Chapitre3
Idées et débat politique


Le débat politique d 'une campagne électorale se joue essentiellement sur deux facteurs, celui de la confrontation des idées et celui de la confrontation des hommes.
Il n 'est pas rare que les analystes politiques, et parfois les candidats eux-mêmes, regrettent que le combat entre les hommes; les petites phrases politiciennes, les attaques personnelles sur le positionnement passé, sur les soutiens, sur les changements de cap au cours de la campagne l 'emportent largement sur le débat d 'idées.
Quelques livres ont théorisé les raisons pour lesquelles une idée devient un enjeu de campagne et se retrouve donc débattue par tous les candidats (1).
Plusieurs facteurs théoriques, généralement les mêmes, sont retenus. En résumé une idée devient un thème de campagne lorsque les électeurs accordent de l 'importance à cette idée, ont une opinion claire, et que de leur côté les hommes politiques prennent des positions différentes.
De là se créent des clivages dépassant parfois les lignes traditionnelles des partis qui permettent aux candidats de mordre au delà de leur électorat de parti.
Pour les hommes politiques, la pratique de l 'élection présidentielle a démontré que l'élection segmente les confrontations en différentes couches.
Le fait d 'appartenir à l 'une ou l 'autre des couches détermine, sans tenir compte des idées, l 'accès du candidat au débat sur les enjeux de l 'élection et donc à la plus grande exposition médiatique et électorale.
Concrètement l 'élection présidentielle de 1965 comporte au début de la campagne une seule couche avec deux camps : le général De Gaulle d 'une part et les cinq autres candidats d 'autre part
Ce qui fait que tous les prétendants ont pu se mêler au jeu politique et que c 'est véritablement la campagne qui les a départagé.
Et seuls ceux jugés sérieux à la fin de l ' élection sont considérés comme les adversaires du général.
Une seconde couche est alors créée, celle des petits prétendants qui n 'ontt plus accès au débat et à l 'exposition de la première couche.
Tixier-Vignancour par exemple est jugé au départ par la plupart des médias avec au moins autant d 'importance que la candidature de Lecanuet et c 'est la confrontation des hommes et des idées, les choix médiatiques ou  la présentation des sondage qui l 'ont  relégué loin de Mitterrand et Lecanuet.
L 'élection présidentielle de 1995 comporte elle dès le départ plusieurs couches, avec d 'un côté trois candidats qui débattent entre eux : celui de la gauche, Lionel Jospin, celui de la droite Jacques Chirac et celui du pouvoir Edouard Balladur.
Une seconde couche est constituée des candidats traditionnels représentant un courant d 'idées clairement défini, ayant  une expérience politique reconnue  et un capital de voix qui peut les faire peser sur le second tour.
Cette seconde couche est réquisitionnée pour des débats entre les trois grands traitant de ses thèmes principal de campagne.
Pour un débat sur l 'immigration, l 'avis de Jean Marie Le Pen est un passage obligé, comme pour la famille celui de Philippe De Villiers
Pour ces prétendants l 'accès à cette seconde couche se traduit généralement par un score final de 5% à 15%.
Enfin lors de cette élection il y a une troisième couche, celle des petits candidats qui lors de la campagne n 'ont qu 'un accès médiatique réglementaire à cause principalement d 'un déficit de notoriété et d 'un accès non régulier de leur mouvement à l 'espace électoral.
Pour 1995, seuls trois candidats ont véritablement vécu loin du débat politique : Dominique Voynet, Arlette Laguiller et Jacques Cheminade.
 

