« N'ayez pas peur de voter pour moi ».
Cette phrase a été prononcée à 30 ans d
'intervalle par Marcel Barbu en 1965 et Jacques Cheminade en 1995 lors
de leur dernière intervention télévisée face
au peuple (1).
Une même phrase qui donne une idée du parcours de ces
deux candidats à l 'élection présidentielle.
Loin de la conclusion des prétendants « traditionnels
» qui n 'ont plus besoin de convaincre l 'électeur à
deux jours du scrutin mais seulement de le conforter dans son choix.
De ceux qui bénéficient des formidables machines à
conquérir le pouvoir que sont les partis politiques de la cinquième
république.
Aussi du relais de leurs militants et sympathisants, qui quadrillent
le terrain électoral en distribuant des tracts, collant des affiches,
animant des réunions électorales pour amener leur candidat
physiquement le plus près possible de l'électeur.
En plus de moyens financiers permettant de rendre audible leur message,
même si des lois successives ont bridé les excès «
publicitaires » des années quatre-vingt.
Ce sont ces prétendants qui sont toujours présents
au second tour de l 'élection présidentielle (2).
Ceux qui ont occupé précédemment le pouvoir dans
la majorité sortante ou en tant que chefs de l ‘opposition et qui
sont soutenus par des partis et tendances dont l 'ancrage dans la vie politique
française remonte à plusieurs années voire plusieurs
républiques.
Mais pourrait-il en être autrement?
Serait-il possible qu 'un candidat hors des structures habituelles,
hors des schémas convenus de l ' accession à la fonction
suprême puisse se glisser dans l'élection la plus disputée
pour faire entendre sa voix?
Quel espace reste-t-il en effet a un prétendant
ne disposant pas de parti, de soutiens financiers, d 'espace médiatique,
en résumé de toutes les courroies de transmission traditionnelles
vers le peuple pour faire entendre son message électoral?
Par quels moyens peut-il occuper cet espace?
Depuis la loi de 1962 fixant les conditions d 'élection du président
de la république au suffrage universel, et la première élection
de 1965, chaque campagne a vu un ou plusieurs inattendus tenter leur chance
(3).
De Marcel Barbu en 1965 à Jacques Cheminade en 1995, en passant
par Louis Ducatel en 1969, Guy Héraud, Emile Muller, Jean-Claude
Sebay en 1974 ou Pierre Broussel en 1988.
Ils ont tous en commun de ne pas disposer de la double notoriété
des candidats traditionnels pour qui la présidentielle est affaire
de statut d 'un parti et de stature d 'un homme qui se combinent pour former
la candidature et lui donner son ampleur et légitimité politique,
médiatique et électorale.
D 'autres prétendants dans les élections présidentielles
tels le général De Gaulle, Raymond Barre en 1988 ou Edouard
Balladur en 1995 se sont aussi présentés comme sans parti,
apolitiques, hors du « système » .
Ceci pour tenter de rassembler au delà de leur famille politique
et être le président de tous les français ou parce
qu 'ils n ‘avaient pas le soutien de leur famille d 'origine.
Mais par leur parcours politique, par les fonctions importantes occupées
antérieurement au sein de partis politiques institutionnels, aux
yeux de l 'opinion et des médias ils sont étiquetés
comme étant d 'une tendance, d 'une famille d 'idée précise
et identifiable par leur seul nom .
A l 'approche de l 'élection présidentielle, les analystes
politiques aiment à répéter qu'elle est l 'affaire
d 'un homme et d 'un peuple.
C 'est vrai à priori pour tous les candidats.
Mais là où les prétendants traditionnels ont un
nom qui rappelle instantanément des états de service politiques
et un parcours qui installe leur candidature, Marcel Barbu ou Jacques Cheminade
n 'ont que leur nom qui n 'évoque rien aux électeurs, à
leurs opposants dans l 'élection et aux journalistes.
Là ou les autres ont un programme présidentiel forgé
au cours des années de lutte au sein de leur parti et contre les
autres partis, eux arrivent avec un programme et des idées qui ne
rentrent pas dans un schéma électoral, politique et médiatique
prédéfini.
