son discours et fait quelques propositions concrètes mais il sait qu'il n 'a pas de chances d 'accéder au second tour et que ses idées ne sont pas discutées sur le fond par les autres candidats.
Peut-être aussi a-t-il peur que le nombre de voix théoriques qu 'il pense avoir ne se traduise pas dans la réalité. Et en cas de score résiduel il aura le plus grand mal à faire accepter par les rescapés du second tour ses propositions.
Impossible à dire si la suite de sa campagne s 'est réellement jouée pendant cette entrevue et si le journaliste ne lui avait pas répondu ainsi, si il aurait réeellement soutenu un autre prétendant pour le premier tour.
Vraissemblablement était-ce une manière de tester la réaction des journalistes et donc des médias mais non une décision prise de manière irrévocable par Marcel Barbu.
Ce souhait de rencontrer tous  les candidats ne s 'est pas réalisée non plus et il est allé jusqu 'au cinq décembre sur son seul nom.
Le choix du report de voix au second se porte finalement sur le candidat de la gauche car «seul Mitterrand  a répondu par la voix de ses envoyés, il a déclaré qu 'il était d 'accord sur les deux principaux points de ce programme. Je suis donc obligé de soutenir Monsieur Mitterrand» (27).
Même si il ajoute une raison plus politique à ce ralliement : «je préfère la pagaille des partis à l 'ordre du général de Gaulle», il est bien «obligé» de soutenir François Mitterand car lui seul accepte le droit pour l 'opposition de se produire régulièrement à la télévision et la création d 'un organisme de défense des droits de l 'homme (28).
Les rapports entre Marcel Barbu et les autres candidats sont donc étranges, comme si il les considérait comme désincarnés.
Selon lui ils se ressemblent tous avec les mêmes programmes inefficaces et les mêmes ambitions à être seulement des hommes d ' Etat.
Lorsqu 'il veut les rencontrer tous c 'est pour qu 'ils acceptent des idées de son programme sans se soucier de leurs positions politiques, seule compte pour lui la possibilité que ses idées soient défendues par celui qui a le plus de chance de gagner ou à défaut celui qui accepte tout simplement son programme.
Son impression  est qu 'il n 'y a aucune différence entre les autres prétendants au pouvoir.
De toutes façons si il avait été élu, il aurait démissionné après avoir fait voter son programme pour laisser la place aux candidats de parti, donc pour lui ça ne change rien qu 'elles soient appliquées par lui ou d 'autres; l'accès au pouvoir n 'étant encore une fois qu 'un moyen.
Toutefois cette remarque vaut pour tous les hommes politiques sauf un : le général De Gaulle.
Ce général qui est à la fois le personnage historique et le chef d 'état responsable des abus du pouvoir et de l 'administration.
Les relations entre Marcel Barbu et De Gaulle vont être très particulières, des relations qui ont moins les caractéristiques d 'un dialogue entre candidats que d 'une rencontre entre le président et celui qui se veut le représentant des français.
Le général est bien le modèle historique. Lors de sa première intervention télévisée il renouvelle à son compte l 'appel au peuple du 18 juin 1940 face au candidat De Gaulle : «françaises; français, c ‘est un appel que De Gaulle a réhabilité. Pour moi, ce cri là c ‘est dans les camps de concentration que je l ‘ai entendu : c ‘était un cri d ‘épouvante. C ‘est ce français là que je vous lance à pleine voix» (29).
Au cours de sa campagne il ne cesse de faire référence au général libérateur pour en montrer l 'évolution qu 'il juge mauvaise depuis que De Gaulle a repris le pouvoir.
Même si dans une entrevue il déclare à un journaliste : «moi pendant la guerre, je ne pouvais pas piffrer la voix de ce gars là », son appréciation sur De Gaulle est plutôt celle-ci : «un aristocrate d 'épée qui a découvert le peuple avec la guerre et la résistance mais que ses ailes de géant empêchent de marcher» (30).
Durant la campagne il passe par différentes phases dans ses relations avec le général : une dénonciation de l 'homme d 'état à la mesure de son respect pour le résistant, une incompréhension face au candidat au pouvoir et à son programme, une tentative désepérée  pour le rencontrer avant le premier tour et enfin un appel à voter contre lui.
