- Section 2 - Marcel Barbu, le candidat sans programme?
Lors de ses premières interventions en tant que candidat, comment
Marcel Barbu a-t-il expliqué les raisons et le but de sa campagne?
Il part de son cas concret à n 'hésite pas à en
faire la base de départ de son engagement lors de sa première
intervention télévisée : «quand nous ne faisions
des programmes que de dix, vingt, trente logements, nous n 'avions à
affronter que des résistances locales. Mais dès que l 'on
a senti un courant en notre direction, les résistances se sont faites
beaucoup plus fortes. A l 'heure actuelle elles se situent à l 'échelon
nationale. Il devient impossible de construire autrement que de façon
insurrectionnelle » (27). De son expérience il en fait une
candidature de témoignage avec des détails très précis
sur ses peines personnelles rencontrées comme promoteur immobilier.
Mais Marcel Barbu peut-il seulement constater que seule une solution
insurrectionnelle est nécessaire à son problème?
Est-ce la seule revendication et observation qu 'il peut faire une
fois inscrit dans la course élyséenne?
Lors d'une conférence de presse donnée le premier jour
de la campagne officielle il affirme qu 'il est candidat pour lutter «
contre la centralisation et la technocratie, contre les abus du pouvoir
qui bloquent toute velléité de liberté dans la construction,
pour rétablir le dialogue citoyen-pouvoir » (28). Il dénonce
bien comme c 'était son ambition la bureaucratie et les abus du
pouvoir.
Mais Marcel Barbu ne fait pas de promesses ni de propositions aux électeurs
pour résoudre les difficultés qu 'il dénonce, tout
juste englobe-t-il sa lutte dans un objectif vague du dialogue citoyen-pouvoir.
D 'ailleurs ses options politiques ne dépassent pas l 'objectif
de « rendre les français heureux»(29).
Un candidat à l 'élection présidentielle peut-il
avoir pour seul objectif de révéler des problèmes
sans en donner les moyens de résolution?
Comment les électeurs peuvent-ils écouter et soutenir
un prétendant qui ne vient pas dans la campagne pour proposer mais
seulement pour dénoncer?
Il leur expose dans les médias les difficultés qu 'il
rencontre en tant que citoyen et que d 'autres électeurs connaissent
sans doute aussi.
Mais ceux qui se présentent face au peuple sont sensés
faire connaître un contrat de gouvernement et non un cahier de doléances.
Là apparaît sans doute la limite principale de Marcel
Barbu, candidat protestataire qui une fois dans la campagne ne fait que
protester.
Est-il seulement un nouveau Poujade remplaçant le combat du
commerçant contre le percepteur par celui du chef d 'entreprise
immobilière contre l 'administration?
Dans les premiers jours de la campagne, il y a une certaine similitude
sur le fond par l 'aspect très particulariste de l 'engagement
qui se fait jour et son exploitation par un canal électoral qui
offre un auditoire plus grand que l ‘auditoire potentiel et sectoriel.
La même intuition que le champ électoral peut ne concerner
que les problèmes quotidiens qui touchent ou peuvent toucher les
électeurs sans s 'intégrer dans un programme d 'ensemble
pour la France.
Mais est-ce vraiment le cas, Marcel Barbu n 'exprime-t-il pas des opinions
sur des sujets plus vastes que ceux qui ont motivé son engagement?
Dès sa première conférence de presse, les journalistes
l ' invitent à s 'exprimer sur des sujets dépassant le cadre
des problèmes du logement.
Les réponses données sont très indicatives. Sur
le marché commun par exemple son opinion est qu '' « il n
' y a pas moyen d 'être contre », sur la force de frappe il
indique être contre « car comme mes concitoyens je suis sentimentalement
effrayé de ce qui nous attend en cas de guerre»(30).
Ses réponses ne sont pas celles d 'un aspirant à la fonction
suprême mais se veulent celles du bon sens, de la logique.
Sur ce positionnement dont il doit sûrement ressentir le décalage
avec son statut du candidat, il s 'explique dans sa profession de foi :
« tous les candidats se présentent à vous comme de
futurs chefs de l 'état et, tout naturellement, chacun d 'eux vous
propose un programme de chef d 'état (...). Depuis 20 ans, aucun
gouvernement n ' a jamais réussi à réaliser son programme
» (31).
De même qu ‘il présentait le manque de moyens financiers
de sa campagne comme un choix, il en fait de même pour son manque
d ‘idées globales.
L 'intérêt d 'un programme général pour
la France est donc nul selon lui car une fois l 'élection passée
il ne sera pas appliqué.
Pourtant dans sa profession de foi il ne fait pas que ce constat. Il
a aussi la solution miracle à ce problème de gouvernement
en se présentant comme le seul recours.
Il déclare ainsi : « je ne suis pas un homme d 'état
» (32). Il ne se considère pas comme les autres candidats
qui promettent de grandes choses pour la France sans les tenir.
Et ceci lui donne paradoxalement comme il le décrit dans cette
même profession de foi toutes les qualités pour être
élu : « ce n’est pas un homme d ’ Etat qu’il nous faut dans
l’instant ... c’est un homme de « génie politique »
doublé d’un pacificateur expérimenté qu’il nous faut
chercher. Un homme de bon sens, de fort tempérament ... capable
de tenir le volant très ferme au cours de la manoeuvre par laquelle
notre gouvernement devra tenter de replacer la France, et surtout les Français,
sur les chemins de l’avenir. Je crois répondre à ces exigences
et je crois pouvoir rendre ce service à mon pays, puisque nul autre
ne s’offre à le faire » (33).
