Chapitre I
Cohérence des idées et choix des
thèmes de campagne
Comment cette déclaration d 'intention de Marcel Barbu et Jacques
Cheminade de se présenter pour leurs idées va-t-elle se traduire
dans les faits?
Leurs idées sont-elles purement conjoncturelles ou est-ce que,
comme les programme des autres prétendants, elles viennent d 'une
réflexion politique de plusieurs années?
Quel va être leur discours de campagne lorsque pour la première
fois ils vont devoir le mettre en forme et l 'expliquer?
Viennent-ils avec des promesses de campagne précises?
Expriment-ils des opinions sur les autres sujets que ceux qui ont motivé
leur engagement?
Pour les deux candidats ces mêmes questions se posent mais sous
des angles différents.
Pour Jacques Cheminade, les caractéristiques de sa décision,
de son parcours et de son organisation tournent autour de Lyndon LaRouche.
Est-ce Jacques Cheminade ou Lyndon LaRouche qui propose aux français
un programme de gouvernement?
Marcel Barbu se présente par les problèmes de son association.
Ne va-t-il venir dans la campagne qu 'avec une volonté de protestation
ou y ajouter dès le départ une dimension programmatique?
Ce chapitre tentera en étudiant successivement le discours des
deux candidats de cerner précisément sa nature avant d'examiner
dans les chapitres suivants comment ce discours s 'est développé
et mêlé au jeu politique.
- Section 1 - Jacques Cheminade, le candidat de Lyndon LaRouche?
L'interrogation principale se pose sur l 'origine des idées de
Jacques Cheminade.
La réponse du candidat est très nette : « mes idées
et mes actions en France ne se démarquent en rien de celles de LaRouche
», ce que l 'américain confirme : « depuis vingt ans,
nous sommes de plus en plus proches » (1). Jacques Cheminade se présente
donc comme le porte-voix de l 'internationale de Lyndon LaRouche sur la
scène politique française..
Concrètement il relaie bien la pensée de l 'américain.
Ainsi des notes « d 'orientation politique » sont régulièrement
faxées depuis l 'Amérique vers les satellites européens
de l 'organisation (2).
Avant d 'étudier si le hors parti de 1995 a un rôle
passif et si il est un simple transmetteur mot à mot du discours
de son mentor, il est nécessaire de déterminer quelles sont
ces idées.
La tâche s 'annonce difficile
Le journal Le Monde en convient : « après avoir lu des
centaines de pages signées LaRouche et Cheminade, un observateur
attentif ne peut que s'interroger sur l'idéologie que les deux hommes
disent partager » (3).
Il n 'y a d 'abord aucune contestation sur le fait que Jacques Cheminade
propose un véritable programme de gouvernement avec des avis et
une analyse tranchés sur tous les enjeux de l 'élection présidentielle.
Cette étude a déjà démontré qu 'il
serait vain d'essayer de le classer à gauche ou à
droite, que son 'idéologie reprend des éléments
de plusieurs tendances politiques.
Que son discours peut être modulable en fonction de son auditoire
ce qui lui a permis de séduire les signataires nécessaires.
Mais justement quelles sont les grandes lignes de ces idées
que Jacques Cheminade partage avec Lyndon LaRouche?
Existe-t-il une véritable idéologie de ce mouvement?
Pour répondre à ces questions, l 'étude du discours
du candidat tel qu 'il est retranscrit dans la presse est nécessaire
mais pas suffisant (4).
L 'étude de ses idées exprimées dans sa profession
de foi apparaît aussi essentiel. Une première version est
envoyée aux élus dès l 'automne 1994, donc les idées
qui y sont exprimées sont le fruit d 'un vrai raisonnement pour
arriver à un programme à présenter aux français.
Enfin Jacques Cheminade a aussi écrit deux livres dont les enseignements
sur la construction de son discours de campagne peuvent être informatifs.
Son livre paru en 1991 réunissant une série de textes
écrits durant dix ans par lui dans diverses publication permet en
plus de déceler la variation de ce discours sur une longue période
(5).
Ce livre qui débute avec un texte écrit par le candidat
en 1980, au moment où il commence à s 'engager publiquement
aux côtés de Lyndon LaRouche, est sans doute la meilleure
vitrine des idées défendues par son mouvement.
Le livre paru en 1994 avec la réédition d 'un texte de
Jaurès dont il signe la préface n 'est pas non plus sans
intérêt. Il permet au candidat à la veille de sa campagne
de préciser sa pensée et de la réactualiser en quelques
sorte (6).
