- Section 2 - Leur mouvement en action
Marcel Barbu comme Jacques Cheminade ont du reconvertir leur mouvement
en machine électorale.
Dans ses comptes de campagne publiés au journal officiel, Jacques
Cheminade indique 179 050 francs engagés pour l 'achat de fournitures
et de marchandises et pour la location et mise à disposition immobilière
et de matériel soit 3,8 % de ses dépenses totales (24).
Pour le personnel salarié, intérimaire et mis à
disposition, la dépense d 'élève à 12 671 francs
et 0,27% du total de ses dépenses.
Pour comparaison, les cas d ' un « grand » candidat comme
Lionel Jospin et d'un « petit » comme Dominique Voynet peuvent
être étudiés pour les mêmes dépenses :
Lionel Jospin consacre 6 696 391 francs pour le matériel et
l 'immobilier et 1 290 407 francs pour les capacités humaines, respectivement
7,6% et 1,5% de son budget total.
Dominique Voynet dépense 494 810 francs pour l 'immobilier et
le matériel et 1 388 488 francs aux moyens humains, soit 6,25% et
17,5% de l 'ensemble de ses dépenses.
La différence de moyens entre Jacques Cheminade et ces deux
candidats apparaît énorme en valeur relative et absolue.
Pour les moyens matériels il engage le tiers des dépenses
de la candidate écologiste et 2,7 % de celles de Lionel Jospin.
Mais l 'écart le plus intéressant est celui touchant
le personnel .
Bien que Dominique Voynet ait un total de dépenses onze fois
moins important que celui du candidat socialiste, elle y consacre
la même somme en valeur absolue, plus d 'un million de francs.
Jacques Cheminade déclare lui 12 671 francs soit cent fois moins.
L 'enseignement essentiel est qu ‘il n 'a pas dépensé
l 'argent de sa campagne pour s 'acheter des militants et un siège
de parti, contrairement à Dominique Voynet qui y a passé
une grande part de son budget.
La cellule de départ de sa fédération avec laquelle
il s' engage dans la bataille est celle qui combat.
Dans les faits cette faiblesse de moyens est apparue très visiblement.
Pour obtenir les signatures puis mener la campagne, trente personnes
ont travaillé à plein temps, les mêmes trente personnes
qui sont les permanents de son mouvements en dehors de ces élections
(25).
Tout juste apprend-t-on cursivement dans Libération que le candidat
a une attachée de presse, Dana Scanlon, qui est elle aussi sans
doute une permanente (26).
Aucun conseiller, aucune cellule d 'élaboration de programme
recruté lors de cette élection.
Quand au quartier général de la campagne, il est très
sommaire : « une table, deux chaises et un téléphone
constituent le seul ameublement » (27).
Le soir du premier tour les journalistes sont reçus dans un
local qui est l 'appartement parisien de Jacques Cheminade.
Le journal Minute ne manque pas d 'indiquer de façon caustique que
« les voisins ont été dérangés pendant
toute la soirée, ils ont dû donner à la presse le code
d 'entrée de l 'immeuble » (28).
L'association de Marcel Barbu est-elle aussi la formation politique
du candidat ou a-t-il engagé des moyens supplémentaires?
Pour cette étude, le détail précis des comptes
de campagne du candidat de 1965 n 'a hélas pas pu être
retrouvé.
Mais sur le terrain, les indices sont assez significatifs sans
avoir besoin des chiffres.
Les hommes engagés dans la bataille électorale constituent
aussi le personnel de l 'association de Marcel Barbu. Parmi ce personnel
trois personnes s 'occupent à temps plein de l 'élection
dont une secrétaire (29). Un journaliste se préoccupe d 'ailleurs
de leur transformation de statut, espérant ironiquement «
que ces heures supplémentaires ont été prévues»
(30).
Ces permanents forment aussi le « brain-trust » du candidat.
Mais contrairement à Jacques Cheminade, Marcel Barbu a un réservoir
important de sympathisants qu 'il peut mobiliser au delà des quelques
salariés de son association.
Au moment de l 'annonce de sa candidature en direct du siège
du Conseil constitutionnel « plusieurs centaines de personnes »
sont dénombrées (31).
Les signatures indispensables sont récoltées par des
ouvriers et des employés (32).
Lors des enregistrements radiodiffusés réalisés
au domicile du candidat, les adjoints et sympathisants sont « innombrables
» (33).
En cela son organisation se compare aux machines électorales
des candidats traditionnels qui fédèrent autour du noyau
des permanents les sympathisants bénévoles qui relaient et
accompagnent le message du candidat.
Les caractéristiques du siège de campagne sont étrangement
semblables à celles du représentant de la FNS (34). Il est
situé à Sannois dans le sous-sol d 'une villa de vingt-cinq
mètres carrés. Le mobilier est constitué de deux tables
métalliques où s 'entassent quelques dossiers. Sur un tableau
noir est écrit à la craie dans l 'immeuble de l 'association
: « Elections présidentielles » avec les heures où
Marcel Barbu parle à la radio et à la télévision.