Marcel Barbu est l 'homme providentiel pour sortir la France de ses
difficultés. L 'interrogation est grande sur ce raisonnement et
les idées qu 'il avance.
Existe-t-il une stratégie de campagne pour faire passer le candidat
de bas en haut de l 'affiche électorale? Marcel Barbu serait-il
un faux modeste ou un vrai naïf?
Les autres arguments donnés dans sa profession de foi sur ses
qualifications pour diriger la France sont assez surréalistes :
« un homme de mon âge, épuisé par les coups et
les épreuves, ne présente aucun danger. Il n’est pas jusqu’à
mon nom qui ne soit une garantie ... Soyons sérieux, « Barbu
» ne peut être, en France, le nom d’un dictateur, il ne ferait
peur à personne » (34).
L 'homme de fort tempérament capable de tenir le volant de la
France très ferme est donc aussi un homme épuisé par
les coups et les épreuves, deux aspects quand même assez
contradictoires.
Quant à l 'argument de son nom pour prouver que ses intentions
ne peuvent être que pacifiques aucun commentaire n 'est nécessaire.
Soyons aussi sérieux que lui pour supposer qu 'il ne l ' est
pas.
Les grandes lignes de son programme ne varient pas de leur but premier
de rendre les français heureux.
Dans sa profession de foi son enthousiasme est le même qu 'à
la télévision : « nous avons fait de notre société
un véritable asile d’aliénés. Alors que nous disposons
de tous les moyens de vivre libres et heureux. Allons debout! ... Il nous
faut vite remettre les choses en ordre, et reprendre joyeusement tous ensemble,
la marche vers l’avenir. C’est cela mon programme» (35).
Il n 'a donc réellement en arrivant dans l 'élection
aucune proposition concrète.
Mais c 'est aussi parce que la conception de la démocratie selon
Marcel Barbu est différente.
Son gouvernement idéal n 'est pas fait pour le peuple mais par
le peuple. Cette conception du candidat est ancienne, avec toujours l 'idée
que les lois devraient être fait pour et surtout par le peuple de
France. C 'est pourquoi il déclare lors de sa première conférence
de presse : « si jamais j 'étais élu, ce serait la
synthèse des pensées des citoyens français qui me
servirait de base d 'application d 'une politique »(36).
Lors de cette même conférence il précise encore
au sujet de toutes les options politiques qu 'il pourrait avoir à
prendre que « ces problèmes devraient être exposés
librement et franchement à l 'électeur. C 'est dans la liberté
d 'information que la démocratie renaîtra et dans le dialogue
pouvoir-citoyens qui doit s 'instaurer à tous les échelons
» (37).
Le candidat rêve d ' un pouvoir qui va de haut en bas pour
informer le peuple et de bas en haut par les propositions des français.
Pour faire en sorte par exemple que d 'autres Marcel Barbu n 'aient
pas à devenir députés pour faire voter leur loi.
Sur le moyen essentiel de rétablir ce dialogue il donne plus
des intentions que des offres concrètes.
Comme annoncé lors de la réunion de son association où
s 'est jouée sa candidature, il fait bien part aux français
de ses problèmes du logement. Plus de la moitié de
sa première intervention télévisée est consacrée
aux problèmes de construction qu 'il rencontre à Sannois.
Il reste dans l 'élection le défenseur des « riens
du tout » comme lui. Lorqu 'un journaliste lui demande ce qu 'il
pense de l 'aide au tiers-monde, sa réponse est bien celle du Marcel
Barbu né à Nanterre, à l 'enfance misérable
et qui a passé une grande partie de sa vie à aider les mal-logés
ou les ouvriers : «au sujet de l 'aide au tiers monde, M Barbu est
d 'accord à condition que l 'on s 'accorde que le tiers-monde commence
à Nanterre dans les bidonvilles »(38).
Mais en entrant dans la campagne, il est aussi celui qui se pose en
candidat de transition face aux autres qui sont des chefs d 'état
aux programmes semblables et irréalisable.
Il est ce candidat de bon sens qu 'il faut à la France dont
le nom est une garantie contre son despotisme et dont le but est de rendre
les français heureux.
Dans un pays où la liberté d 'information transformerait
les millions d 'électeurs en une gigantesque assemblée
législative.
L 'administration et les abus du pouvoir sont dénoncés
dès les premiers jours de la campagne, mais Marcel Barbu les accompagne
aussi d 'idées plus générales qui sont seulement en
germe.
Va-t-il abandonner au cours des quinze jours son statut de candidat
protestataire pour mettre en forme petit à petit cette autre dimension
politique qu 'il amène aussi avec lui?
Il est certain que le court laps de temps entre sa décision
et son entrée dans l 'arène ne lui a pas permis d 'élargir
ses thèmes de campagne et de mettre en forme de véritables
propositions avant d 'arriver dans l 'élection.
C 'est donc dans le feu de ces quinze jours d 'action que peut se faire
ce travail de réflexion et de proposition. Comment va se développer
et se traduire cette conception idéaliste voire utopique du pouvoir
selon Marcel Barbu?
Son discours d 'intention va-t-il s 'accompagner de mesures concrètes
qui vont se faire jour au fur et à mesure de la campagne pour finalement
aboutir à un programme idéal mais concret de gouvernement?
Et Jacques Cheminade va-t-il être amené à modifier
son discours dans le fond ou la forme?