Vouloir cerner en quelques lignes ce qu 'est l’idéologie politique
de Jacques Cheminade est aussi ardu que de définir précisément
ce qu 'est son mouvement.
C 'est pourquoi cette étude n 'entrera pas dans le détail
mais essaiera d 'en préciser les grande lignes à partir d
'exemples précis et choisis, en essayant toutefois de ne pas entrer
dans la caricature.
Les idées de Jacques Cheminade tournent autour d 'un grand constat
et d 'une dénonciation qu'il définit ainsi dans
sa profession de foi : « un cancer spéculatif prolifère
dans le monde et détruit le corps de l 'économie »
(7).
Ce constat est la base de la doctrine du candidat et est au centre
de toute sa pensée politique.
Et la solution énoncée pour guérir ce cancer est
une maxime énoncée dans un texte paru en octobre 1985 dans
son journal « Nouvelle Solidarité » et renouvelée
au mot près dans la préface de la réédition
du livre de Jean Jaurès en 1994 : il combat « pour une
économie fondée sur le travail humain producteur, contre
le pillage des ressources et le génocide des peuples, des oligarchies
de l ' Est et de l ' Ouest, du système de l 'empire Russe et du
système du FMI » (8).
Coïncidence extraordinaire ou non de cette phrase reprise à
neuf ans d 'intervalle dans des termes semblables ?
Ce qui démontre au moins que le candidat est fidèle à
ses idées.
Mais phrase révélatrice plus que toute autre sans doute
du constat de la situation mondiale selon Jacques Cheminade et Lyndon LaRouche
Les ennemis sont toujours les mêmes malgré les bouleversements
géopolitiques de la fin des années quatre-vingt.
Avec pour adversaire emblématique le Fond Monétaire International.
Dans un texte paru en 1980 il dénonce déjà «
le pillage monétariste du Fond Monétaire International et
de la Banque Mondiale » (9).
Ce même « pillage financier » du FMI qu 'il désigne
avec les mêmes mots dans sa préface de 1994 et qui devient
dans sa profession de foi une « dictature financière »
(10).
Cet ennemi s 'intègre dans une conception plus vaste. Le monde
selon Jacques Cheminade est manichéen avec d 'un coté
ceux qu 'il appelle les « anti-humanistes » et de l 'autre
les « humanistes » (11).
Deux clans où il range de grands penseurs de toutes époques
et tendances politiques.
Dans les ennemis on trouve par exemple : Malthus, Darwin ou John Locke.
Dans les forces de progrès : Louis 11, Colbert ou Jaurès.
Là est la clef de la pensée du président de la
Fédération pour une Nouvelle Solidarité, chercher
dans le passé des références historiques et les raccorder
à la situation actuelle du pays en faisant abstraction du contexte
politique et historique.
Le gouvernement idéal de la France selon le candidat serait
la politique extérieure du général de Gaulle, la contribution
de Jaures et la politique économique de Colbert.
Ainsi si il a décidé de publier le livre de Jaurès
en 1994 il s 'en explique ainsi dans la préface : « si nous
revenons maintenant à lui c 'est pour réussir ce qu 'il entreprit
et que sa mort trancha : arracher la conduite de la politique nationale
et internationale à la Sainte Alliance des oligarchies aujourd'hui
représentée par le nouveau partage du monde conclu au détriment
des peuples du Sud et des producteurs du Nord et géré par
les directions des affaires étrangères des pays impliqués
» (12).
Il cherche dans le panthéon idéologique mondial la personnalité
adéquate pour reprendre son combat et le présenter comme
le sien. Une sorte de caution morale en quelque sorte qui n 'est en fait
que récupération.
Là réside la « méthode » de Jacques
Cheminade : pour chaque partie de son programme il choisit un personnage,
qu 'il considère dans le clan des forces de progrès, dont
il se présente comme le continuateur
Mais ces personnages historiques ne sont pas évoqués
en tant que tels.
La pensée du candidat est construite autour de l 'idée
que l 'histoire bégaie.
Evoquer une figure historique est pour lui seulement un moyen de dénoncer
un problème actuel
Ainsi en matière de santé l 'exemple à suivre
est Pasteur. Dans un discours de 1986 sur le problème du SIDA il
déclare « pastoriens, aujourd'hui , nous ne pouvons absolument
pas l 'admettre » (13).