Clairement, on peut appeler ces candidats imprévus des «
hors parti » en les différentiant de deux autres types de
candidats :
Le traditionnel est celui qui cumule la notoriété de
son parti et de son nom pour se présenter à l 'élection.
Le sans parti ne bénéficie que de la notoriété
de son nom ou de son parti.
Le hors parti se définit par le double déficit
de prestige de son nom et de son mouvement au moment où la course
électorale débute.
Ce mémoire portera sur la campagne présidentielle de deux
des ces hors parti : Marcel Barbu en 1965 et Jacques Cheminade en 1995.
Pourquoi avoir choisi ces deux candidats ?
D 'abord car Marcel Barbu a concouru à la première élection
au suffrage universel de la cinquième république et Jacques
Cheminade à la dernière.
Le fait que la tentative de Marcel Barbu ait eu lieu avant et celle
de Jacques Cheminade après le décret de 1976 qui a changé
les règles, en passant notamment le nombre de signatures de parrains
de 100 à 500, a pu avoir des conséquences comme une professionnalisation
de l 'accès à la candidature qu 'il sera intéressant
d 'analyser (4).
A cela s 'ajoutent les transformations politiques de la république
du coup d 'état permanent à celle de la cohabitation, l 'ouverture
médiatique et l 'émancipation électorale qui se sont
faites durant ces trente ans, facteurs qui ont pu avoir des conséquences
importantes sur la perception de ces candidats du temps de la campagne
officielle.
Sur une période aussi longue il est plus facile de déterminer
quelles sont les permanences et les évolutions.
S 'intéresser à toutes les candidatures hors parti depuis
1965 a été envisagé mais cette étude systématique
était trop lourde pour un mémoire de maîtrise et aurait
pu conduire à une chronique, un catalogue de ces campagnes sans
en déterminer les aspects les plus saillants.
Evidemment par l 'aspect réduit de leurs résultats électoraux,
entre 0 et 2%, un tel mémoire peut sembler anecdotique et sans grand
intérêt historique.
Il n 'est néanmoins pas encore temps dans cette introduction
de déterminer si les 279 683 voix obtenues par Marcel Barbu
en 1965 et les 84 969 de Jacques Cheminade en 1995 constituent bien un
échec.
Plus intéressant, plus porteur pour un sujet de maîtrise
serait d 'étudier une autre catégorie de candidats non traditionnels
qui a aussi tenté sa chance, celle des médiatiques
dont la plus célèbre est celle de Coluche en 1981, mais aussi
celle éphémère de Marlène en 1995 ou la tentative
de Dieudonnée qui se prépare pour 2002.
Mais contrairement aux prétendants hors parti ces personnes
se servent de leur notoriété pour avancer des idées,
ont déjà un espace médiatique réservé,
une légitimité populaire.
Il est peut être inutile de le rappeler mais aucune de ces candidatures
que ce soit volontaire ou non n ‘est allée jusqu 'au bout de la
campagne et même jusqu 'au début.
Donc l 'étude serait avant tout l 'explication d 'un échec
et les mécanismes de la campagne officielle ne seraient pas étudiés.
Or c 'est dans ces quinze jours avant l 'élection que se joue
à plein régime la confrontation directe, que les mécanismes
internes de parti pour éliminer les aspirants à la candidature
se déploient pour éliminer les opposants, que les sondages,
les émissions politiques, la presse font prendre à l 'élection
présidentielle sa vraie stature et son caractère définitif.
Et c 'est à ce moment que les hors parti apparaissent.
L 'intérêt d 'une étude se mesure souvent par quelle
image, quelle trace a laissé son objet. Et en quoi ce sujet est
encore d 'actualité.
De Marcel Barbu et Jacques Cheminade il reste généralement
deux images de campagne.
Du candidat de 1965, son intervention télévisée
où il demande au bord des larmes au général De Gaulle
où est caché son coeur dans son grand corps(5).
Du candidat de 1995, sa condamnation à quinze mois de prison
avec sursis pour avoir volé un million de francs à une dame
âgée atteinte de la maladie d ' Alzheimer (6).