- Section 1 -  La confrontation des idées

Le problème avec le hors parti de 1995 est que de l 'annonce de sa candidature au lendemain du premier tour il est classé d 'office dans cette catégorie des « autres candidats » et l 'étude de la confrontation de ses idées avec celles des autres et de l 'insertion de ses idées et de son programme dans  la campagne est impossible car réellement elle n 'a pas lieu.
Ainsi, sur la politique étrangère il avance beaucoup de mesures concrètes. Mais le Rwanda, la Bosnie, l ' Algérie, le Proche Orient ou le développement de l 'Afrique, cette grande politique extérieure pour laquelle il propose tant de choses dans sa profession de foi et qui aurait pu lui donner la clé de l 'accès au jeu politique, n 'a  bénéficié que de maigres débats, très éloignés des enjeux politiques.
L 'élection présidentielle se joue d 'abord sur la politique intérieure récemment élargie à l ' Europe.
Et sur l ' Europe Jacques Cheminade dans sa profession de foi dénonce plus qu 'il ne propose.
Pour la politique intérieure, le programme du candidat aux accents anticapitalistes et sociaux  auraient pu lui permettre cet accès dans la campagne de la fracture sociale.
Mais peut-être que la présence déjà de Robert Hue et Arlette Laguiller sur ce terrain idéologique lui ont fermé cette porte.
De même le credo d 'une éducation forgée sur l 'histoire patriotique et ses « traditions religieuses et humanistes » qui est déjà occupé par Philippe de Villiers (2). Et son plaidoyer pour une justice plus efficace ou un non cumul des mandats se retrouve aussi chez d 'autres dont le candidat socialiste.
Jacques Cheminade n 'a réellement pas pu faire son trou, et  trouver un angle précis par lequel il pourrait être présent et qui n 'était pas déjà dans la campagne.
Ses idées, qui dans leur ensemble forment un tout original, quand elles sont prises une par une perdent de leur particularité et se retrouvent chez d 'autres prétendants.
Peut-être le constat selon lequel ses idées se retrouvent chez des candidats d 'appartenance politique aussi diverses aurait pu suffir à lui assurer cette lucarne, mais la conclusion des analystes et  journalistes a été que c 'était surtout la preuve d 'un discours confus sans vouloir aller plus loin dans l 'analyse de son discours(3).
Sur le plan de l 'insertion de ses idées dans le champ politique il est certain que c 'est un échec pour Jacques Cheminade.
Lui qui voulait exposer son programme pour que les français puissent juger n 'a pas pu amener son programme dans la campagne des idées.
Est-ce aussi le cas pour Marcel Barbu?