Pour le nucléaire d ' autres figures sont appelées à
la rescousse : « tout scientifique qui a compris la lutte républicaine
de Monge et de Carnot ne peut donc être contre le nucléaire
» (14).
Pour donner du poids à ses accusations contre les oligarchies
il déclare aussi que « toute personne critiquant aujourd'hui
le colbertisme se fait le complice de la City de Londres »(15).
En première page de sa profession de foi il reprend aussi deux
citations de Jean Jaurès et de Charles De Gaulle.
Autant d 'exemples qui montrent la façon intellectuelle de procéder
de Jacques Cheminade.
Comme si un répertoire gigantesque existait où le candidat
va chercher une idée chez chacun pour en faire une idéologie
cohérente et légitime.
De là apparemment la difficulté à le classer politiquement.
Mais tout ceci n 'est qu 'un artifice ou un leurre, un moyen d'avancer
masqué en quelque sorte.
Il est aisé de reprendre une phrase ou une idée chez
chacun des grands penseurs.
Car la réflexion de Jacques Cheminade n 'est pas un compromis
idéal de celles de Jaurès, De Gaulle, Pasteur ou Colbert,
c 'est bien celle du candidat et de Lyndon LaRouche.
L 'évocation de ces grands noms apparaît plus comme un
habillage de son discours et un formatage que la base de son idéologie.
Derrière ce réquisitionnent des grandes figures républicaines
française se cache une doctrine forgée par l 'internationale
de LaRouche qui se définie elle-même comme le meilleur système
de renseignement privé au monde influençant les gouvernements.
Une doctrine gravée dans le marbre où les phrases se
répètent à neuf ans d 'intervalles, où le candidat
et son ami et collaborateur américain répètent inlassablement
selon une méthode Coué qu 'ils répriment toute idéologie
«du sang, du sol et de la race» (16).
Car Lyndon LaRouche, lui, n 'habille pas ses idées des tuniques
d'or de la pensée française.
Son discours il le prononce sans artifice, dans toute sa nudité.
Et ses cibles s 'avèrent souvent juives que ce soient de grands
centres financiers, « les intérêts mondiaux du New York
Times » ou « de vastes complots préparés par
les frères Rockefeller, l 'empire britannique et tous les banquiers
de la City londonienne » (17).
Il dénonce aussi en François Mitterrand un « homme
d'influence de la CIA » et en la reine d 'Angleterre une «sorcière
de Windsor et une trafiquante de drogue » (18).
Accusations qu 'évidemment Jacques Cheminade ne peut pas reprendre
en France.
Sur la forme l 'idéologie de LaRouche est donc allégée.
Mais sur le fond, ce mouvement en France comme en Amérique,
dénonce vigoureusement la finance et la spéculation comme
cause de la misère et les oligarchies financières comme responsables.
Pour la campagne présidentielle de 1995 ces oligarchies sont
nationalisées. La Banque de France remplace le FMI et «le
petit monde incestueux de la finance, des cabinets ministériels
et des plumitifs de Cour attitrés» remplace les instigateurs
des vastes complots dénoncés par LaRouche (19). Ceux que
Jacques Cheminade appelle dans sa profession de foi « la petite minorité
des français installée dans la place » (20).
Cette nationalisation du discours de LaRouche est nécessaire
au candidat car l 'élection présidentielle doit se faire
avant tout sur la politique intérieure pour être écoutée.
Jacques Cheminade ne peut dénoncer aux français des mouvements
mondialistes mais leur montrer que la lutte doit aussi se mener contre
des ennemis présents en France sur lesquels il est sans doute plus
facile d 'agir.
Comme toute organisation dont les moyens d ‘ action sont le goût
du secret et le renseignement, la dénonciation s 'accompagne de
complots à tous les étages du pouvoir et surtout d 'une dramatisation
de la situation
Le candidat dénonce ainsi dans sa profession de foi ceux qui
« pérorent sur le pont du Titanic » mais va beaucoup
plus loin dans son introduction au livre de Jaurès, estimant que
la situation de la France en 1994 a « un terrible goût d 'avant
guerre » (21).
Son constat du monde et de la façon dont il est dirigé
est catastrophiste mais le but volontaire ou non est de proposer aux français
son traitement de choc pour guérir ce cancer mondial.
Concrètement, face à un monde qui court au naufrage et
à la guerre et dont les détenteurs du pouvoir sont les responsables
de cet échec en encourageant notamment « les spéculation
insensées, le trafic de drogue et le casino de l 'immobilier»,
il n 'existe qu ' une solution : « il faut changer les règles
du jeu » (22).