Il ne reste que peu de traces d 'eux après l ‘élection:
Dans la biographie nécrologique parue en 1984 dans le Monde
lors de la mort de Marcel Barbu, sa vie s 'arrête le 5 décembre
1965, le jour du premier tour de l 'élection présidentielle
(7).
Jacques Cheminade continue lui a défendre ses idées,
à écrire des éditoriaux sur la politique française,
à revenir sur sa campagne de 1995 et à préparer celle
de 2002 à partir de son site internet, de son journal et de sa maison
d 'édition.
Quelques années après l ' aventure électorale
de ces candidats, leur nom est de ceux dont le peuple se souvient vaguement
mais ne se rappelle plus.
L 'actualité de ce sujet est difficile à établir.
Tous les sept ans lors du lancement de la campagne présidentielle,
les journaux dans un souci de compilation ressortent pour l 'anecdote les
photos et les programmes en quelques lignes de Marcel Barbu ou Louis Ducatel.
Chaque élection amène aussi avant son commencement les
livres-programmes des candidats et à son échéance
les livres-bilans des analystes.
Ainsi pour l 'élection de 1965 quelques études ont été
des portraits. François Mitterrand et Pierre Marcilhacy ont eu droit
à leur livre de campagne et près d 'une dizaine de livres
ont relaté l 'ensemble de la campagne de l'intronisation des prétendants
jusqu 'aux résultats et leurs conséquences (8).
Mais pas de portrait de Marcel Barbu, et pas d 'analyses sinon cursives
dans les livres d 'ensemble sur la campagne.
Les hors parti sont absents également des études transversales
portants sur plusieurs élections mais aussi des livres sur des sujets
politiques comme l 'abstention ou la participation électorale où
ils pourraient avoir une place
Même dans des études sur les candidats à
l 'élection présidentielle de la cinquième république
il n 'ont droit qu 'à quelques lignes (9).
Aucune étude de la part d ' universitaires ou de journalistes
n 'a encore été menée spécifiquement sur eux.
L 'intérêt de ce mémoire est aussi de répondre
à ce vide historiographique.
Pour combler en partie ce vide, cette étude s 'appuiera essentiellement
sur la presse nationale hebdomadaire et quotidienne.
Pour déterminer quels journaux retenir, le tirage, le type de
lectorat ou leur influence ont été disséqués
à partir des nombreux livres d 'histoire de la presse (10).
Les journaux sélectionnés vont ainsi de la Croix à
L 'Humanité et de Minute à Charlie Hebdo.
Pour un candidat ne disposant pas de classement ni de soutien médiatique
préétabli où se ranger et être rangé
il fallait n 'exclure aucune tendance journalistique.
Le dépouillement à été systématique
un mois et demi avant le début de la campagne officielle et deux
semaines après le résultat final.
Même si Marcel Barbu et Jacques Cheminade ne sont connus que
deux semaines avant le premier tour, il est aussi intéressant d
'étudier leur absence. Et voir dans cette période comment
l'élection se déroule dans la presse, si les journaux la
considèrent comme jouée avant même le début
de la campagne officielle, si des sondages sont déjà réalisés
ou les programmes des candidats déclarés analysés
avant que les hors parti se fassent connaître.
Ce mémoire privilégie la presse pour plusieurs raisons.
Par la facilité qu 'il y a à accéder à
cette source mais pas seulement.
Elle est surtout le meilleur outil pour faire un travail de fond sur
la réalité de ces candidatures.
La presse permet en effet d 'enlacer complètement un prétendant
sans le lâcher.
Encerclement total qui se fait pour la retranscription de ses déclarations,
les analyses des journalistes sur le fond et la forme de ses interventions,
sa place et celle de chaque article par rapport aux autres candidats, la
politisation et la polarisation des journaux par rapport à l 'élection
et à lui, les thèmes de campagne choisis ou accompagnés
et développés, les sondages divers et les enquêtes
d 'opinion faits envers les électeurs ou le courrier des lecteurs
qui donne des indications sur la façon dont l 'opinion reçoit
et perçoit la campagne.
A ces avantages de traiter cette étude surtout à travers
le média écrit, il faut en ajouter un autre très important.
