Jacques Cheminade et Marcel Barbu connaissent deux situations différentes
sur le plan des idées dans cette campagne.
Le candidat de 1995 vient avec un programme mûrement argumenté
et durant ces quinze jours a pour objectif de le défendre
tel qu 'il est sans aucune évolution précise .
Le programme de sa profession de foi, celui qu 'il présente
dans les entretiens avec les journalistes et celui qu 'il défend
jusqu 'au soir du premier tour est le même.
Tout juste est-il amené à annoncer qu 'il soutiendra
Lionel Jospin au second tour.
Mais cette annonce ne change pas son positionnement et ne d 'accompagne
pas de tractations avec le candidat socialiste.
Ce soutien est, comme la première partie l'a indiqué,
une promesse faite à quelques signataires et aucunement un ralliement
franc aux idées du candidat dont il se serait rapproché.
Jacques Cheminade n 'a réellement pas l 'occasion d 'occuper
sa campagne à exposer son programme et donc faire des ajustements
sur le fond et la forme pour les présenter au mieux aux français
(1). Pour le prétendant de 1995 étudier longuement comment
sa physionomie s 'est définie dans la campagne, si il a changé
de programme même de façon minime, et si des arguments se
sont greffés à son discours est de ce fait impossible .
Ce qui n 'est pas le cas de Marcel Barbu qui vient dans la campagne
sans un contrat complet où les français doivent juste mettre
leur signature.
Marcel Barbu pour qui chaque jour est une occasion d 'amener de nouvelles
propositions à faire au peuple.
De même que les électeurs choisissent un candidat selon
différents critères idéologiques, génétiques,
conjoncturels ou autres quel sont les critères pris en compte par
Marcel Barbu pour mettre en forme son discours sur le fond?
Sa campagne a-t-elle connu un tournant où les idées sont
devenues un programme et pourquoi a-t-il cru nécessaire d 'amorcer
ce tournant : est-ce une situation volontaire ou est-ce l ‘ élection
qui lui a fait faire ce changement par l 'attitude des autres candidats,
de la presse ou des sondages?
S 'est-il fait modeler passivement par des contraintes qu 'il ne soupçonnait
pas ou au contraire a-t-il utilisé activement la campagne pour proposer
aux électeurs autre chose que des idées protestataires?
Il est certain que l 'homme est surpris dès les premiers jours
par le rythme effréné de cette dernière ligne droite
vers l 'accession est pour lui la première.
Là ou les autres candidats s 'échauffent depuis des mois
voire des années pour monter en régime petit à petit,
lui doit prendre ce marathon en marche au moment du sprint.
Dès sa seconde intervention télévisée Marcel
Barbu remarque que «le candidat isolé n 'a pratiquement plus
le temps de dormir si bien que c 'est un homme un peu à bout de
souffle qui vient vous parler» (2).
Une semaine après l 'annonce des candidatures il semble dèjà
épuisé : «depuis sa première apparition à
la télévision, M Marcel Barbu est invisible. A Sannois, ses
collaborateurs qui dressent un mur infranchissable entre lui et les indiscrets
déclarent qu 'il est très fatigué»(3).
Cinq jours avant le début du premier dans un entretien avec
le journal Combat il explique que « cette chute libre lui fait un
peu peur maintenant» et qu ' « il se serait bien désisté
mais c 'est illégal» (4).
Le soir de sa dernière intervention télévisée
Marcel Barbu fait un bilan de ces quinze jours et de la façon dont
il a ressenti sa candidature dans la campagne : «vous savez bien
que je n 'ai d 'aucune ambition que de rétablir notre liberté
d 'hommes par l 'amour, par la justice et par la vérité,
et cette première tâche accomplie, je crois avoir fait courageusement
mon devoir. Je vous avoue que depuis vingt ans , je me sens enfin libéré
d 'un poids qui me pesait sur la conscience et que, pour une fois, une
fois depuis vingt ans c 'est de tout mon coeur que j 'ai envie de crier
: « Vive la France »» (5).
Ce petit historique de la façon dont Marcel Barbu a vécu
sa campagne est très informatif.