Marcel Barbu est sans doute le candidat qui a attaqué le plus durement le bilan du  général De Gaulle, car là où les autres alignent les chiffres négatifs de son septennat et analysent ses actions en hommes d ' état potentiels, il ajoute une dimension affective destructrice car irrationelle, celle de l ‘amant délaissé qui profite d ‘être en public pour exprimer ses rancoeurs.
Il ne s 'exprime pas autrement quand il déclare à la télévision: «le peuple en 1958 a cru qu 'il allait être aimé. Et vous avez déçu ce rêve» (31).
Sur la façon de gouverner depuis sept ans il accuse durement le général d 'avoir «suivi jusqu ‘à présent Machiavel tout en louchant sur le Christ» (32).
Concrètement il lui reproche essentiellement d 'avoir confisqué le pouvoir : «comme vous, je pense en partie à cause du régime de contraintes que vous nous avez imposé depuis sept ans, qu 'aucun homme, aucune équipe ne sont prêts à vous succéder, même parmi les vôtres»(33). Il va  même beaucoup plus loin déclarant que «le régime actuel et ceux qui lui sont soumis sont les premiers brigands de France» (34).
Le portrait du général De Gaulle selon Marcel Barbu est celui d ''un homme d 'état dont les français ont accepté le retour au pouvoir pour retrouver son prestige personnel et ses actions passées  mais qui les a trompé  en  imposant un régime quasi autocratique.
L 'impression est celle d 'une confiance bafouée, Marcel Barbu s 'estime réellement trompé en tant que français.
Dès lors, il ne va avoir qu 'un seul objectif : retrouver le général De Gaulle historique.
Son diagnostic est qu 'il s 'est coupé de la France et des français, sa réaction est tranchante après la première intevention du candidat De Gaulle : «j 'ai entendu dans son discours un appel à la technique plus poussée, aux machineries encore plus poussées, aux prospérité mécaniques, matérielles plus poussées, mais le général De Gaulle a oublié l 'homme. La grandeur de la France pour nous ce n 'est rien du tout si les français comme je l 'ai déjà dit, crèvent sous la grandeur de la France»(35).
D 'après lui le général en parlant dans cette campagne ne s 'adresse pas aux français dont il fait partie mais seulement aux autres candidats : «le général De Gaulle a parlé de cinq candidats d 'opposition. Mais il n ' a répondu qu 'à quatre, a déclaré hier soir M Barbu. Je ne me reconnais absolument pas dans aucune des réponses qu 'il a faites» (36).
Il est difficile de savoir ce que Marcel Barbu attendait du général De Gaulle.
Peut-être espérait-il que ce soit lui qui renouvelle cet appel aux français qu 'il a lancé lors de sa première apparition télévisée de la campagne. Sans doute ne comprend-t-il pas que le général le classe sur le même plan que les autres candidats et ne reconnaisse pas qu 'il représente autre chose.
D 'où un mélange de déception et de nostalgie.
Mais qui s 'exprime sans calcul politique et avec une réelle sincérité, c 'est ce qui rend la conception qu 'il se fait du général si particulière.
Pour lui le candidat qui fait pour la première fois appel directement aux français pour le porter au pouvoir de façon institutionelle doit être le même qui leur lançait cet appel pour libérer et reconstruire la France, leur donner du  courage, de l ' estime et de la fierté pour leur pays et pour eux-mêmes.
Mais le lien affectif et la fibre patriotique est cassée. Et Marcel Barbu est au bord des larmes à la télévision lorsqu 'il comprend que «nous avons en vain attendu quelque chose qui sortit du cœur de ce géant de l 'histoire. Rien de ce qu 'on dit ses cinq concurrents n 'est parvenu jusqu à son intelligence, sans parler de son coeur, dont nul ne sait ou il peut être perdu dans son grand corps» (37).
Pourtant Marcel Barbu ne desespère pas face à ce De Gaulle qui s 'est statufié lui-même dans un rôle d 'indifférence souveraine. Il a la solution : comme il représente le peuple dans cette élection, il pense que lui seul peut lui redonner ce contact avec les français.
