- Section 3 - Comment se classent-ils politiquement?
De quelle manière déterminer la couleur politique d 'un
candidat apparaissant le temps d 'une élection nationale et absent
du jeu politique et législatif?
Différents éléments d 'analyse peuvent être
retenus.
Comment eux-mêmes se positionnent par rapport aux partis et de
quelle façon se sont-ils positionnés lors de leurs éventuelles
aventures politiques antérieures, sous quelle forme jugent-ils les
autres candidats et vers quels prétendants décident-ils de
guider leurs électeurs au second tour.?
Concernant leur positionnement politique personnel, Marcel Barbu et
Jacques Cheminade ont un discours commun : ils sont en dehors des partis.
Dès l 'annonce officielle de sa candidature, lors d 'une conférence
de presse, le discours de Marcel Barbu est limpide : « je suis sphérique
d 'opinion, car comme une sphère, je n 'ai pas de bord, pas
de parti, je ne me désisterai pour personne » (41). Il emploie
en plus un langage sans ambiguïté pour qualifier les partis
politiques : « les partis je m 'en f... » (42).
Jacques Cheminade ne pense pas différemment : « sur l
'échiquier politique, Jacques Cheminade est inclassable. Ni de gauche,
ni de droite dit-il. Jugeant que ces distinctions « n 'ont plus de
raisons d 'être » » (43).
Il ajoute encore: « personnellement, je pense que les mots de
droite et de gauche n'ont pas de sens à cause de la droite et de
la gauche» (44).
Il existe le même souci chez les deux candidats de se classer
hors des formations politiques, mais aussi de les rejeter.
Attitude logique aussi car comment expliquer leur candidature si ils
se reconnaissent dans un parti?
Soutenir un autre mouvement présent dans la campagne ou s 'en
dire proche serait nier la nécessité de leur propre candidature
face aux prétendants traditionnels.
Mais ces déclarations de principe d 'apolitisme sont-elles véridiques
dans les faits?
Une anecdote racontée par Marcel Barbu dans La Croix semble
confirmer cet apolitisme.
Alors qu 'il cherchait à construire des pavillons avec son association
dans la municipalité communiste d ' Archères, le maire lui
a répondu : « tous les barbus sont des fascistes, on n 'en
veux pas ici » alors que le maire UNR de Saint-Leu lui a déclaré
: « vous ne viendrez pas chez nous, tous les barbus sont des
communistes! » (45).
Quelle meilleure preuve trouver de son apolitisme que d 'être
classé à droite par la gauche et à gauche par la droite?
Mais c 'était peut être aussi un simple moyen expéditif
pour ces maires de lui faire comprendre qu 'ils ne voulaient pas de ses
logements. Difficile donc d 'en tirer une conclusion définitive.
Le meilleur indice est sans doute la place occupée dans l 'hémicycle
lorsque Marcel Barbu était député après la
guerre.
Il se présente sous l 'étiquette neutre d ' «
indépendant d 'action républicaine » (46). Lors de
la campagne, les communistes, ne sachant sûrement pas comment le
classer et mener le combat contre lui, le disent à droite (47).
Mais une fois élu il juge les communistes trop à droite et
demande à siéger à l ' Assemblée Nationale
à leur gauche sur un tabouret (48).
L 'image de Marcel Barbu seul sur un tabouret à coté
de l ' hémicycle aurait été plus que toute autre l
'image de son apolitisme .
Mais ce ne fut pas le cas, il se fait finalement inscrire « apparenté
communiste » sous la houlette des « républicains-résistants
» d' Emmanuel d ' Astier (49).
Son mandat ne dure que quelques mois et ensuite il n 'a plus de contact
avec ce groupe donc il est complexe de vouloir en conclure quoi que ce
soi .
La certitude est qu 'il quitte la communauté Boimondau car il
la juge trop communiste.
Son éducation est chrétienne mais son activité
sociale le classerait plutôt à gauche.
D 'ailleurs lors de la campagne de 1965 il suit avec sympathie la tentative
de Gaston Defferre et le reproche principal qu 'il fait à François
Mitterrand est « d 'être prisonnier de plusieurs partis donc
chacun s 'est juré la mort de l 'autre » (50).
Au second tour de l 'élection présidentielle il demande
d 'ailleurs à ses électeurs de voter pour le candidat de
la gauche. Mais pour des raisons plus intéressées qu 'une
réelle sympathie pour le candidat. Il propose aux deux candidats
restants le report de ses voix si ils reprenent deux propositions de son
programme. Seul François Mitterrand accepte et c 'est ainsi que
Marcel Barbu l 'a suivi : « il a déclaré qu 'il
était d 'accord sur les deux principaux points de ce programme.
Je suis donc obligé de soutenir Monsieur Mitterrand. Je préfère
la pagaille des partis à l 'ordre du général de Gaulle
» (51).
Il a une obligation de soutenir le candidat de gauche pour faire accepter
ses idées. Marcel Barbu est un personnage pragmatique par excellence.
Seul compte le résultat. Il ne représente que ses idées,
peu importe où celles-ci le classent.
Son positionnement politique peut être résumé en
une expression : « j 'ai la veine d 'être un personnage couleur
de muraille » (52).
Jacques Cheminade est-il aussi couleur de muraille?
Etudier son positionnement politique est au moins aussi difficile que
pour Marcel Barbu.
Sa pensée politique s 'appuie sur des personnages historiques
de tous horizons et de toutes époques.
Comment classer quelqu'un qui se réclame à la fois de
Colbert, Sully, Jaurès et De Gaulle? (53).
Le meilleur moyen de déterminer comment il se positionne est
d’étudier son jugement sur les autres formations politiques.