En 1965, en dehors des émissions de la campagne officielle,
la seule fois où le nom de Marcel Barbu est prononcé par
un journaliste à la télévision est pour dire : «
je ne vous parle pas de Barbu, Monsieur Barbu qu 'on doit entendre tout
à l 'heure» (11).
A part ça aucune émission où il a pu s 'exprimer
librement, exposer longuement ses idées ou même débattre,
la télévision étant encore la voix de son maître.
En 1995, la télévision a changé, la place accordée
aux différents candidats ne dépend plus seulement du pouvoir
en place mais de la place potentielle et anticipée qu'ils pourraient
avoir le jour de l 'élection. Dans le cas de Jacques Cheminade,
n 'ayant pas de parti reconnu et de nom connu, les chaînes ont pu
être tentées d ' assurer un service minimum voire obligatoire.
Cet aspect est complètement différent avec la presse.
Car là où il n 'y a que deux chaînes en 1965, et
avant tout l 'audimat et les sondages divinatoires en 1995; et donc au
total une grande uniformisation des contenus retransmettant globalement
un même discours, il y a une dizaine de quotidiens, une dizaine d
'hebdomadaires politiques ou apparentés Soit au total vingt façons
de voir ces candidatures.
Même si chaque journal a sa sensibilité propre et définie
et si il doit tenir compte de certains impératifs publicitaires,
de tirage, des groupes qui le contrôlent; la manière
sur le fond et la forme dont sont traités Marcel Barbu et Jacques
Cheminade sont autant d 'indications intéressantes sur leur candidature
elle-même mais également sur le journal qui la traite.
Et étudier une gamme complète de journaux fournit aussi
mécaniquement de la matière à exploiter pour cette
étude autrement plus importante en quantité voire en qualité
que l 'information télévisuelle.
La presse est donc consultée de façon double pour ce
mémoire : comme relais et comme objet.
Mais en ne traitant ce sujet qu 'a travers la presse il y a un risque
potentiel pour certains aspects que l 'analyse ne soit pas
assez poussée ce qui peut conduire pour certaines parties à
une simple revue de presse.
Pour compléter l 'apport de la presse et ne pas se limiter à
cet apport, ce mémoire s 'appuiera aussi sur l ‘analyse du matériel
de campagne comme les tracts et les affiches, le site internet de Jacques
Cheminade et d ‘autres documents servant à compléter certaines
informations comme le compte de campagne ou la correspondance de Jacques
Cheminade avec le CSA .
Cette étude aurait pu être basée en plus sur des
témoignages de Jacques Cheminade ou de parrains, mais malgré
l 'envoi d ‘ e-mails et lettres, ni le hors parti de 1995 ni des personnes
de son mouvement, ni la dizaine de parrains contactés n ‘ont voulu
répondre favorablement.
Le même problème s ‘est hélas posé pour
1965 et Marcel Barbu.
La presse, les divers documents annexes et renseignements trouvés
dans les ouvrages de la bibliographie ne donnent néanmoins aucune
limite définie, même sans ces sources orales, pour traiter
le sujet dans tous ses aspects de façon précise et complète.
L ' ensemble de ces sources peut permettre en effet de ne pas se limiter
au sujet biographique des hommes-candidats qui pourrait être
un cadre suffisant pour un tel mémoire pour s 'intéresser
réellement à tous les aspects de la candidature.
De ne pas faire seulement un récit chronologique de la décision
à l 'élection mais englober leur candidature dans la campagne
dans ses aspects idéologique, médiatique ou leur rapport
au peuple.
D ‘étudier ce « Triangle des Bermudes » de
la campagne électorale qui a pour trois côtés
les candidats, leur programme et les médias.
Avec dans ce triangle une rencontre qui se fait avec l ‘électeur
entre l ‘offre et la demande de politique.
L 'étude de leur candidature en tenant compte de ces aspects
prend alors une autre ampleur.
Marcel Barbu et Jacques Cheminade ont eu le désir, le besoin
ou la volonté de sortir de la majorité silencieuse ou d 'une
minorité agissante pour faire connaître leurs opinions qu
'ils estiment ne pas être défendues par les partis ou les
hommes déjà en place.