Autant de détails pour souligner son amateurisme face aux prétendants
professionnels.
Les moyens financiers sont insuffisants pour avoir les bases humaines
et matérielles indispensables à partir desquelles mener la
campagne. .
Insuffisances que Marcel Barbu et son équipe transforment en
choix délibéré déclarant : « nous faisons
la campagne de la valeur personnelle contre celle de l 'argent »
(35).
Une étude entière ne suffirait pas pour développer
les conséquences multiples de cette différence de moyens
avec les autres candidats. Pour s 'étonner que Jacques Cheminade
concourt à la même élection que Lionel Jospin avec
un budget de campagne vingt fois moins important. Que ce sont les candidats
les moins connus qui disposent du moins de moyens pour se faire connaître.
Il serait facile de dire que pour les hors parti l 'élection
est une tribune, qu 'elle n 'est pas une dépense mais une économie
par l 'aspect réduit des dépenses engagées en comparaison
du temps d 'antenne de télé et radiodiffusion.
Marcel Barbu reconnaît lui même que « payer dix mille
francs le droit de parler à cinquante millions de français
ce n 'est pas cher » (36).
Mais en vertu de quel principe démocratique cette remarque ne
serait valable que pour ces candidats et pas pour les autres?
A partir du moment où ils ont obtenu le quorum réglementaire
des signatures, qui est le même que les autres candidats, pourquoi
transformer leurs difficultés financières en avantage que
leur fait la république d 'avoir le droit de s 'exprimer?
La faiblesse de leur compte est-elle un choix délibéré
de s 'opposer comme le dit Marcel Barbu aux autres campagnes, celles de
l 'argent?
Jacques Cheminade a-t-il eu des difficultés pour réunir
son budget de campagne de près de cinq millions de francs, qui apparaît
si faible en comparaison des quatre vingt huit millions de Lionel Jospin
et même des huit de Dominique Voynet?
Ces candidats disposaient-ils de fond propre ou ont-ils du courir les
prêts et les dons pour financer leur campagne?
Et ces prêts et dons se sont-ils accompagnés de contreparties?
La façon dont le prétendant de 1995 a recueilli de l
'argent pour sa campagne a été largement commentée
par la presse.
Le mystère qui l 'entoure est propice aux enquêtes d 'investigation.
Son mouvement par ses multiples ramifications dispose-t-il de fonds
importants?
La disparition du parti ouvrier européen en 1989 pour faillite
fait penser le contraire.
La révélation par la presse, en pleine campagne, que
Jacques Cheminade a été condamné en 1992 à
quinze mois de prison avec sursis pour avoir perçu entre 1984 et
1986 1 197 000 francs en trente-et-un versements d 'une vieille dame atteinte
de la maladie d 'Alzheimer le confirme (37).
Comme l 'affaire comparable pour laquelle son mentor Lyndon LaRouche
a été condamné à quinze ans de prison pour
vol en 1989. Une condamnation pour avoir tiré de l 'argent sur des
cartes bancaires de personnes âgées pour le bénéfice
de son organisation politique.
Lyndon LaRouche qui est pourtant présenté dans tous les
portraits consacrés à Jacques Cheminade comme un milliardaire.
Et le soutien financier à la campagne de son satellite français
est largement évoqué (38).
Au point que celui-ci éprouve le besoin d 'écrire directement
au quotidien Le Monde pour préciser « je ne suis même
pas propriétaire de mon logement et j'ai pour tout revenu mon salaire
de rédacteur du magazine Executive Intelligence Review (EIR) »
(39).
Quand il est interrogé sur ses revenus personnels, le candidat
ne répond pas différemment, il « affirme vivre avec
6000 francs par mois, avoir un revenu imposable avoisinant les 42 000 francs
et rouler dans une Peugeot 305 vieille de 10 ans » (40).
Dans une autre entrevue il déclare disposer de « soixante
mètres carrés dans le vingtième arrondissement de
Paris, 3 000 francs par mois et les restes d’un héritage familial
» (41).
Ecart de revenu qui varie donc en fonction des entretiens mais dont
le seul but est de montrer la modicité de son train de vie personnel.
Modicité confirmée par les onze mille francs seulement
dépensés lors de sa campagne aux élections législatives
de 1993 à Paris (42)..
Les restes de son héritages ne semblent néanmoins pas
négligeables quand il déclare « j'ai moi-même
mis une grande partie de ce que je possédais au service de la cause
à laquelle je crois » et « le plus gros donateur de
ma campagne, c'est moi », en précisant qu'il table sur un
coût total de 1,5 à 2 millions de francs (43).