En fait Jacques Cheminade rejette la gauche et plaint les « socialistes
écoeurés de ce qu 'ils ont vu en France depuis 1981 »
et les sympathisants de droite «tout autant écoeurés
par les singeries libérales, loi de la jungle d 'énarques
en mal d 'ambition, de pouvoir et de copie » (51).
Il ne se reconnaît pas non plus dans les extrémismes :
« d ‘ un côté, ceux qui défendent les idéologies
du sang, du sol et de la race, c'est-à-dire Jean-Marie Le Pen et,
de l'autre côté, ceux qui croient encore que l 'Union Soviétique
était un Etat ouvrier, c'est-à-dire Lutte ouvrière
» (55).
Mais ce n 'est pas un rejet de principe, ce qu 'il semble détester
avant tout c 'est les frontières politiques figées. Selon
lui « il faut conduire une autre politique. Il faut réaliser
un « front républicain » en dehors des extrémistes
» (56).
Le grand modèle politique à suivre est celui de Jean
Jaurès, l 'homme politique devant être à la fois «
patriote et citoyen du monde face à l 'ampleur du défi
que nous jette aujourd'hui l 'histoire si nous restions à une perpective
limitée à un « parti » et à des frontières
» (57).
Dans les faits, le positionnement de Jacques Cheminade est quand même
apparu plus distinctement.
En 1988, après son échec pour obtenir les signatures,
il fait une campagne contre Raymond Barre au premier tour et soutient Jacques
Chirac au second (58).
Ce même Jacques Chirac qu 'il condamne lors de l 'élection
de 1995 : « Jacques Chirac c 'est les mots sans les choses. Il vient
de la technostructure et attaque la technostructure. Il s 'appuie sur un
discours populiste de progrès et en même temps sur Alain Madelin
qui représente toujours pour moi la réaction , alors je n
'y crois pas » (59).
Dans cette campagne il est plus proche de la gauche par plusieurs indices:
D ’abord sa sympathie affichée pour Jacques Delors dont il s
'estime le représentant et continuateur par sa candidature : «
lorsque j'ai vu que Delors ne se présentait pas, j'ai pensé
qu'il fallait faire entendre une voix autour des idées que je défends
pour les grands travaux, le plan Marshall pour l'Est et le Sud. J'ai pensé
qu'il fallait être quand même candidat. Si Delors l'avait été,
ma réflexion aurait été plus profonde» (60).
On peut s 'interroger sur la sincérité de ces réflexions.
Mais il est intéressant de remarquer que Marcel Barbu comme
Jacques Cheminade ont éprouvé de la sympathie pour des candidats,
Gaston Defferre et Jacques Delors, qui ne sont pas allés au terme
de leur engagement. Moyen de récupérer des voix, et de se
positionner face à un électorat qui aurait pu être
représenté par ces deux hommes et au vide politique créé
par leur absence?
Il est certain que se référer à ces deux «
Monsieur X » , qui en se présentant auraient rassemblé
des électeurs de sensibilités larges, est habile politiquement
(61).
En plus de cette adhésion aux idées de Jacques Delors,
d 'autres indices ancrent Jacques Cheminade vers la gauche. Comme le positionnement
politique des élus qui lui ont accordé leur signature.
Sur les 89 parrains appartenant à un parti politique, 49 sont
des élus socialistes, 6 des communistes, 28 seulement viennent de
l ' UDF et 6 du RPR (62).
Mais par le caractère très rural de ces parrains, et
les moyens très ambigus par lesquels il a obtenu ces signatures
il est assez ardu d 'en faire un autre candidat de la gauche (63).
Et au second tour, si il soutient le candidat socialiste à la
condition obscure qu 'il « mette un tigre dans le moteur de son cabriolet
», les motifs de ce soutien semblent surtout venir des parrains socialistes
à qui il avait fait cette promesse plus qu 'à une conviction
personnelle réelle (64).
Comment expliquer le positionnement d'un homme politique soutenant
Jacques Chirac en 1988 et Lionel Jospin en 1995?
Même si le Jacques Chirac de 1995 est plus proche du Lionel Jospin
de 1995 que du Jacques Chirac de 1988, le grand écart est quand
même important.
Contrairement à Marcel Barbu dont le positionnement politique
est purement dépendant de ses intérêts propres, celui
de Jacques Cheminade est impossible à situer.
La meilleure solution est peut être de déterminer de quelle
tendance politique sont les électeurs qui l 'ont soutenu.
Libération a tenté de répondre à cette
question par un sondage sur l 'intention de vote des électeurs selon
leur vote au premier tour pour en arriver à la conclusion que 28%
des électeurs de Jacques Cheminade au premier tour ont voté
pour Jacques Chirac et 28% pour Lionel Jospin, 44% ne se prononçant
pas (65).
Même si Libération saborde inconsciemment les enseignements
de ce sondage dans une autre de ses éditions, déclarant qu
'il est impossible de connaître le transfert de voix de ceux qui
ont voté Jacques Cheminade au premier tour en raison de la faiblesse
de son score; ce partage étrangement égal entre Jacques Chirac
et Lionel Jospin est la meilleure réponse pour se demander de quel
bord politique est le candidat de la Fédération pour une
Nouvelle Solidarité (66).
Il en ressort que Marcel Barbu comme Jacques Cheminade rejettent par
principe les partis institutionnels et refusent de se classer par rapports
à eux
Durant les expériences politiques vécues ils se sont
positionnés d 'après des orientations fluctuantes selon la
conjoncture et leurs intérêts.
Leur couleur politique n 'est pas monochrome mais constituée
de l 'arc-en-ciel de leur parcours social et idéologique personnel.
La seule ligne qu 'ils suivent semble être celle de leurs idées
forgées par leur parcours et non celles d 'un parti ou mouvement.
Mais est-ce vraiment le cas ?