Sans savoir si leur message concerne tout ou partie de la population.
Soutenus par des mouvements non institutionnels et donc forcément
considérés comme confidentiels.
Soutenant des idées qu 'ils pensent comme émanant du
peuple ou mises de coté intentionnellement ou non par les candidats
traditionnels.
Conscients que l 'élection présidentielle est la
plus belle des tribunes, le porte-voix le plus puissant.
Par la grâce de signatures de parrains, leurs idées se
sont insérées dans le jeu politique et eux-mêmes sont
devenus des hommes politiques.
Distribuant des avis, des petite phrases, répondant forcément
à des « questions intéressant les français »
potentiellement très éloignées de leur champ de compétence
ou des thèmes qui ont motivé leur engagement.
La question qui se pose pour eux n 'est pas de comprendre dans quelle
mesure ils ont dû avoir un programme mordant en dehors des thèmes
traditionnels de leur parti pour mener à bien leur campagne, mais
leur spécificité appelle des interrogations différentes.
Sont-ils restés à l ' écart du monde des idées
politiques, seuls avec leurs thèmes et loin de l 'épicentre
des discussions entre candidats?
Ou bien chaque avis exprimé par eux sur des enjeux électoraux
a-t-il été repris ou attaqué par l 'adversaire?
Où leur message a-t-il trouvé sa place?
Comment ont-ils été « accueillis » et jugés
par les prétendants traditionnels, est-ce que la pertinence ou l
'apport de leurs idées a pu les légitimer et les intégrer
aux autres?
Par cette ignorance ou débat de leurs idées, leur message
a-t-il évolué pendant la campagne pour partir des thèmes
sectoriels ou catégoriels vers de grandes orientations générales
pour la France?
Quelques questions parmi d ‘autres qui se posent sur un plan purement
politique et idéologique et que ce mémoire analysera
L ‘étude de cet aspect peut permettre une réflexion plus
globale que la stricte étude de leur candidature sur le monde des
idées politiques.
Marcel barbu et Jacques Cheminade n 'ont aucun espace médiatique
quinze jours avant le début du premier tour
Du jour au lendemain ils parlent à la télévision
et à la radio dans tous les foyers français entre les ténors
habituels de la politique. Leur message quelle qu 'en soit la teneur est
ainsi légitimé, écouté, analysé, disséqué.
Les journaux quotidiens, les hebdomadaires nationaux, les commentateurs
de la vie politique ont pu leur donner une place sinon équitable,
du moins comparée avec les autres prétendants ou étaler
leur vie au grand jour jusque dans les moindres détails.
La problématique concernant la sphère médiatique
n 'est pas d 'étudier si leur exposition a débordé
des journaux qui les soutiennent ou ont une sympathie pour leur mouvement
et de la place télévisuelle à laquelle leur donne
droit le statut de leur parti ajouté à celui de leur nom.
Là aussi l 'angle d 'analyse est différent par l 'originalité
des hors parti.
Ont-ils été passifs, absorbés et digérés,
ou ont-ils eux-mêmes utilisé les médias pour faire
passer leur message qui n 'aurait sinon jamais été entendu
par une si large audience?
De quelle manière cet espace s 'est-il ouvert et refermé
sur eux? Sont-ils seulement une illustration de plus de la phrase gravée
dans le marbre selon laquelle chaque citoyen aura son quart d 'heure de
gloire ?
Et donc ont-ils été considérés, et présentés
aux électeurs, comme des prétendants au même titre
que les autres ou les médias ont-ils estimé à trente
ans d 'écart que la candidature hors parti leur donne une étiquette,
un classement, un statut et au final une place différente et à
l 'écart mais qui est la même pour eux deux?
Ce sont là quelques questions essentielles parmi d ‘autres sur
la considération, l 'intégration, la présentation
et la digestion d 'un candidat sans nom et sans parti que ce mémoire
analysera
Ce qui permet évidemment une réflexion plus globale que
la stricte étude de Marcel Barbu et Jacques Cheminade sur le monde
médiatique.
