- Section 3 - Les parrainages

Comme pour le financement de sa campagne, il existe peu d 'indications sur les relations entre Marcel Barbu et ses parrains.
A propos de ses méthodes pour arriver aux cent signatures, il existe seulement  quelques éléments d 'analyse. Il aurait  ainsi «  lancé de véritables commandos à travers la France » (53).
Commandos qui deviennent dans l ' hebdomadaire Minute : « une quarantaine d 'envoyés spéciaux ratissent systématiquement dix départements (c 'est le minimum requis) : Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Finistère, Seine-Maritime, Alpes-Maritimes, Gironde, les deux Savoies, la Meurthe-et-Moselle et la Meuse. Les émissaires de Barbu n 'attaquent que les toutes petites communes » (54).
Disposant de seulement quelques jours pour obtenir les signatures, Marcel Barbu a dû employer des méthodes quasi militaires et bien ciblées.
Les arguments pour séduire les élus sont aussi sans ambiguïté avec un mélange de convictions et de promesses : « ils se présentent aux maires : - Nous sommes des constructeurs. Notre système communautaire permet de construire plus vite et moins cher mais on nous « barre ». Vous pouvez par votre signature aider notre fondation Marcel Barbu à se faire entendre de la France entière. Au passage naturellement, on précise au maire que sa propre commune sera des premières à bénéficier des bienfaits du système » (55).
Eléments attrayants, les émissaires ne présentent pas à proprement parler les idées d 'un candidat à l 'élection présidentielle mais ils se présentent comme des constructeurs qui ont des problèmes et les signatures des élus les résoudront et eux en bénéficieront en contrepartie.
L 'avantage est donc des deux côtés.
Il est facile dès lors pour Marcel barbu de déclarer à propos de ses cent dix-sept signatures obtenues in extremis :  « si nous nous y étions pris plus tôt nous en aurions 2000 » (56).
Mais est-ce cet argument qui a réellement décidé les maires à  s 'engager?
Il peut paraître paradoxal de parler de bâtiments communautaires à des petites communes rurales qui ont sans doute peu de problèmes de logement. Il est également peu probable que ces maires aient vraiment cru que Marcel barbu puisse obtenir un score important et donc mettre en pratique ses idées.
Non, l 'argument décisif pour ces élus ruraux est sans doute le fait même d 'être sollicités. Peu habitués eux aussi à pouvoir faire entendre leur voix, il y a sans doute une part de « flatterie » qui entre en compte. L 'idée aussi qu 'une signature peut aider un  petit, un obscur, à défendre ses idées.
Marcel Barbu ne semble pas lié à ses parrains malgré les promesses faites.
Avant, pendant et après les élections, aucun signataire ne s 'est exprimé dans la presse pour le soutenir ou l ‘ attaquer.

Les relations entre Jacques Cheminade et ses parrains ont été disséquées dans leurs moindres détails par la presse nationale à travers quelques longs articles consacrés exclusivement à cet aspect de sa campagne (57).
Intérêt des journaux qui tient notamment aux renoncements d ' Antoine Waechter et Jean-François Hory qui, malgré des méthodes discutables, n 'ont pu atteindre la limite fixée (58).
Après ses deux échecs précédents pour obtenir les signatures, Jacques Cheminade a décidé de démarrer sa collecte dès septembre 1994. Collecte qui n 'a pris fin que le 17 mars 1995.
Enorme différence avec Marcel barbu dont l 'urgence avait conduit à l 'efficacité.
Six mois de forcing selon une stratégie longuement étudiée :
Chaque maire rural de France reçoit en octobre 1994 la profession de foi et le Curriculum Vitae du candidat. Comme pour le hors parti de 1965 les petits maires sont sollicités. Au total seulement quatorze signatures de 1995 sont le fait de maires de communes de plus de mille habitants (59).
Puis les appels téléphoniques se multiplient pour convaincre les maires.
La troisième phase arrive au début de l 'année 1995 par une campagne de terrain avec des militants de la FNS qui sillonnent deux par deux la campagne française.
La trentaine de membres du mouvement de Jacques Cheminade étant insuffisante, il semble que quelques autres adhérents de l 'internationale LaRouchienne se soient joints à ce démarchage. Certains auraient ainsi un fort accent canadien (60).
Selon une méthode proche des Témoins de Jéhovah, ils auraient ainsi obtenu les cinq cent signatures.
Cette méthode par couches successives, courrier, téléphone et  visite, semble parfaitement au point.