Contact qui serait officialisé par une rencontre du candidat des «chiens battus» avec le géant de l 'Histoire avant le début du premier tour. L 'appel est lancé publiquement à la télévision le 30 novembre 1965 pour forcer le général à répondre : «je vous supplie de bien vouloir me recevoir et m ‘entendre le plus tôt possible. Si il existe une chance de toucher votre cœur d ‘homme elle ne peut passer que par une main amicale. Acceptez la main que je vous tends au nom de millions de français. Je vais frapper ce jour même à votre porte» (38).
Le souhait exprimé de rencontrer tous ses opposants s 'est en fait transformé en souhait de rencontrer seulement le général. Les derniers jours de la campagne sont une tentative desespérée pour faire rencontrer le candidat réprésentant les millions de français et celui voulant réunir des millions d 'électeurs.
Dans la dernière semaine Marcel Barbu se présente deux fois à l ' Elysée mais sans résultat. Le général ne pouvant avant le premier tour ni recevoir le candidat pour ne pas être jugé d ' opportunisme politique voire accusé d 'avoir encouragé la candidature d'un prétendant se réclamant du peuple pour récupérer ensuite ses électeurs, ni l 'ignorer Marcel Barbu racontant ses tentatives de rencontre à la télévision.
Il adopte donc la même posture que son ministre de l 'intérieur face aux attaques de Marcel Barbu en lui indiquant qu 'il a vu et entendu à la télévision son appel et lui faisant répondre  par son chef du service de presse «que le général n’avait reçu mes messages ni comme une injure, ni comme une manœuvre politique et que le contact n’était pas rompu, mais seulement remis à plus tard.» car «le président de la république ne pouvait pas engager un dialogue avec l ‘un quelconque des candidats» (39). Cette rencontre souhaitée qui n 'aura finalement pas lieu est une des causes principales pour lesquelles Marcel Barbu ne s 'est pas engagé d 'un coté ou de l 'autre lors de sa dernière intervention, il pense que lors du premier tour  le chef de l 'état n 'a pas vraiment fait campagne et le fait qu'il n 'ait pas trouvé le temps de le recevoir personnellement au nom de tous les français démontre simplement que son emploi du temps ne lui laisse pas le temps de s 'occuper d 'eux.
Ce qu 'il veut c 'est un ballotage, non pour faire battre De Gaulle mais pour « rendre inévitable un deuxième tour clarificateur» (40).
D 'ailleurs il ne demande pas aux électeurs de voter pour lui mais de voter pour accorder à la France quinze jours de campagne électorale supplémentaire : ««votez Marcel Barbu » et, prenez avec humour ce que je vals vous dire. Ça n’est pas pour vous piper vos voix, je ne suis pas un pêcheur de voix. C’est pour mettre gehtiment vos voix à la glacière pendant quinze jours. Vous en disposerez ensuite, bien entendu, comme bon vous semblera » (41).
Dans les derniers jours de la campagne cette rencontre avec le général est devenue pour lui une obsession, il a rééllement l 'impression qu 'une fois ses problèmes d 'entrepreneur évoqués, son programme pour rendre les français heureux dévoilé,qu ' il faut s 'attaquer directement au représentant emblématique du pouvoir en place pour qu'il décide de mettre en place la politique plus humaine qu 'il réclame.
Il y a une telle identification entre le candidat hors parti et ce peuple qu 'il pense représenter qu 'au moment de demander aux français de voter il n ' est plus le candidat de la construction ou des communuatés, il est le candidat des français. Voter pour lui n 'est pas représenter une opinion ni même une adhésion à ses idées mais simplement montrer au général que les français attendent de lui plus de considération (42).
Le grand problème de Marcel Barbu est que le général ne peut pas faire une distinction publique entre sa candidature et les autres, ce que le hors parti n 'a pas pu comprendre.
L 'avis officiel du général sur sa candidature est simple. Il ne représente évidemment pas  l 'ensemble des français déçus par le gaullisme par le seul fait de ne se réclamer d 'aucun parti et de l 'attaquer. Il est simplement un petit candidat à l 'élection présidentielle et n 'est pas considéré autrement.
Le journal Minute rapporte ainsi l 'appréciation du général sur les premières interventions télévisées  de ces opposants : «il a écouté tous les candidats le «diffamer» - c 'est son expression- et a grommelé : « - tous des Barbu! »» (43).
Dans un tract distribué aux électeurs où il est expliqué en quelques mots pourquoi il ne faut pas voter pour les autres candidats il est écrit simplement : «Barbu et Marcilhacy ne représentent rien»(44).
