Le débat politique d 'une campagne électorale se joue
essentiellement sur deux facteurs, celui de la confrontation des idées
et celui de la confrontation des hommes.
Il n 'est pas rare que les analystes politiques, et parfois les candidats
eux-mêmes, regrettent que le combat entre les hommes; les petites
phrases politiciennes, les attaques personnelles sur le positionnement
passé, sur les soutiens, sur les changements de cap au cours de
la campagne l 'emportent largement sur le débat d 'idées.
Quelques livres ont théorisé les raisons pour lesquelles
une idée devient un enjeu de campagne et se retrouve donc débattue
par tous les candidats (1).
Plusieurs facteurs théoriques, généralement les
mêmes, sont retenus. En résumé une idée devient
un thème de campagne lorsque les électeurs accordent de l
'importance à cette idée, ont une opinion claire, et que
de leur côté les hommes politiques prennent des positions
différentes.
De là se créent des clivages dépassant parfois
les lignes traditionnelles des partis qui permettent aux candidats de mordre
au delà de leur électorat de parti.
Pour les hommes politiques, la pratique de l 'élection présidentielle
a démontré que l'élection segmente les confrontations
en différentes couches.
Le fait d 'appartenir à l 'une ou l 'autre des couches détermine,
sans tenir compte des idées, l 'accès du candidat au débat
sur les enjeux de l 'élection et donc à la plus grande exposition
médiatique et électorale.
Concrètement l 'élection présidentielle de 1965
comporte au début de la campagne une seule couche avec deux camps
: le général De Gaulle d 'une part et les cinq autres candidats
d 'autre part
Ce qui fait que tous les prétendants ont pu se mêler au
jeu politique et que c 'est véritablement la campagne qui les a
départagé.
Et seuls ceux jugés sérieux à la fin de l ' élection
sont considérés comme les adversaires du général.
Une seconde couche est alors créée, celle des petits
prétendants qui n 'ontt plus accès au débat et à
l 'exposition de la première couche.
Tixier-Vignancour par exemple est jugé au départ par
la plupart des médias avec au moins autant d 'importance que la
candidature de Lecanuet et c 'est la confrontation des hommes et des idées,
les choix médiatiques ou la présentation des sondage
qui l 'ont relégué loin de Mitterrand et Lecanuet.
L 'élection présidentielle de 1995 comporte elle dès
le départ plusieurs couches, avec d 'un côté trois
candidats qui débattent entre eux : celui de la gauche, Lionel Jospin,
celui de la droite Jacques Chirac et celui du pouvoir Edouard Balladur.
Une seconde couche est constituée des candidats traditionnels
représentant un courant d 'idées clairement défini,
ayant une expérience politique reconnue et un capital
de voix qui peut les faire peser sur le second tour.
Cette seconde couche est réquisitionnée pour des débats
entre les trois grands traitant de ses thèmes principal de campagne.
Pour un débat sur l 'immigration, l 'avis de Jean Marie Le Pen
est un passage obligé, comme pour la famille celui de Philippe De
Villiers
Pour ces prétendants l 'accès à cette seconde
couche se traduit généralement par un score final de 5% à
15%.
Enfin lors de cette élection il y a une troisième couche,
celle des petits candidats qui lors de la campagne n 'ont qu 'un accès
médiatique réglementaire à cause principalement d
'un déficit de notoriété et d 'un accès non
régulier de leur mouvement à l 'espace électoral.
Pour 1995, seuls trois candidats ont véritablement vécu
loin du débat politique : Dominique Voynet, Arlette Laguiller et
Jacques Cheminade.
- Section 1 - La confrontation des idées
Le problème avec le hors parti de 1995 est que de l 'annonce
de sa candidature au lendemain du premier tour il est classé d 'office
dans cette catégorie des « autres candidats » et l 'étude
de la confrontation de ses idées avec celles des autres et de l
'insertion de ses idées et de son programme dans la campagne
est impossible car réellement elle n 'a pas lieu.
Ainsi, sur la politique étrangère il avance beaucoup
de mesures concrètes. Mais le Rwanda, la Bosnie, l ' Algérie,
le Proche Orient ou le développement de l 'Afrique, cette grande
politique extérieure pour laquelle il propose tant de choses dans
sa profession de foi et qui aurait pu lui donner la clé de l 'accès
au jeu politique, n 'a bénéficié que de maigres
débats, très éloignés des enjeux politiques.
L 'élection présidentielle se joue d 'abord sur la politique
intérieure récemment élargie à l ' Europe.
Et sur l ' Europe Jacques Cheminade dans sa profession de foi dénonce
plus qu 'il ne propose.