Pour compléter l 'argent qu 'il apporte, Jacques Cheminade a
dû compter avec les dons et les prêts.
Prêts qu'il avoue avoir les plus grandes difficultés à
réunir malgré la certitude d 'être remboursé
par l 'état en vertu de la loi (44). Il explique les réticences
des banquiers par des arguments pour le moins surprenants qu 'il n 'est
pas nécessaire de commenter : « Cheminade, contrairement à
d'autres candidats, a abordé des sujets tabous : le casino spéculatif,
certains scandales comme celui du Crédit Lyonnais, le problème
posé par l'autonomie de la Banque de France, etc. Ces critiques
n'ont pu manquer de déplaire aux milieux financiers et bancaires
qui ont dès lors, dans une belle et touchante unanimité,
refusé d'accorder un prêt pour la campagne de Jacques Cheminade
»((45).
Les dons ont ainsi formé la quasi totalité de ses recettes
: « ce sont donc des personnes privées qui ont financé
cette campagne, des personnes n'ayant pas une grande surface financière
et qui, pour certaines, ont accepté de faire de gros sacrifices
par rapport à des possibilités tout à fait modestes»
(46).
Jacques Cheminade a donc bénéficié d 'un soutien
extérieur très limité.
Il a dû en grande partie s 'autofinancer sans pouvoir compter
dans une grande mesure sur le soutien des banques assurées à
priori du remboursement de ses dépenses par le conseil constitutionnel.
A priori seulement. Car il a été le seul des neuf candidats
et le premier de l 'histoire des élections présidentielles
dont le compte de campagne a été rejeté.
Contrairement à la loi qui stipule que des fonds ne peuvent
être recueillis après la date du second tour, d 'après
le conseil constitutionnel plus d 'un tiers de l 'ensemble de ses recettes
a été conclu après l 'élection de 1995
(47).
Le candidat conteste vigoureusement sur son site internet les raisons
de ce rejet. Pour lui « la leçon est claire, on fera payer
celui qui met en danger les règles établies, par tous les
moyens, y compris en détournant les institutions de leur but
», ajoutant des commentaires jetant la suspicion sur les membres
du conseil constitutionnel : « M. Roland Dumas, président
du Conseil Constitutionnel, est un ennemi politique de longue date de Jacques
Cheminade et a même été avocat dans une affaire contre
lui. M. Olivier Schrameck, alors secrétaire général
du Conseil constitutionnel et qui, à ce titre, avait signé
sa décision, est aujourd'hui le directeur de cabinet du Premier
ministre. Et M. Louis Gautier, alors à la Cour des Comptes et qui
a examiné le compte de campagne de M. Cheminade, est aujourd'hui
conseiller pour les questions de Défense auprès du
Premier ministre » (48).
La seule conclusion qui s 'impose est que ce rejet est révélateur
des peines du candidat pour obtenir des financements. Sur les 7,2 millions
de francs qu 'il devait pouvoir se faire rembourser par l ' Etat il n 'a
pas pu réunir plus de 5 millions de francs (49).
Marcel Barbu a-t-il rencontré les mêmes soucis?
Les détails sur la façon dont il a financé
sa campagne sont très peu nombreux.
Une partie a été réglée par les huit
mille adhérents de son association.
L ' ACGIS aurait engagé six millions sur ses fonds propres (50).
Il est en plus intéressant d 'apprendre que les architectes
et entrepreneurs qui travaillent pour son association ont aidé à
faire l 'appoint (51).
Aucune autre précision n 'a été donnée
sur les raisons désintéressées ou non de ces groupes
qui ont décidé de le soutenir pour l 'élection ni
sur le montant total de ce mécénat.
Après les élections, une souscription close en 1966
lui permit de couvrir les fonds engagés (52).
Les frais de campagne n 'ont au final pas dépassé le
cautionnement et l 'impression des affiches obligatoires selon la
loi.
Il est évident que cette candidature décidée quelques
jours seulement avant le délai légal n 'a pas permis à
Marcel barbu de rechercher des financements plus importants.
La comparaison avec la situation du prétendant de 1995 est donc
délicate.
Dans les deux cas cependant les fonds proviennent en grande partie
d 'eux-mêmes et aucun gros donateur reconnu ne s' est associé
à leur campagne.
Ils restent bien les candidats de leur mouvement.
Mais une autre bataille aussi ardue que la recherche du financement
les a aussi occupé, celle des parrainages.
Une campagne qui a amené cent et cinq cent élus à
s 'engager à leurs côtés en même temps que les
électeurs qui avaient voté pour eux.
De quelle manière Marcel barbu et Jacques Cheminade s 'y sont-ils
pris, quels arguments ont décidé les signataires et ces parrains
avaient-ils des revendications au moment de signer dont les candidats ont
du tenir compte pendant leur campagne?