- Section 2 - Leur première bataille politique?
L 'engagement politique de Marcel Barbu vient sans doute d 'un épisode
qu 'il a vécu pendant la guerre et qui est raconté par le
journal Combat en deux versions différentes(29).
En juin 1940, l 'armée allemande arrive à Besançon,
tous les représentants de l 'Etat, des employés municipaux
au préfet, ont déserté la ville. L 'officier supérieur
allemand trouve alors en face de lui Marcel Barbu qui a pris la place du
maire et entend défendre au mieux les intérêts de la
population.
Selon la première version Marcel Barbu tient deux jours; les
autorités véritables l 'expulsant ensuite. Selon la seconde
au style littéraire et hagiographique : « trois mois durant
il devait faire régner l 'ordre, empêcher le pillage, ramasser
les cadavres, soigner les blessés, assurer le ravitaillement de
la population » (30).
La deuxième version de cette aventure étant racontée
dans un article résolument favorable à Marcel Barbu voulant
démontrer que sa candidature est aussi logique, sinon plus, que
celle des autres candidats, est sans doute moins proche de la vérité
que la première.
Ce qui est révélateur ici c 'est que cette première
apparition de Marcel Barbu dans le champ politique, à une période
extraordinaire il est vrai, lui a sûrement donné le déclic
qu 'une action au grand jour pouvait servir à défendre les
concitoyens, même l 'espace de deux jours seulement.
Après la guerre il investit, cette fois légalement, le
domaine politique.
La communauté Boimondau décide de soutenir la candidature
de Paul Deval dont Marcel Barbu est le suppléant à la première
assemblée constituante.
Cette candidature n 'est pas à voir comme une politisation de
la vie communale et des idées de Marcel Barbu qui voudrait créer
un parti mais plus simplement l 'objectif est d'être à la
chambre pour faire voter une loi sur les communautés de travail.
La communauté se transforme alors en « parti » :
elle assure le financement de la campagne, les trois camionnettes de la
communautés roulent toute la journée pour assurer les dix
meetings quotidiens jusqu 'à une grande réunion publique
à Montélimar(31).
La campagne tout terrain porte ses fruits et contre toute attente les
communautaristes arrivent en deuxième position et ont un représentant
à la chambre(32).
Paul Deval est donc député mais démissionne au
bout de deux mois et Marcel Barbu se retrouve à la chambre .
Le nouveau député dépose son projet communautaire,
un nouveau statut de communautés de travail, trois projets d 'une
école de responsables de communes et d 'un vaste mouvement de rassemblement
communautaire.
Dès que sa proposition de loi sur le mouvement communautaire
est adoptée par le parlement, il démissionne estimant son
mandat accompli.
Etre député est un moyen de faire avancer ses projets,
estimant qu 'ils ne sont défendus par personne. Il se présente
lui-même, les réalise et retourne les appliquer dans sa communauté.
Marcel Barbu a hésité à se représenter
à l 'élection législative suivante .
Le bilan du député était mitigé.
Lors d 'une de ses interventions sur l 'école laïque, Le
Canard Enchaîné lui aurait consacré un article élogieux
(33).
Mais lors de ses interventions à la chambre tout le monde rigolait
(34).
Et Marcel Mermoz, le communiste qu 'il avait connu à Buchenwald,
parvient à le convaincre en lui disant : « on arrête.
On se fout à dos tous les partis, tout le monde nous engueule, le
MRP nous traite de Bolcheviks, les communistes nous traitent de fascistes.
Faisons notre communauté, c 'est par la pratique , par l 'expérience
qu 'on prouvera notre vérité » (35).
Mais pour Marcel Barbu il reste l 'idée que se faire élire
est une solution pour résoudre des problèmes qui ne trouvent
pas de solutions quotidiennes. Il met ainsi en pratique une de ses grandes
idées « les lois devraient être fait pour et par
le peuple de France » (36).
Quitter le mouvement communautaire pour celui du logement ne l 'a pas
fait changer d 'optique.
Dès son arrivée en 1953 à Sannois il crée
la « ligue de Réforme Communale » et obtient deux élus
au conseil municipal (37).
Il se représente en 1959 aux élections municipales sous
la même étiquette, avec cette fois un programme qui
garde de forts accents communautaires mais devient aussi un vrai programme
politique.
Dans un document intitulé « La réforme communale
de Sannois » publié à l 'occasion de cette élection,
il écrit notamment : « la stagnation politique française,
notre vie nationale étant paralysée, stérilisée
dès le départ au niveau de la commune. Si les citoyens ne
peuvent s 'exprimer librement au niveau communal , s 'ils se révèlent
incapables de participer lucidement à la conduite des affaires de
la commune c 'est se moquer d 'eux que de vouloir leur faire croire qu
'ils peuvent participer désormais à la conduite des affaires
de l 'état grâce à la constitution» (38).
Marcel Barbu ne prend plus seulement en compte l 'intérêt
particulariste de ses idées communautaires mais y intègre
d 'autres éléments avec une notion d 'intérêt
général et d 'accès de tous à la démocratie
qui n 'est pas optimal et qui est même freiné par l 'organisation
actuelle de l 'état.