Ils ne comptent aucune voix deux semaines avant le résultat du
premier tour. En deux semaines plusieurs millions d 'affiches, de tracts,
de professions de foi, de bulletins de vote portant leur nom, leur photo,
leur message sont distribués.
La problématique électorale n 'est pas de déterminer
si ils ont fait le plein des voix qui leur étaient promises
en comparaison des élections antérieures et su en gagner
d 'autres au centre ou à l 'extrême de leur tendance politique
mais là encore le point d 'interrogation concerne d 'autres
questions.
Quelle relation ont-ils voulu et pu établir avec les électeurs
durant le temps de la campagne officielle?
Partaient-ils réellement d 'un capital de zéro voix ou
par le fait même d 'être « spontanés »
et hors des partis est-il possible de leur donner l 'électorat potentiel
des 18 à 25% de français qui s 'abstiennent ou votent blanc
lors des élections présidentielles ?
Comment est-il possible de se faire une place alors que l 'essentiel
des voix paraît déjà distribué entre les autres
candidats quand ils arrivent dans la campagne et que les indécis
de dernière heure forment l 'électorat le plus difficile
à appréhender?
Quels facteurs expliquent l 'écart entre le pourcentage théorique
dont auraient pu bénéficier ces candidats du peuple et l
'espace qu 'ils ont effectivement eu?
Quelle influence ont eu ces résultats sur leurs lendemains électoraux
et de quelle manière la sanction des urnes les a-t-elle fait disparaître
des sphères politiques, médiatiques et électorales?
Ce sont là des interrogations primordiales auxquelles ce mémoire
cherchera à répondre sur les liens que peut tisser un prétendant
inconnu avec le peuple ou les facteurs déterminant la rencontre
du vote et l 'influence qu ' il peut avoir sur le degré de fermeture
des espaces ouverts par la campagne officielle.
L ‘originalité globale de la problématique est que les
questions qui se posent pour les hors parti ne sont pas les mêmes
que pour les prétendants traditionnels. Pour chaque thème
et interrogation les points de comparaison ne sont pas antérieurs
et ne viennent de leur propre parti et expérience du pouvoir.
S 'intéresser en profondeur à leur campagne c 'est gommer
toute référence à un mouvement et à un nom
et revient à détacher les autres candidats de leur assise
et de tous les artifices qui leur donnent une place avant que la campagne
officielle ne débute.
Cette étude est bien plus large qu 'une stricte analyse des
électeurs Marcel Barbu et Jacques Cheminade qui décident
d 'être candidats. C 'est aussi un test de l 'accès égalitaire
à l 'élection et à l 'électeur pour tous les
prétendants. Les interrogations que peut soulever ce mémoire
sur les mécanismes de la campagne risquent donc d 'être
nombreuses et pourraient sans doute être les mêmes pour d 'autres.
Il serait faux en effet de couper d 'emblée les
hors parti de leurs concurrents.
Pour le chemin à parcourir jusqu 'aux signatures des parrains
et jusqu 'à l 'électeur, des points de ressemblance se retrouvent
aussi dans le parcours de ceux qualifiés de petits candidats.
Ceux qui au moment du départ ont quand même une notoriété
de leur nom ou une identification politique connue de l 'opinion mais dans
une plus faible proportion que les candidats de parti.
Ceux qui n 'ont pas la certitude d 'atteindre la caution électorale
fatidique des 5% en dessous de laquelle le bail politique et médiatique
n 'a pas de certitude d 'être renouvelé après l 'élection.
Une étude portant sur Pierre Marcilhacy en 1965 ou Dominique
Voynet en 1995 pourrait sans doute se faire autour de la même problématique
et fournir au final des enseignements communs.
Simplement Marcel Barbu et Jacques Cheminade permettent d 'observer
à la loupe tous les problèmes potentiels et de les
disséquer dans toute leur nudité.
C ‘est autour des trois grands axes de réflexion soulevés dans cette introduction que tournera ce sujet des candidats hors parti à l ‘élection présidentielle sous tous les angles possibles. Avec comme problématique centrale de déterminer quels espaces politique, médiatique et électoral ils pouvaient disposer et comment ils les ont occupés.