Pour la politique intérieure, le programme du candidat aux accents
anticapitalistes et sociaux auraient pu lui permettre cet accès
dans la campagne de la fracture sociale.
Mais peut-être que la présence déjà de Robert
Hue et Arlette Laguiller sur ce terrain idéologique lui ont fermé
cette porte.
De même le credo d 'une éducation forgée sur l
'histoire patriotique et ses « traditions religieuses et humanistes
» qui est déjà occupé par Philippe de Villiers
(2). Et son plaidoyer pour une justice plus efficace ou un non cumul des
mandats se retrouve aussi chez d 'autres dont le candidat socialiste.
Jacques Cheminade n 'a réellement pas pu faire son trou, et
trouver un angle précis par lequel il pourrait être présent
et qui n 'était pas déjà dans la campagne.
Ses idées, qui dans leur ensemble forment un tout original,
quand elles sont prises une par une perdent de leur particularité
et se retrouvent chez d 'autres prétendants.
Peut-être le constat selon lequel ses idées se retrouvent
chez des candidats d 'appartenance politique aussi diverses aurait pu suffir
à lui assurer cette lucarne, mais la conclusion des analystes et
journalistes a été que c 'était surtout la preuve
d 'un discours confus sans vouloir aller plus loin dans l 'analyse de son
discours(3).
Sur le plan de l 'insertion de ses idées dans le champ politique
il est certain que c 'est un échec pour Jacques Cheminade.
Lui qui voulait exposer son programme pour que les français
puissent juger n 'a pas pu amener son programme dans la campagne des idées.
Est-ce aussi le cas pour Marcel Barbu?
Le candidat de 1965 a bénéficié, comme indiqué
précédemment, d 'un atout supplémentaire par rapport
à celui de 1995, le fait de ne pas avoir été
rejeté d 'emblée dans le camp des petits candidats.
Les raisons sont multiples mais trois sont déterminantes. D
'abord la surprise énorme de sa candidature de dernière minute
a retardé de quelques jours les appréciations globales sur
le candidat et ses idées. Donc il a pu faire entendre sa voix. Ensuite
les candidats sont seulement six et non neuf comme en 1995 d'où
un espace politique particulier plus facile à trouver. Enfin le
nombre réduit de foyers ayant la télévision a amené
la presse à retranscrire, parfois intégralement, son discours
ce qui n 'a pas du tout été le cas pour 1995, ce qui l 'a
sans doute amené a avoir un espace de débat plus important
(4).
Sur le plan des idées d 'abord, Marcel Barbu a un avantage déterminant
sur Jacques Cheminade : il est le candidat du logement et de la construction.
Même si son programme s 'étoffe au cours de la campagne
et qu 'il propose d'autres idées, ce premier thème qu 'il
amène avec lui lors de sa première intervention télévisée
sert de produit d 'appel pour qu 'il se fasse une place dans le débat.
Le logement et la construction ne sont pourtant pas en 1965, le premier
sujet de préoccupation et l 'enjeu principal de l 'élection.
Lors d 'un sondage réalisé l 'année de l 'élection
présidentielle, il est demandé aux français de classer
les problèmes politiques par ordre d 'importance. Arrive en tête
le maintien de la paix dans le monde devant le développement
économique du pays, la défense des travailleurs et la répartition
équitable des revenus entre les différentes catégories
de français. Les problèmes de logement ne sont même
pas cités (5). A priori donc Marcel Barbu ne dispose que d 'une
faible lucarne.
Mais ses thèmes de campagne sans être au centre de l ‘
élection sont quand même un sujet de débat.
Il tient ainsi à son siège de campagne une conférence
de presse organisée par son association où il dénonce
notamment « le mythe du logement social » et « l'exploitation
des organismes d ' HLM par les partis politiques »(6).
Mais cette conférence de presse n ‘ est rapportée
que dans le journal Combat.
En pleine campagne électorale une autre conférence de
presse est tenue par l ‘Association confédérale pour la Défense
de l 'Accession à la Propriété qui a une certaine
couverture médiatique Cette conférence a pour but de faire
connaître à l 'opinion la position des candidats sur le problème
du logement à la suite d 'un questionnaire qui leur avait été
soumis.
Marcel Barbu est le seul prétendant qui se soit rendu à
cette réunion pour s ‘ exprimer. Mais des représentants de
Marcilhacy et Tixier-Vignancour sont aussi présents, preuve que
ce sujet est bien un thème de campagne(7).
Le candidat Marcilhacy consacre en plus une de ses interventions dans
les médias au fait qu '« il manque en France plus de
200 000 logements par an » (8).