Il n 'est pas besoin d 'autres commentaires .
La façon dont Marcel Barbu s 'est inséré dans le débat politique est originale.
Il réussit a venir comme d 'autres candidats avec un thème clairement idéntifié, celui du logement, qui est  un des thèmes de la campagne de 1965.
Mais il transforme le débat entre les candidats en un débat entre les français et le pouvoir.
De même qu' il amenait ce thème en étant le candidat de son association, il amène sa dénonciation de la politique inhumaine du général en se pensant le candidat du peuple.
La caractéristique du candidat est bien d 'être couleur de muraille. En lui-même il ne pense pas représenter quelque chose, mais  il s 'identifie complètement au combat qu 'il mène.
Oubliant pour l' occasion que l 'élection présidentielle est par essence le lieu du dialogue entre le pouvoir et les citoyens. Et que  les déçus du gaullisme n 'ont pas besoin de serrer la main du général de façon symbolique par une rencontre avec un de leurs représentants réclamés pour d 'un seul coup retrouver confiance dans la politique du général et rétablir ce lien. Il leur suffit simplement de voter pour ou contre lui, d 'adhérer ou non aux propositions des candidats de l 'opposition
Mais cet aspect de la candidature de Marcel Barbu ne démontre pas seulement qu 'un candidat hors parti a pu s 'insérer dans le débat pour y exposer ses conceptions du logement et faire accepter à un   prétendant de second tour deux points de son programme.
Comme l'engagement de Jacques Cheminade n'indique pas exclusivement qu 'il n 'a pas su se faire une place identifiée parmi les autres candidats et ainsi participer à la campagne et exposer ses idées.
La candidature de 1995 est aussi celle d 'une époque où l 'idée est répandue face à la crise qu 'il faut  rejetter la droite et la gauche, que ces mots n 'ont plus de sens, qu 'il faut abolir ces distinctions d 'un autre âge pour exercer le pouvoir en fonction des circonstances politiques et non des héritages. Au final les réflexes du vote ont joué mais la jeunesse et les classes populaires qui ont adhéré à la fracture sociale du candidat gaulliste auraient peut-être adhéré à la candidature socialiste vingt ans plus tôt. Jacques Cheminade qui réclame pendant la campagne un front républicain n 'est donc pas complètement en décalage avec l 'élection sur un plan idéologique.
La candidature de 1965 démontre aussi qu'une partie surement importante de la France pense comme  Marcel Barbu qu ' aucune équipe n 'est prête à succéder au général qui est le seul à incarner le pouvoir et le seul apte par sa stature historique à l 'assumer.
Cette France de 1965 est encore celle de De Gaulle. Et même si elle ne sent plus ce lien fort qui unissait personnellement le peuple et l 'homme elle ne demande encore qu ' à le suivre, pour que la grandeur de la France le préoccupe autant que les problèmes des français.
Le cordon ombilical n 'est pas encore coupé mais commence à être visible.
Les sept ans de pouvoir sans opposition reconnue de la part du général, l 'accaparation des médias y ont grandement contribué.
L ' élection présidentielle de 1965 marque à cet égard un trournant essentiel car tous les candidats peuvent désormais utiliser les relais médiatiques pour exposer leurs idées et les amener physiquement chez l 'électeur.
Seule la presse avait une relative liberté médiatique avant la campagne pour critiquer le pouvoir.
Le fait que le visage et la voix des autres candidats apparaissent aux électeurs et que ceux-ci puissent exprimer leurs idées directement est une révolution.
Le choix ne se fait plus entre le général et le chaos mais entre le président sortant et ses cinq opposants.
En 1965 comme en 1995, tous les candidats vont avoir le même temps réglementaire pour s 'exprimer à la radio et à la télévision dont les candidats hors parti Jacques Cheminade et Marcel Barbu.
Mais ont-ils reéllement occupé le même espace médiatique que les candidats traditionnels?
Et cette campagne médiatique ne va-t-elle être que celle de la défense des idées de Marcel barbu et Jacques Cheminade ?
Ou bien cette sphère va-t-elle considérer leur candidature de telle manière qu 'il  occupent leur espace à légitimer leur accés à la campagne ?

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