Mais avant de traiter ces trois grandes parties, une première
apparaît nécessaire pour planter le décor.
Car il serait absurde de commencer ce mémoire à partir
du moment où ils deviennent candidats par l ‘ intronisation du conseil
constitutionnel sans exposer tout le cheminement intellectuel, social et
politique qui les a amené à se présenter. Une telle
étude sur un prétendant traditionnel ne commencerait pas
le jour de la campagne officielle mais engloberait aussi sa pré-campagne.
Il est primordial pour les hors parti de 1965 et de 1995 d'étudier
aussi de quelle manière l 'accès à l 'élection
a devancé celui à l 'électeur.
Quels ont été les facteurs qui les ont décidé
à se présenter à l 'élection présidentielle?
Sont-ils de simples électeurs des campagnes précédentes?
Ou comment peuvent-ils obtenir des centaines de signatures d 'élus
d 'autres partis?
Quelques questions qu 'il est impossible de ne pas traiter et qui détermineront
la réalité, la mesure et l 'ampleur de ces campagnes sans
nom et sans parti.
Une fois cette originalité établie, ils sera temps de
déterminer comment ils passent dans tous les aspects de leur candidature
par les filtres du positionnement politique et médiatique. Filtres
complémentaires et primordiaux pour mesurer réellement l
‘espace électoral dont disposent théoriquement et pratiquement
Marcel Barbu et Jacques Cheminade et le choix final de l ‘électeur.
Cette étude part donc du candidat pour arriver à l ‘électeur
.
Notes de l ' introduction
(1) Marcel Barbu repris par Le Figaro, « M Barbu : rendre
inévitable un second tour clarificateur »,
4 et 5 décembre 1965, p. 4.
Jacques Cheminade repris par L 'Humanité, 22 avril 1995,
p. 6.
(2) Les candidats présents au second tour de 1965 à 1995
ont tous un des quatre titres suivants :
Président de la république sortant ou par intérim
( De Gaulle en 1965, Poher en 1969, Giscard en 1981, Mitterrand en 1988),
premier ministre ancien ou sortant (Pompidou en 1969, Chirac en 1988 et
1995), ministre ayant exercé des fonctions importantes (Giscard
en 1974) ou leader de l 'opposition ( Mitterrand en 1965 et 1981, Mitterrand
en 1974, Chirac en 1988, Jospin en 1995).
Inventaire jusqu 'en 1988 effectué par : C. Guettier, (Biblio(24)),
p. 65.
(3) Pour le texte de la loi du 6 novembre 1962, le décret du
14 mars 1964 complété par celui du 28
juillet 1965 voir : Recueil de documents officiels publiés par
la documentation française, (Biblio(31)), p. 3-8.
(4) Pour les modalités de ce décret voir notamment :
A. Lancelot,(Biblio(25)), p. 7-8.
(5) Pour le détail de cette intervention télévisée
du premier décembre 1965 voir par exemple Le
Figaro, « M Barbu : la complainte de Jacques Bonhomme »,
2 décembre 1965, p. 6
(6) Pour un bref résumé de cette affaire voir : Le Monde,
« M. Cheminade a été condamné pour vol
en 1992 », 10 avril 1995, p. 22.
(7) Le Monde, « Mort de Marcel Barbu ancien candidat à
la présidence de la république », 9
novembre 1984, p. 12.
(8) Portrait de François Mitterrand dans l 'élection
par C. Manceron, Cent mille voix par jour pour
Mitterrand, Paris, Robert Laffont, 1966.
Portrait de Pierre Marcilhacy par A. Ayache, Monsieur Y, Pierre Marcilhacy,
Paris, Nouvelles éditions latines, 1965.
(9) Voir par exemple : S. Sur, (biblio(13)), P. 264 ou C. Guettier,
(Biblio(24)), p. 79.
(10) Pour plus de précisions sur l'utilisation de ces livres
et les critères retenus pour les journaux
utilisés dans ce mémoire voir la partie 3, chapitre 1.
(11) Précision d 'après: Cahiers de la fondation nationale
des sciences politiques, (Biblio(27)),P.179.