Le Général de Gaulle aborde aussi ce problème
.
Lors d 'une de ses interventions télévisées d
'entre les deux tours, il est interrogé par le journaliste M. Droit
qui lui pose la question ainsi : « je crois qu 'il y a un dernier
problème qu ‘ il faudrait aborder si vous le voulez bien, parce
que c 'est aussi un problème d 'intérêt immédiat
pour les français, c 'est celui du logement. Les français
s 'estiment mal logés et estiment avoir des difficultés,
et à juste titre, bien souvent...», le général
De Gaulle expose alors les chiffres de son septennat, ses efforts pour
les logements sociaux et ses propositions pour son éventuel nouveau
mandat (9).
Le général tente-t-il par cette discussion entre les
deux tours de récupérer les électeurs de Marcel Barbu
qui décide de soutenir son adversaire pour le second tour?
Le candidat hors parti soutient effectivement François Mitterrand
mais ce soutien ne s 'est pas fait contre des propositions sur le logement
mais deux autres revendications du candidat déjà commentées
dans cette étude : la promesse de pouvoir apparaître à
la télévision régulièrement et la création
d 'un organisme de défense des droits de l 'homme.
Le général De Gaulle peut donc discuter tranquillement
de ce thème sans pouvoir être accusé de récupération
politique.
Marcel Barbu a-t-il eu une réelle influence sur cette entrée
du logement dans le champ de la campagne et sur l 'intérêt
des autres candidats pour ce thème?
La réponse vient en partie d 'un sondage effectué après
le second tour : pour chaque thème de campagne il est demandé
aux électeurs lequel des six candidat semble le plus lutter (10).
La réponse pour le logement est pour le moins surprenante, seuls
9% des sondés pensent que Marcel Barbu est celui qui lutte le plus
contre ce problème, contre 26% pour Mitterrand, 18% pour De Gaulle,
6% pour Lecanuet et 1% pour les deux autres candidats.
Même si il arrive en troisième position, le faible pourcentage
obtenu par le candidat qui se présente dès sa première
intervention télévisée pour dénoncer les scandales
du logement et de l’immobilier est assez surprenant.
Mais sûrement y-a-t-il une différence pour les sondés
entre dénoncer des difficultés et avoir une légitimité
et possibilité de les résoudre.
Le fait que les deux candidats se battant pour le second tour arrivent
en tête est dû en grande partie à leur personnalité
même, à leur positionnement politique notamment pour le représentant
de la gauche ou au bilan de De Gaulle en matière de logement lors
de son précédent septennat.
Les 9% de reconnaissance en tant que candidat du logement obtenus par
Marcel Barbu démontrent quand même une identification nette,
ce pourcentage dépassant largement les 1,28% de son score électoral.
Ce décalage entre ces 9% et son résultat démontre
d 'ailleurs que le logement n 'était pas au coeur de la campagne.
Si l 'élection s 'était jouée sur ce thème
son score aurait sans doute été supérieur.
Cette reconnaissance prouve quand même que sur ce thème
il a su se faire une place dans la campagne et que sur ce point son engagement
n 'a pas été inutile.
Dans ce même sondage pour tous les autres enjeux de la campagne,
l 'éducation, la défenses des travailleurs, la situation
des femmes ou la paix dans le monde, il n 'obtient jamais plus de 1%.
A noter quand même le 1% des sondés estimant qu 'il est
le candidat attachant le plus d 'importance sur la question du contrôle
des naissances alors qu 'il est père de douze enfants.
Son apport dans la campagne s'est bien limité au logement
et il a peut être contribué à ce que cette idée
prenne une place plus importante dans le débat.
Sur le programme d 'ensemble qu 'il a forgé au cours de sa campagne,
sur ses propositions de réorganisation des structures communales
ou de trouver des moyens d 'accès à la démocratie
directe en contournant le filtre de l 'élection il n 'y a
pas eu débat. Pas de réactions des autres candidats, pas
d'avis donnés et relayés par la presse.
Sur le plan des idées, il a réussi par le thème
du logement à trouver une lucarne politique mais n'a pas pu élargir
cette lucarne pour amener son programme dans le débat et faire par
exemple d 'un meilleur dialogue pouvoir-citoyen un réel enjeu de
l 'élection, même si il a réussi à greffer deux
propositions très concrètes sur le programme du candidat
de la gauche pour le second tour.
Le bilan de son apport dans le débat idéologique est
assurément plus bénéfique que ne l 'a été
celui du candidat de 1995.
Est-ce aussi le cas pour les rapport entretenus par Marcel Barbu et
Jacques Cheminade avec les autres candidats?