Il n 'a pas traversé ces quinze jours passivement. Il a pleinement
vécu cette élection et l 'a ressentie physiquement. Et au
final il annonce aux millions d 'électeurs qu'elle a été
une sorte de thérapie pour lui. Lui qui voulait quelqu'un pour redresser
la France, redonner confiance au français et les rendre heureux
à au moins réussi à se redonner confiance.
Candidat épuisé presque dès le départ,
candidat déboussolé à mi-parcours et qui songe à
abandonner, Marcel Barbu est au final un homme libéré.
Mais derrière l 'apparence de cette transformation et des évolutions
successives du candidat quelle est la réalité qui se cache
?
Quelles ont été les raisons de ce changements?
- Section 1 - Les raisons d ' une évolution
Le tournant de la campagne de Marcel Barbu, celui qui lui a fait prendre
conscience qu 'il est candidat à l 'élection présidentielle
et non en tête d 'un défilé protestataire de huit mille
personnes qui envahissent les médias a bien eu lieu.
Comme un apprentissage qui se fait en accéléré,
ce que les autres prétendants ont préparé pendant
plusieurs mois ou années pour devenir familiers aux électeurs;
leur présentation, leur parcours, leurs soutiens, leur combat, Marcel
Barbu l 'a fait en quinze minutes lors de sa première intervention
télévisée.
Sans annoncer qu' elle serait suivie d 'un programme ou de promesses.
D 'où l 'impression qu 'il n était là que pour
ça : pour se présenter, pour témoigner, pour protester.
Etait-ce une campagne close en quinze minute ou une entrée en
matière nécessaire pour être légitimé
en tant que candidat?
La réponse est venue lors de sa deuxième émission
télévisée.
Comme un prétendant désigné par son parti, Marcel
Barbu le président de l ' ACGIS, à décidé d
' annoncer officiellement aux français les yeux dans les yeux
qu 'il est candidat à l 'élection présidentielle.
En deux phrases le sixième candidat de la campagne de 1965 s 'intronisait
lui même : «tout change, je vais prendre la candidature au
sérieux et je vais envisager ce qui se passerait si les électeurs
arrivaient en foule suffisante pour me porter à la magistrature
suprême » (6).
Désormais la relation est établie avec les français,
il n 'est plus là seulement comme porte-voix mais aussi comme voix.
Une semaine après le départ, sa campagne commençait.
Mais quelles raisons ont conduit à cet etat de fait. Cette évolution
était-elle prévue et quels éléments se cachent
derrière ce «tout change» qui lui fait prendre sa candidature
au sérieux?
Dans cette même seconde intervention télévisée,
Marcel Barbu explique la raison principale de ce tournant : « lorsque
je vous ai quitté, il y a quelques jours, j 'étais loin de
me douter de l 'énorme retentissement dans le pays du message, je
pourrai dire le cri, que nous avons poussé. Moi qui était
porté à la tête d 'une petite troupe de 8000 personnes,
me voici avec un déferlement d 'hommes et de femmes et je
ne sais pas où cela va nous conduire»(7).
Barbu le candidat de l 'ACGIS est devenu le candidat du peuple.
Par le ton employé dans son intervention il est difficile de
ne pas croire à sa sincérité, il pense réellement
que c 'est le peuple de France qui a transformé le but et l 'ambition
de sa candidature.
Il est complexe d'analyser l'ampleur exacte de ce qu 'il appelle «l
'énorme retentissement» et le «déferlement».
Est-ce le fait que son nom apparaisse dans les sondages, que sa vie,
que son parcours soient présentés dans la presse, que les
journalistes viennent aux conférences de presse ou se déplacent
pour faire des portraits de lui, est-ce un courrier important qu 'il reçoit
ou des personnes qui viennent jusqu 'à Sannois pour se proposer
de l 'aider?
Marcel Barbu fait-il bien la différence entre l 'exposition
médiatique normale d 'un prétendant à l 'élection
présidentielle à laquelle évidemment il n 'est pas
habitué et qui peut donc lui sembler extraordianire et une réelle
adhésion massive et enthousiaste des français face
à la candidature de l 'entrepreneur de la Seine-et-Oise?
Il a répondu à ces questions par deux signes concrets
qui lui faisaient penser à ce ralliement.
Le premier signe il le donne toujours à la télévision,
suite à sa première intervention une «masse impressionnante
de lettres» serait arrivée (8).