Mais quel est la teneur le message ayant accompagné ce marketing électoral ?
Selon Jacques Cheminade, ce sont ses idées exposées aux maires qui les ont convaincu et seulement ses idées. Après avoir lu sa profession de foi, ils ont immédiatement été séduits : « les maires l'ont lue et (...) beaucoup ont été intéressés par cette approche. Peu à peu, j'ai vu affluer les signatures. J'ai accru mon effort à la base et je suis finalement parvenu à 556 engagements » (61).
Selon la presse, les raisons de cet afflux de signatures sont moins automatiques et  limpides qu 'il y paraît.
Il est peu vraisemblable, malgré des rumeurs que certains maires aient été payés en liquide en échange de leur signature (62).
Les émissaires de Jacques Cheminade ont réellement avancé des idées politiques séduisantes. Des idées très proches de celles des signataires. De tous les signataires.
A cela une raison logique donnée à posteriori : « ce sont des caméléons, confie un maire normand soucieux de garder l 'anonymat. Des arrivistes qui acquiesçaient à tout ce que je disais. Ils se sont renseignés pour savoir à qui ils avaient à faire et, après, ils étaient forcément d 'accord avec lui » (63). Argument qui peut sembler diffamatoire. Mais confirmé par des dizaines de maires il devient plus que vraisemblable.
Aux maires de gauche, les émissaires ont offert la réédition du livre de Jaurès publié aux éditions Alcuin avec une préface du candidat. Allant jusqu 'à ajouter à un des maires que « Delors absent, Monsieur Cheminade comblait un vide » (64).
Aux maires de droite ils font l 'éloge de De Gaulle, selon un des maires «  moi, ils m 'ont même dit qu 'il fallait se défendre contre la Russie » (65).
Aux maires proches de la nature et des écologistes, ils parlent « de la revalorisation du monde rural » (66).
Face aux maires conservateurs ils se réfèrent « aux encycliques des papes  et à ... Barrès » (67).
Quelques exemples pris parmi des dizaines d 'autres révélés par la presse.
Exemples qui montrent qu 'autour sans doute d 'un même fond de poujadisme rural alimenté de désertification, les émissaires ont choisi dans la large palette des références politiques du candidat celles s 'adaptant le mieux à la sensibilité de l 'élu.
En pensant se retrouver dans  les idées de Jacques Cheminade, les signataires souscrivaient à leurs propres idées.
Mais les révélations sur ces méthodes ne se sont pas arrêtées là. D 'autres aspects ont été mis à jour comme certains trous dans les documents envoyés par le candidat aux maires pour se présenter, avec des silences notamment sur ses liens avec Lyndon LaRouche ou la condamnation à quinze mois de prison avec sursis dont il a écopé en 1992.
Le candidat a beau jeu de dire : « il a été fait appel de ce jugement et, que je sache, on n'est pas coupable, en droit français, tant qu'une condamnation n'est pas prononcée de manière définitive », le manque de transparence est ici avéré (68).
Mais en même temps il se doutait vraisemblablement que mettre ces détails dans ces documents envoyés aux maires pour qu ‘ils le soutiennent le condamnait à l 'échec.
Malgré la controverse, les signataires ont-ils tous été séduits par l 'exposé de ces idées ou d 'autres éléments sont-ils entrés en compte?
Selon Libération les parrains se divisent en trois catégories : « ceux qui « regrettent », ceux qui « regrettent beaucoup » et ceux qui « préfèrent de pas en parler tellement ils regrettent »» (69).
Cette distinction journalistique est très explicite mais une autre typologie des élus apparaît.
Il y a un premier groupe, les « convaincus », celui formé des adhérents aux idées développées par les Missi Dominici du candidat, séduits par Barrès ou Jaurès.
Les « vaincus » forment un deuxième groupe au moins aussi important que le premier. Ceux apparemment nombreux qui ont lâché leur signature pour se débarrasser d 'émissaires trop pressants. Parmi ceux-là il y a le cas du maire de Thoux : « ils sont revenus quatre ou cinq fois, accrocheurs. J'ai fini par céder pour avoir la paix » (70). Ou celui du maire de Planèzes : «c 'était carrément du harcèlement, ils me téléphonaient sans arrêt; à n 'importe quelle heure chez moi ou au bureau! Ils étaient tellement agaçants, presque agressifs, m 'accusant d 'être anti-démocratique, parce que j 'empêchais les petits de se présenter. Que j 'ai signé pour m 'en débarrasser » (71).
Le plus intéressant est le troisième grand groupe, les « convaincants » réunissant ceux soutenant le petit candidat apolitique.
