- Section 2 - Une décision inévitable et logique?

Si les journaux sont restés très discrets sur les raisons précises de la candidature de Jacques Cheminade, plusieurs ont révélé que 1995 n 'est pas sa première tentative à la magistrature suprême (17).. En 1981 et 1988, il avait déjà essayé de se présenter mais l 'obstacle des 500 signatures avait été trop haut pour lui.
Jacques Cheminade tirant sans doute les leçons de ses deux précédents échecs, s 'y prend dès l 'automne  1994 pour quadriller le terrain au mieux et obtenir cette fois le nombre de parrains requis.
L 'hypothèse d 'une candidature purement circonstancielle et motivée par des préoccupations seulement immédiates s ' effrite donc en partie et sa décision si elle est bien liée à la crise est aussi  mûrement réfléchie et planifiée plusieurs mois avant l 'élection.

La décision de Marcel Barbu qui paraît avoir été prise presque comme une solution normale proposée lors d'une réunion d 'une associative de la commune de Sannois est-elle débattue ensuite et mise en perspective?
Son souhait d ' exposer les problèmes qu 'il rencontre dans son association de 8000 adhérents à des millions de français lors d'une campagne présidentielle ne lui est-il pas paru disproportionné ?
Et se rend-il compte qu 'en passant par ce petit trou pour se battre contre l 'administration il devient candidat à l 'élection présidentielle?
En réalité, il ne s 'est pas lancé tête baissée dans l 'aventure malgré les apparences.
Lorsque l 'idée de se présenter lui est venue : « j 'en ai rougi de honte. Je n 'en ai parlé qu 'à une seule personne très chère ... qui m ' a écouté avec effroi »(18).
Et il a bien pris un certain recul avant de se présenter en prenant des conseils :« j 'ai consulté des gens qui appartiennent à un autre milieu que moi : un milieu intellectuel. On m ' a poussé. Alors j 'ai dit à un copain : «  Moi je ne fais rien. Trouvez les cent signatures et je me lance » (19).
Malheureusement il est impossible de déterminer ce qu 'est ce milieu intellectuel et les personnes à qui il a demandé conseil.
L 'hebdomadaire Minute complète cette information en précisant qu 'il a tenté de rencontrer Emile Roche, le président du conseil économique, pour qu 'il patronne sa candidature à l ' Elysée et  celui-ci l 'a mis à la porte mais sans donner plus de précision (20). Révélation quand même intéressante du petit candidat qui se bat contre l 'administration et le pouvoir et qui cherche le patronage d 'une personne éminente en place au sein de ce pouvoir.
Il s 'est bien interrogé sur son acte de candidature et y avait déjà pensé avant la réunion du neuf novembre,  il en avait d 'abord parlé à une personne chère.
Est-ce à dire que sa candidature était déjà préparée avant la réunion et qu 'il l 'a en quelque sorte testée devant les sept cent membres de son association présents à cette occasion pour voir leur réaction?
Le journal Minute s 'interroge aussi sur cet aspect :«ce gigantesque coup de publicité a-t-il vraiment été improvisé au dernier moment? Barbu ne le mijotait-il pas depuis longtemps? Il jure que non... » (21).
Il est en effet peu probable que ce « coup de publicité » ait été mijoté depuis longtemps, sinon Marcel Barbu aurait sans doute annoncé sa décision plus tôt pour éviter le marathon des cent signatures en cinq jours. et des trente trois  millions de circulaires à imprimer en une semaine.
Le mardi quinze novembre, soit la veille du dernier délai de dépôt, il n 'a obtenu encore que quatre-vingt-cinq signatures de maires et conseillers généraux élus de vingt-cinq départements et il espère sans certitude pouvoir atteindre le quorum indispensable des cent (22).
Les dernières signatures arrivent de la Meuse le mardi seize, à quelques heures du délai ultime, par le train de 22h38. Il n 'a la confirmation officielle de la part du conseil constitutionnel qu 'un nombre suffisant de signature est arrivé que quelques minutes avant la clôture (23).
Quand aux circulaires à imprimer, il rencontre aussi des problèmes pour distribuer l 'ensemble de ses professions de foi dans la limite légale fixée
Elles devaient par exemple être diffusées dans sept départements de l 'est de la France et parvenir dans les préfectures pour le 28 novembre 1965 à minuit. Mais elles ne purent pas être distribuées dans les temps dans trois départements : le  Jura ,  la Saône-et-Loire et les Vosges (24).
La conclusion qui s 'impose est que la décision de Marcel Barbu, même si il a pu y penser plus tôt, a bien été prise tardivement, dans les premiers jours de novembre 1965.
Peut-être cette voix qui s 'est élevée du fond de la salle le jour de la réunion de son association pour lui demander de se présenter n 'a-t-elle servi qu 'à extérioriser la voix intérieure qui lui disait de s 'engager depuis les plusieurs mois où il se rongeait les sangs?
Jacques Cheminade et Marcel barbu ont donc un positionnement apparemment opposé, la candidature de 1965 étant complètement spontanée alors que celle de 1995 semble plus « professionnelle ».
Mais il faut prendre en compte l 'aspect essentiel du passage de cent à cinq cent signatures qui s 'est fait par le décret de 1976.
En 1965, les signatures de cent citoyens membres du conseil économique et social, conseillers généraux ou maires représentant dix départements ou territoires d 'outre-mer sont suffisants.
La loi organique du 18 juin 1976 et le décret du quatre août 1976 ont réformé et compliqué les conditions de présentation des candidats : cinq cent signatures provenant de trente départements sont désormais nécessaires et les membres du conseil économique et social se voient retirer le droit de parrainer un candidat (25).
Dans ces conditions une candidature après ce décret peut-elle être complètement spontanée?
Pour la campagne de 1965 aucune estimation n 'a été faite mais pour 1995 les candidats hors parti sont quinze en janvier, trente en février et au moins quarante cinq en mars à essayer d 'atteindre les cinq cent signatures (26). Seul Jacques Cheminade y est parvenu.
Cela montre aussi que sa tentative n 'est pas la seule et que pour chaque élection plusieurs électeurs  cherchent à faire entendre leur voix. Et que la concurrence des hors parti pour obtenir les signatures de parrains qui est réelle pour 1995, est sans doute au moins aussi acharnée que celle au sein des partis politiques.
De même en 1965, par le nombre restreint de prétendants en lice qui n 'est que de six, il est peu vraisemblable que le président de l ' ACGIS ait été le seul « citoyen » à tenter d 'obtenir les signatures, même si il n 'existe pas d 'archives sur d 'éventuels recalés.
Il est certain que Marcel Barbu n 'aurait pas pu être candidat en 1995 en se lançant aussi tardivement.
Mais Jacques Cheminade n 'aurait-il pas obtenu les cent signatures en quelques jours en 1965 et Marcel Barbu les cinq cent en 1995 en s 'y prenant longtemps à l 'avance?
Il reste que ces modifications de la loi ont bien freiné l 'accès à la campagne des candidats conjoncturels et Jacques Cheminade est l 'illustration que désormais pour obtenir le droit de concourir à l 'élection avec un double déficit de notoriété il faut se lancer dans l 'aventure plusieurs mois à l 'avance.
Les raisons de leurs engagement ont été étudié de même que leur aspect spontané, il reste à déterminer leurs objectifs du départ.
Ont-ils des objectifs de candidats d 'expression ou de témoignage?
 

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