Pourtant un journaliste de Combat lui ayant rendu visite indique, en
décrivant de façon précise son siège
de campagne, que les deux permanents présents sont assis devant
des coupures de presse nombreuses et brèves, et des
lettres longues et rares (9).
Difficile de connaître les conditions exactes de l 'entrevue
du journaliste avec Marcel Barbu et si cette masse impressionnante n'était
pas stockée autre part à cette occasion.
Peut-être aussi que ces lettres rares mais longues étaient
de grands appels à lui en tant qu 'espoir de tous les français.
Des lettres déformantes où quelques français racontent
eux aussi leurs problèmes avec l 'administration ou le pouvoir comme
il l 'a fait à la télévision, lui demandant de garder
du courage face aux épreuves qu 'il endure et de les représenter
dans l 'élection.
Mais certainement Marcel Barbu a-t-il comparé le courrier reçu
avec la quantité qu 'il reçoit habituellement et non avec
celle de son nouveau statut. Ainsi un candidat comme Lecanuet reçoit
la première semaine de sa candidature une centaine de lettres par
jour et dès le début de la campagne officielle le nombre
quotidien monte à quatre cent ou cinq cent(10). Il est en
conséquence vraiment impossible de se faire une idée de cet
engouement par correspondance.
Sans doute est-ce plus le ton que le tas de lettres qui lui a donné
ce second souffle.
Amplifié certainement par l 'enthousiasme des huit mille adhérents
de son association et le mur infranchissable déjà évoqué
qu 'ils dressent entre lui et l 'extérieur pour le préserver
(11).
Il est possible que ce changement de perspective soit dû à
cette bulle qui l 'entoure.
Il est aussi intéressant sur le fond de remarquer que quand
Marcel Barbu se pense soutenu seulement par l 'ACGIS il ne se sent que
le candidat de ce mouvement, quand il reçoit des lettres de français
qui n 'appartiennent pas à son association, il veut défendre
tous les français en proposant un vrai programme et en prenant sa
candidature au sérieux.
Il se voit donc bien comme un relais et un représentant de ceux
qui épousent sa cause et veulent le suivre et non comme un homme
d 'état et un faiseur de programme.
L 'autre signe concret de ralliement des français à sa
cause est d 'après lui les sondages : «selon un sondage, 29%
des électeurs ont changé d 'avis : si c 'était pour
De Gaulle on l 'aurait dit. Donc les espoirs sont permis pour moi»
(12).
Marcel Barbu comme les autres candidats est donc influencé par
les enquêtes d 'opinion qui font leur apparition à l 'occasion
de cette élection.
Pourtant tous les sondages publiés pendant et après la
campagne font varier le candidat entre 0,5 et 1,5% des voix (13).
D 'où lui vient l 'idée que si les sondages n' indiquent
pas pour qui les électeurs ont changé d 'avis c 'est parce
qu'ils abandonnent les autres candidats pour lui?
Là aussi sans doute son entourage a dû jouer un rôle
dans l 'interprétation. A laquelle s 'ajoute surement une
part de complexe du hors parti qui pense que ce «on»
qui l 'aurait dit c 'est à dire les médias et les analystes
sont contre lui et taisent intentionellement les bons résultats
qu 'il pourrait espérer.
Ces deux raisons, du courrier reçu et de l 'opinion mouvante
des électeurs conduisent donc Marcel Barbu à envisager
ce qui se passerait si des suffrages se portaient sur lui.
Et evidemment si il arrivait au pouvoir, au second tour, ou tout simplement
obtenait un score significatif, il faut qu 'il ait quelques propositions
à faire avancer dans lesquelles ses électeurs puissent se
reconnaitre
Il prévient d 'emblée son auditoire électoral
qu 'il annoncera lors de sa troisième intervention télévisée
un «programme gouvernemental qui pourra paraître assez
insolite» et qui pour l 'instant «mûrit soigneusement»
(14).
Marcel Barbu n 'avait donc réellement pas envisagé avant
l 'élection qu 'il aurait à se comporter en candidat. Ce
sont bien les circonstances de campagne qui lui font rédiger un
programme.
Sur quelle base et quelles grandes idées directrices repose
ce programme?