Avec d 'une part les passifs, voulant par leur signature donner une chance à une nouvelle voix sans porter de jugement sur les idées du candidat ni l 'accompagner de quelque message que ce soit : « il faut que tout le monde puisse s'exprimer », souligne le maire de Monferran-Savès » ou  « « j'ai dit à ses émissaires : quand on n'a pas de parti, on n'a pas de patrie », lance Georges Jean, qui a, malgré tout, signé « car il faut donner sa chance à tout le monde »» (72).
D 'autre part les actifs, ceux qui considèrent leur signature comme une action de contestation: «en signant, j'ai voulu ainsi manifester notre ras-le-bol par rapport à la classe politique » (73).
Jacques Cheminade emploie exactement les mêmes mots estimant qu 'en le soutenant: « certains maires ont exprimé un ras-le-bol par rapport à la classe politique » (74).
L 'attitude de ce troisième groupe de maires est intéressante par rapport à celle du premier et pose la question du rôle du signataire.
Doit-il représenter et soutenir ses idées et celle des électeurs qui l 'ont élu ou au contraire signer un chèque en blanc pour permettre que des idées qu 'il ne partage pas forcément puissent s 'exprimer?
Il y a là une réflexion à mener tant sont différentes les motivations des parrains et parfois très éloignées de l 'étude intellectuelle que devrait impliquer cette décision.
Certains maires n 'hésitent pas ainsi à déclarer : « je leur ai donné ma signature parce qu'ils ont été les premiers à me contacter » (75).
Révélation étonnante et conception étrange de cet aspect de la démocratie.
Très intéressantes également sont les motivations des membres d 'un parti politique ayant un candidat dans l 'élection et décidant d 'en présenter un autre. Ont-ils pu signer pour des idées ou seulement pour donner sa chance au hors parti?
Si ils ont signé pour ses idées pourquoi ne se sont-ils pas engagés politiquement et publiquement pour lui pendant la campagne et sinon lui ont-ils demandé une contrepartie?
La réponse est sans artifice : « le maire de Monferran-Savès précise sa pensée : « J'espère qu'à son tour, Cheminade tiendra la promesse de ses émissaires : le désistement en faveur de Jospin » (76).
Une seule question sans réponse : Jacques Cheminade a-t-il dévoilé cette promesses aux autres parrains ou a-t-il promis un report de voix différent aux maires de sensibilité différente?
Les articles expliquant comment il avait obtenu les cinq cent signatures ont déclenché les réactions de certains maires lui demandant de s 'expliquer publiquement. Les plus virulent ont été trois maires socialistes de la Creuse. Pour les calmer le candidat a promis de soutenir Lionel Jospin au second tour.
France-Soir offre une bonne conclusion sur les relations entre Jacques Cheminade et ses parrains et ce report de voix annoncé pour Lionel Jospin : « une prise d 'opinion qui ravira sans doute les trois maires. Jacques Cheminade est donc plutôt à gauche, enfin pour le moment » (77).
Jacques Cheminade a donc réussi là où il avait échoué deux fois par trois armes essentielles : des émissaires sachant battre la campagne dans tous les sens du terme, un programme sur mesure et l 'étiquette de petit candidat qui lui a rapporté des signatures réflexes.
Comme Marcel Barbu, obtenir ces signatures ne l 'a que faiblement engagé politiquement et n 'a pas fait changer les raisons pour lesquelles il s 'engageait au départ dans la bataille.
 

La campagne de Marcel Barbu et Jacques Cheminade est bien la même que celle des autres candidats.
Mais sous un angle différent.
Ils engagent leur mouvement qui est leur seul soutien le temps de la campagne.
Ils s 'engagent par le seul poids de leur parcours et leurs convictions personnelles.
Ils bénéficient de moyens financiers, humains et matériels qui n 'ont aucune comparaison avec leurs concurents.
Là où les autres présentent un candidat, un programme et un parti, les hors parti présentent un homme, son parcours et son mouvement.
Là est l 'originalité essentielle du candidat hors parti qui apparaît par cette partie : dans la personnalisation extrême de sa candidature.
Le mouvement qu 'il représente  est indissociable de ce qu 'il est en tant que personne.
Les voilà maintenant candidats.
Mais pour amener leur campagne jusqu 'à l 'électeur, il vont devoir réussir ce pour quoi Jacques Cheminade et Marcel Barbu ont décidé de se présenter : faire connaître leurs idées.

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