Il échoue aussi à ces élections municipales mais
il aura précisé et structuré sa pensée pour
l ' amener sur un domaine plus politique .
Entre les élections de 1953 et celles de 1959, il est aussi
actif pour faire plier les contraintes de l 'administration. Le 22 décembre
1957, à cause du refus de la municipalité de Sannois
de lui accorder un lot de terrain qu 'il convoite pour construire des logements,
il débute une grève de la faim retentissante dans sa voiture
devant la mairie. La nuit de Noël l 'administration cède.
De la résistance pendant la guerre à la campagne municipale
une seule raison a motivé l 'intrusion de Marcel Barbu dans la sphère
politique : employer la politique comme un moyen de résoudre des
problèmes concrets face à des difficultés qu 'il rencontre
en tant que chef de communauté ou d 'association.
Il n 'appartient pas à cette étude de juger du bien-fondé
des moyens employés par Marcel Barbu pour faire avancer des problèmes
très sectoriels, mais il est certain qu 'il a toujours réussi
par la pression ou par l 'élection à obtenir des avantages
que sinon il n 'aurait pas obtenu.
Il est arrivé à l 'élection présidentielle
par ricochet : il veut une loi sur la réforme communale, il la vote
en tant que député; il veut un lot de terrain, il l 'obtient
en tant que gréviste de la faim; il se bat avec la mairie d ' Archères
pour la construction de 300 pavillons, il se présente à l
'élection présidentielle.
Mais il ne se présente pas que pour ça. L 'enchaînement
de ses campagnes diverses et son parcours personnel l 'ont amené
à théoriser plus largement ses problèmes, les élargir
pour faire de sa lutte pour la construction une lutte contre
l 'administration, et de sa lutte pour la réforme communale une
lutte contre la sclérose du pouvoir en place.
Réduire la candidature de Marcel Barbu à l 'obtention
de ses trois cent pavillons serait réduire proportionnellement la
candidature des prétendants traditionnels à l 'obtention
du mandat de président de la république.
Assurément l 'élection présidentielle n 'est pas
pour lui la première des batailles politiques, mais ce parcours
fait-il pour autant de Marcel Barbu un homme politique classable dans des
schémas existants?
Cette question peut-elle se poser aussi pour Jacques Cheminade?
Le candidat de 1995 a déjà l 'expérience, avant
même sa rencontre avec Lyndon LaRouche, de l 'administration publique
et des coulisses du pouvoir avec ses postes occupés dans les ministères
dans les années soixante et soixante-dix.
Comme Marcel Barbu, il n 'en est pas à son premier galop d 'essai
.
Sous l 'étiquette du Parti Ouvrier Européen puis de la
Fédération pour une Nouvelle Solidarité il a participé
à plusieurs élections de 1984 à 1993.
La première entrée de Jacques Cheminade comme candidat
au grand jour se fait en 1984 lors des élections européennes
Il obtient 0,08% des suffrages.
Lors de ces mêmes élections en 1989, il se présente
à la tête d 'une liste dont le titre-programme est sans équivoque
: « Rassemblement France Libre » . Il séduit cette
fois 0,17% des électeurs (39).
En mars 1993, il abandonne les scrutins de liste pour se présenter
aux élections législatives du cinquième arrondissement
de Paris. Il réunit sur son seul nom 0,32% des voix.
Quelques militants se présentent également sous la bannière
de son mouvement à ces élections législatives pour
faire un score résiduel.
Comme indiqué dans le chapitre précédent, il avait
aussi tenté en vain d 'accrocher les cinq cent signatures
présidentielles en 1981 et 1988.
L 'ensemble de la presse a hélas été très
brève sur les campagnes antérieures de Jacques Cheminade,
se contentant au mieux de rappeler les chiffres de ses combats politiques.
Généralement pour en souligner la médiocrité
des résultats comme La Croix indiquant que Jacques Cheminade est
« un habitué des élections et des scores largement
inférieurs à 1% » ou Libération remarquant ironiquement
qu ‘ « il double son score électoral à chaque fois
» passant de 0,08% en 1984 à 0,17% à 1989 et 0,32%
en 1993 (40).
Il est avéré que plus que Marcel Barbu, Jacques Cheminade
est un professionnel de la campagne politique.
Mais par la faiblesse des scores obtenus, par le nombre réduit
de candidats se présentant sous son nom, par le silence même
qui est fait sur les précédentes élections où
il s 'est présenté il est difficile de ne pas le considérer
comme un nouveau candidat par rapport aux huit autres de 1995.
Contrairement aux élections européennes où les
petites listes cherchant une tribune sont multiples, ou aux élections
législatives où les petits candidats ne peuvent espérer
au mieux qu 'une notabilité de circonscription, l 'élection
présidentielle en fait un homme neuf inconnu du grand public.
A l 'opposé de Marcel Barbu, il voit chaque élection
comme une lucarne pour faire connaître ses idées et
son mouvement et non faire avancer des projets concrets.
Et à l 'inverse du candidat de 1965, député l
'espace de quelques mois, Jacques Cheminade n 'a jamais réussi à
accrocher un poste par les urnes, son seul exercice du pouvoir il l 'a
détenu dans les coulisses.
Est-ce que cet aspect en fait pour autant un homme politique identifiable?