Un changement radical nécessaire, selon lui, pour casser les
trois dictatures exposées dans sa profession de foi dont les responsables
sont toujours les mêmes : « la dictature financière
», « la dictature de l 'esprit » causée par l
‘ « l 'obsession du jeu et l 'appât du gain » et la «
dictature d'opinion » avec pour cause évidemment « les
matraquages d 'une télévision sous contrôle des marchés
» (23).
Face à cette société totalitaire qui contrôle
l'éducation, les moyens financiers et l'avenir des individus, avec
quelles solutions arrive Jacques Cheminade dans la campagne présidentielle?
Prononce-t-il simplement un réquisitoire contre les ennemis
du progrès ou donne-t-il des solutions concrètes pour éviter
aux français l 'iceberg qui les fera couler?
Si la dénonciation de la situation de la France et du monde
est catastrophiste, vigoureusement anti-capitaliste, et ne pourrait pas
être celle d 'un prétendant traditionnel à l 'élection
présidentielle dans sa virulence et ses excès, est-ce aussi
le cas des solutions et du programme proposés par le candidat?
Il est indéniable qu 'il vient véritablement dans la
campagne avec un programme complet de gouvernement qui dans toutes
ses propositions pourrait être celui d 'un candidat de parti.
Mais là aussi il serait vain de juger le positionnement politique
global de Jacques Cheminade en fonction de ses propositions.
Comment classer le programme d 'un prétendant qui propose
à la fois de « taxer les revenus de la rente financière
», d ' éduquer les enfants « en leur faisant revivre
les grands moments de notre histoire », de militer « pour la
renaissance du monde rural » et pour la « fusion thermonucléaire
contrôlée et la supraconductivité »? (24).
En fait pour comprendre ce programme, il faut l'analyser de manière
semblable à son constat de l 'état du monde.
De même que sa dénonciation part de la colonne vertébrale
de la finance et de la spéculation autour de laquelle gravitent
des ennemis et des complots de toutes tendances; les solutions ont aussi
leur colonne vertébrale : celle de l 'industrie et de l 'agriculture
pour un développement humain global.
Tous les thèmes de campagne et toutes les propositions du candidat
se rattachent à cette idée, peu importe qu 'elles soient
conservatrices, libérales ou sociales.
D 'où un programme qui peut sembler disparate et une accumulation
de mesures sans lien ni idée directrice mais qui en fait a sa logique
propre qui est celle forgée depuis vingt ans par le mouvement de
Lyndon LaRouche, ses organisations satellites et ses services de renseignements.
Une logique difficile à cerner et à positionner clairement
mais que cette courte étude a au moins tenté de présenter
même si le décryptage peut apparaître sommaire.
De cette brève notice de la pensée de Jacques Cheminade
il ressort quelques enseignement.
Les idées que défend le candidat dans la campagne sont
effectivement celles de Lyndon LaRouche.
Un discours avec une idéologie qui comporte une cause, des ennemis
et des objectifs identifiés.
Il vient bien dans l'élection comme un candidat traditionnel
avec un programme et des propositions très concrètes en politique
étrangère comme « mettre en place une commission d
'enquête internationale sur le Rwanda » et par exemple en politique
intérieure « rétablir les pouvoirs délibératifs
de l 'Assemblée nationale et du Sénat »(25).
Ses idées ont bien une originalité.
Si il reprend des arguments à des figures historiques de toutes
tendances politiques ce n 'est pas pour se classer par rapport à
elles mais enrichir sa propre idéologie et lui donner une assise
républicaine et légitime.
D 'où la difficulté à le classer en fonction des
personnages dont il se réclame.
Son positionnement idéologique réel est en rupture dans
sa cause et ses ennemis avec les candidat traditionnels qui n 'ont pas
une ligne directrice transversale comme Jacques Cheminade.
Il ne se bat pas contre la droite ou la gauche et leurs représentants
dans l 'élection mais contre ce qu 'il appelle des oligarchies
qui ont des visages internationaux comme le FMI et nationaux comme la Banque
de France.
Son objectif est toujours une fois dans l 'élection de faire
connaître ses idées aux électeurs, des idées
qui selon lui sont claires. Il est dans l 'élection pour proposer
« un choix simple : continuer à laisser se gonfler la bulle
financière et se déchirer notre trame sociale ou au contraire
investir dans la production et le travail? »(26).
Marcel Barbu offre-t-il un choix aussi simple aux électeurs?