Le candidat de 1965 a bénéficié, comme indiqué précédemment, d 'un atout supplémentaire par rapport à celui de 1995,  le fait de ne pas avoir été rejeté d 'emblée dans le camp des petits candidats.
Les raisons sont multiples mais trois sont déterminantes. D 'abord la surprise énorme de sa candidature de dernière minute a retardé de quelques jours les appréciations globales sur le candidat et ses idées. Donc il a pu faire entendre sa voix. Ensuite les candidats sont seulement six et non neuf comme en 1995 d'où  un espace politique particulier plus facile à trouver. Enfin le nombre réduit de foyers ayant la télévision a amené la presse à retranscrire, parfois intégralement, son discours ce qui n 'a pas du tout été le cas pour 1995, ce qui l 'a sans doute amené a avoir un espace de débat plus important (4).
Sur le plan des idées d 'abord, Marcel Barbu a un avantage déterminant sur Jacques Cheminade : il est le candidat du logement et de la construction.
Même si son programme s 'étoffe au cours de la campagne et qu 'il propose d'autres idées, ce premier thème qu 'il amène avec lui lors de sa première intervention télévisée sert de produit d 'appel pour qu 'il se fasse une place dans le débat.
Le logement et la construction ne sont pourtant pas en 1965, le premier sujet de préoccupation et l 'enjeu principal de l 'élection.
Lors d 'un sondage réalisé l 'année de l 'élection présidentielle, il est demandé aux français de classer  les problèmes politiques par ordre d 'importance. Arrive en tête le maintien de  la paix dans le monde devant le développement économique du pays, la défense des travailleurs et la répartition équitable des revenus entre les différentes catégories de français. Les problèmes de logement ne sont même pas cités (5). A priori donc Marcel Barbu ne dispose que d 'une faible lucarne.
Mais ses thèmes de campagne sans être au centre de l ‘ élection sont quand même un sujet de débat.
Il tient ainsi à son siège de campagne une conférence de presse organisée par son association où il dénonce notamment « le mythe du logement social » et « l'exploitation des organismes d ' HLM par les partis politiques »(6).
Mais cette conférence de presse n ‘ est  rapportée que dans le journal Combat.
En pleine campagne électorale une autre conférence de presse est tenue par l ‘Association confédérale pour la Défense de l 'Accession à la Propriété qui a une certaine couverture médiatique Cette conférence a pour but de faire connaître à l 'opinion la position des candidats sur le problème du logement à la suite d 'un questionnaire qui leur avait été soumis.
Marcel Barbu est le seul prétendant qui se soit rendu à cette réunion pour s ‘ exprimer. Mais des représentants de Marcilhacy et Tixier-Vignancour sont aussi présents, preuve que ce sujet est bien un thème de campagne(7).
Le candidat Marcilhacy consacre en plus une de ses interventions dans les médias au fait qu '«  il manque en France plus de 200 000 logements par an » (8).
Le Général de Gaulle aborde aussi ce problème .
Lors d 'une de ses interventions télévisées d 'entre les deux tours, il est interrogé par le journaliste M. Droit qui lui pose la question ainsi : « je crois qu 'il y a un dernier problème qu ‘ il faudrait aborder si vous le voulez bien, parce que c 'est aussi un problème d 'intérêt immédiat pour les français, c 'est celui du logement. Les français s 'estiment mal logés et estiment avoir des difficultés, et à juste titre, bien souvent...», le général De Gaulle expose alors les chiffres de son septennat, ses efforts pour les logements sociaux et ses propositions pour son éventuel nouveau mandat (9).
Le général tente-t-il par cette discussion entre les deux tours de récupérer les électeurs de Marcel Barbu qui décide de soutenir son adversaire pour le second tour?
Le candidat hors parti soutient effectivement François Mitterrand mais ce soutien ne s 'est pas fait contre des propositions sur le logement mais deux autres revendications du candidat déjà commentées dans cette étude : la promesse de pouvoir apparaître à la télévision régulièrement et la création d 'un organisme de défense des droits de l 'homme.
Le général De Gaulle peut donc discuter tranquillement de ce thème sans pouvoir être accusé de récupération politique.
Marcel Barbu a-t-il eu une réelle influence sur cette entrée du logement dans le champ de la campagne et sur l 'intérêt des autres candidats pour ce thème?
La réponse vient en partie d 'un sondage effectué après le second tour : pour chaque thème de campagne il est demandé aux électeurs lequel des six candidat semble le plus lutter (10).
La réponse pour le logement est pour le moins surprenante, seuls 9% des sondés pensent que Marcel Barbu est celui qui lutte le plus contre ce problème, contre 26% pour Mitterrand, 18% pour De Gaulle, 6% pour Lecanuet et 1% pour les deux autres candidats.
Même si il arrive en troisième position, le faible pourcentage obtenu par le candidat qui se présente dès sa première intervention télévisée pour dénoncer les scandales du logement et de l’immobilier est assez surprenant.
Mais sûrement y-a-t-il une différence pour les sondés entre dénoncer des difficultés et avoir une légitimité et possibilité de les résoudre.
Le fait que les deux candidats se battant pour le second tour arrivent en tête est dû en grande partie à leur personnalité même, à leur positionnement politique notamment pour le représentant de la gauche ou au bilan de De Gaulle en matière de logement lors de son précédent septennat.
Les 9% de reconnaissance en tant que candidat du logement obtenus par Marcel Barbu démontrent quand même une identification nette, ce pourcentage dépassant largement les 1,28% de son score électoral.
Ce décalage entre ces 9% et son résultat démontre d 'ailleurs que le logement n 'était pas au coeur de la campagne. Si l 'élection s 'était jouée sur ce thème son score aurait sans doute été supérieur.
Cette reconnaissance prouve quand même que sur ce thème il a su se faire une place dans la campagne et que sur ce point son engagement n 'a pas été inutile.
Dans ce même sondage pour tous les autres enjeux de la campagne, l 'éducation, la défenses des travailleurs, la situation des femmes ou la paix dans le monde, il n 'obtient jamais plus de 1%.
A noter quand même le 1% des sondés estimant qu 'il est  le candidat  attachant le plus d 'importance sur la question du contrôle des naissances alors qu 'il est père de douze enfants.
Son apport dans la campagne s'est bien limité au  logement et il a peut être contribué à ce que cette idée prenne une place plus importante dans le débat.
Sur le programme d 'ensemble qu 'il a forgé au cours de sa campagne, sur ses propositions de réorganisation des structures communales ou de trouver des moyens d 'accès à la démocratie directe  en contournant le filtre de l 'élection il n 'y a pas eu débat. Pas de réactions des autres candidats, pas d'avis donnés et relayés par la presse.
Sur le plan des idées,  il a réussi par le thème du logement à trouver une lucarne politique mais n'a pas pu élargir cette lucarne pour amener son programme dans le débat et faire par exemple d 'un meilleur dialogue pouvoir-citoyen un réel enjeu de l 'élection, même si il a réussi à greffer deux propositions très concrètes sur le programme du candidat de la gauche pour le second tour.
Le bilan de son apport dans le débat idéologique est assurément plus bénéfique que ne l 'a été celui du candidat de 1995.
Est-ce aussi le cas pour les rapport entretenus par Marcel Barbu et Jacques Cheminade avec les autres candidats?

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